Rois, reines et Présidents de France
     
     
     
     
LES MEROVINGIENS
     

Dynastie des rois francs qui régna de 481 à 751. Elle est issue d’un rameau du peuple franc installé dans la région de Tournai, entre Rhin et Escaut, et doit son nom au légendaire Mérovée (ou Merowig), fils ou neveu de Clodion le Chevelu, qui aurait régné de 448 à 457 sur une tribu de Francs Saliens, et aurait été l’allié du général romain Aetius contre les Huns lors de la bataille des champs Catalauniques.

Le fils de Mérovée, Childéric (mort v. 481), est le premier membre de cette lignée dont l’existence n’est pas seulement légendaire, mais également attestée par des documents peu postérieurs à l’époque de sa mort. Roi des Francs Saliens de la région de Tournai, installé par traité à l’intérieur du territoire romain, il reçut d’Egidius, principal lieutenant d’Aetius, le gouvernement civil et militaire d’une partie de la Belgique IIe. Allié des Romains contre les Wisigoths, il aida Syagrius, fils d’Egidius, à succéder à son père.

Clovis Ier, le fils que Childéric avait eu d’une princesse thuringienne, Basina, fut, comme son père, un chef de guerre. Ayant compris que la puissance déclinante des Romains n’imposait plus de les traiter en alliés, il s’attaqua à Syagrius, « roi des Romains », qui maintenait autour de Soissons un reste de l’Empire romain d’Occident, et s’empara de son territoire en 486. Pendant le dix années qui suivirent, Clovis s’employa à augmenter ses conquêtes : il atteignit la Loire et l’Armorique, lança des raids en Aquitaine, vainquit les Thuringiens en 491 et les Alamans en 496.

En 496, il épousa une princesse catholique, Clotilde, nièce du roi burgonde Gondebaud, qui n’eut de cesse de le gagner à la foi chrétienne. Barbare resté païen à l’heure où bien d’autres chefs de guerre avaient adhéré à l’hérésie arienne, Clovis, conscient du poids politique et moral de l’Église, accepta finalement de se convertir, à la suite d’un vœu fait à la bataille de Tolbiac (496). Il fut baptisé à Reims par saint Remi, sans doute en 498.

Dès lors, Clovis, assuré du soutien de l’Église, fut en mesure de travailler à la fusion des mœurs barbares avec les coutumes gallo-romaines, dont il s’inspira pour élaborer de nouvelles institutions. Ayant garanti l’ordre, il s’employa à poursuivre sa politique d’expansion territoriale. Après avoir refoulé les Alamans au-delà du Rhin, en 505, il écrasa le roi wisigoth Alaric II à la bataille de Vouillé, ce qui le rendit maître de l’Aquitaine. Cependant, il ne put annexer le Languedoc et ne parvint pas à défaire les Ostrogoths, qui lui barraient l’accès à la Méditerranée. Il consacra ses dernières années à éliminer les Francs Rhénans, à l’est et au nord du royaume, et, en 510, il était le seul maître d’un territoire s’étendant du Rhin aux Pyrénées, dont il avait fait de Paris la capitale. Considérant son royaume comme un bien propre, conformément à la coutume franque, il divisa ses possessions entre ses quatre fils Childebert Ier, Clodomir, Clotaire Ier et Thierry Ier, qui devinrent respectivement roi de Paris, d’Orléans, de Soissons et de Reims.

S’éloignant de la notion d’État au sens gallo-romain du terme, le partage du royaume entre les fils de Clovis fut une source considérable d’affaiblissement pour la dynastie, dans la mesure où il ouvrit la voie à un affrontement permanent pour le pouvoir. Brièvement réunifié sous l’autorité de Clotaire Ier, après la disparition de Théodebald, petit-fils de Thierry Ier, et celle de Childebert Ier en 558, le royaume fut de nouveau divisé en 561, entre royaume de Neustrie (Gaule du Nord-Ouest), royaume d’Austrasie (France de l’Est) et Bourgogne.

À partir de 570, une lutte particulièrement cruelle opposa deux des fils de Clotaire Ier, Sigebert Ier, roi d’Austrasie, et Chilpéric Ier, roi de Neustrie, lutte dans laquelle furent impliquées leurs épouses, Brunehaut et Frédégonde. Clotaire II, fils de Chilpéric, parvint à s’emparer de Paris après la mort de Childebert II (596), et, après avoir neutralisé les petits-fils de Sigebert, il devint le seul roi des Francs en 613.

Dagobert Ier, fils de Clotaire II, fut nommé roi d’Austrasie du vivant de son père en 623, et devint le seul maître du royaume en 632 après la mort de son demi-frère Caribert, auquel il avait donné l’Aquitaine. Installé en Neustrie, le cœur du royaume, il s’employa à consolider l’autorité royale, notamment sur les Basques, les Bretons, et dans la basse vallée du Rhin, où il annexa la Germanie, jusqu’à l’Elbe. Malgré sa volonté unificatrice, il recréa un royaume d’Austrasie en faveur de son second fils, Sigebert III.

À la mort de Dagobert, en 639, Sigebert conserva l’Austrasie, tandis que Clovis II recevait la Neustrie et la Bourgogne. Une succession de rois faibles et dégénérés (les rois fainéants) permit à l’aristocratie d’assurer son pouvoir, tandis que les maires du palais exerçaient la réalité des prérogatives royales. En Neustrie, la politique centralisatrice voulue par Ébroïn, maire du palais, conduisit à un sanglant affrontement avec la noblesse bourguignonne, menée par saint Léger, évêque d’Autun, qui fut assassiné en 677. En 687, l’écrasement des Neustriens par les Austrasiens à la bataille de Tertry ouvrit la voie à une nouvelle unification du royaume sous l’autorité des maires du palais d’Austrasie, les Pippinides, qui détenaient le pouvoir depuis le milieu du VIIe siècle. Cependant, ce n’est qu’en 751 que le maire du palais carolingien déposa le roi en place, Childéric III, qui régnait depuis 743, et assuma en personne le pouvoir royal sous le nom de Pépin le Bref, mettant un terme définitif à la dynastie mérovingienne.

     
 
420 - 429
 
     

PHARAMOND

1er roi de France

Descendant de Priam

Pharamond est le premier duc des Francs saliens. En l'an 420 il traverse le Rhin près de Cologne en direction de l'ouest. Il divise la tribu des Francs en deux moitiés : les Francs saliens et les Francs rhénans ou « ripuaires ».
Traditionnellement, Pharamond est considéré comme le premier monarque mérovingien : il aurait pour fils Clodion le Chevelu et pour petit-fils Mérovée. Néanmoins, il s'agit sans doute plus de légende que de réalité historique.
Seuls deux historiens, Prosper Tyron et Dom Bouquet, nous ont reporter de sa vie dans des siècles plus jeunes.
Pharamond a été le premier Roi de France. Quelques Historiens pour relever l'éclat de la naissance de ce Prince, ont eu recours à la fable, mais inutilement. Il était Roi d'un Peuple qui n'a jamais obéi qu'aux descendants de ses premiers Maîtres. Ce Titre Auguste prouve invinciblement l'antiquité de sa Race (Dynastie). Ce fut vers l'an 420, pendant qu'Honorius régnait en Occident, et Théodose le jeune en Orient, qu'il fut élevé sur un bouclier, montré à toute l'Armée, et reconnu Chef de toute la Nation. C'était toute l'inauguration de nos anciens Rois. C'est aussi tout ce qu'on fait de certains sur son regne. On ignore ses autres exploits, le temps de sa mort, le lieu de sa sépulture, et le nom de la Reine son Epouse. On dit seulement qu'il eut deux fils, Clodion qui lui succéda, et Clénus, dont la destinée nous est inconnue. Pharamond mourut en 428, après huit ans de regne.

     
 
429 - 448
 
     

CLODION LE CHEVELU

Mort vers 450

A l'époque où l'autorité de Rome n'est plus reconnue au Nord de la Gaule et que le préfet des Gaules se bat contre Wisigoths et les Vandales dans le Sud, Clodion le Chevelu en profite pour attaquer la ville de Tournai dans le Nord. Tournai se rend en une seule bataille. Clodion continu sa marche vers Cambrai puis vers la Somme. Malgré sa défaite à Hélesme contre le "dernier des romains", Aetius, ces évènements marqueront l'installation définitive de la nation franque dans le Nord de la France. Il fit la paix avec Aetius et mourut en 448.

     
 
448 - 456
 
     

MEROVEE ou MEROWIG

Fils ou gendre de Clodion le Chevelu

Enfants : Childéric

Mérovée est le fils ou le neveu de Clodion le Chevelu. Il donnera son nom à la première dynastie des rois de France : les Mérovingiens.
En 451, Attila franchit le Rhin pour envahir la Gaule. Il sera arrêté dans sa marche à Orléans par le romain Aetius et le Gaulois Mérovée. Attila se replie alors vers l'Est et s'arrête à Moirey, au lieu-dit des "Champs Catalauniques".
Aetius fédère alors tous les peuples de Gaule : Francs occidentaux, Armoricains, Bretons, etc...
La bataille commencera le 20 Juin 451 et tournera à l'avantage de Aetius. Il laissera fuir Attila qui mourra deux ans plus tard d'un saignement de nez. Devant le nombre important de mort, le roi (Mérovée ou Clodion) sera déchu, et c'est le fils de Mérovée,
Childéric 1er, le père de Clovis qui prendra la relève.

     
 
456 - 482
 
     
 

CHILDERIC 1er

né vers 440 - mort en 481

Fils présumé de Mérovée

Epouse en 465 Basine, femme du roi de Thuringe qui lui donne 4 enfants

Enfants : Clovis

En 457, Childéric 1er succède à son père Mérovée. Il règne sans partage, ce qui lui vaut l'animosité de ses parents, des grands et de ses sujets.
Il fuit son petit royaume de Tournais pour trouver refuge chez le roi de Thuringe.
Il s'éprend de Basine, l'épouse du roi de Thuringe qui fini par l'épouser.
En 463, Childéric est rappelé au pouvoir. Basine lui donnera un fils : Clovis et trois filles : Lanthilde, Alboflède et Aldoflède.
Il mourra en 481 et son fils Clovis lui succèdera.

     
 
481 - 511
 
     

CLOVIS

Roi des Francs

Né vers 465 - Mort à Paris en 511

Fils de Childéric Ier

Fut baptisé par Saint Rémi, Evêque de Reims, en 496.

Marié deux fois : épouse une princesse païenne (1 fils) ; en 493, épouse Clotilde , nièce de Gondebaud, roi des Burgondes

Enfants : Thierry Ier, Clodomir, Clotaire Ier, Childebert Ier

Souvent présenté dans l’historiographie française comme l’ancêtre de la nation, et dans la littérature religieuse comme celui qui, par son baptême, a fait de la France la « fille aînée de l’Église », Clovis est un personnage mal connu. La principale source sur son règne est constituée par l’Histoire des Francs, écrite près d’un siècle plus tard par le chroniqueur Grégoire de Tours.
Fils de Childéric Ier, roi de Tournai, et de la princesse thuringienne Basina, Clovis (ou Chlodoweg, en latin Hludovicus) succéda à son père vers 481, à la fois comme chef de tribu (rex) et comme gouverneur civil de la Belgique seconde.
Se donnant comme objectifs d’agrandir son territoire et d’unifier sous son autorité l’ensemble des Francs Saliens, il s’attaqua d’abord au général gallo-romain Syagrius, sur lequel il remporta la victoire décisive de Soissons (486), où il établit sa capitale. Sa puissance impressionna tellement Alaric II, roi des Wisigoths, que ce dernier ne put refuser de lui livrer Syagrius, qui avait trouvé refuge chez lui, et qui fut immédiatement mis à mort.
Adroit, Clovis eut soin de ménager les autorités ecclésiastiques qui, par la voix de Remi, archevêque de Reims, avaient reconnu sa conquête : après la prise de Soissons, il voulut ainsi écarter du pillage un vase d’église que l’un de ses guerriers, furieux de cette entorse aux lois de la guerre, préféra briser plutôt que de renoncer à ce butin.
Pendant les dix années suivantes, Clovis s’employa à prendre possession de l’ensemble de la Gaule du Nord, depuis la Meuse et la Moselle jusqu’à la Loire. Après avoir battu les Thuringiens vers 491, il soumit les Francs Ripuaires, puis entreprit de réduire la puissance des Alamans, ses rivaux les plus dangereux, installés à l’est de son royaume. Une nouvelle victoire, peut-être en 496, à Tolbiac (aujourd’hui Zülpich, au sud de Cologne), lui permit de repousser ces derniers jusqu’au Haut-Rhin. Enfin, il lança plusieurs raids en Armorique et en Aquitaine, et occupa Bordeaux en 498.
Ne pouvant vaincre les Burgondes et les Wisigoths sans l’aide des populations gallo-romaines, Clovis décida, pour faciliter ses relations avec ces peuples, de se convertir au christianisme, comme l’y engageaient depuis longtemps déjà son épouse Clotilde, princesse burgonde, elle-même catholique, et Remi, archevêque de Reims. Ce dernier baptisa Clovis dans sa cathédrale à une date mal connue, comprise entre 496 et 506 (que certains historiens situent en 498) en compagnie de 3 000 de ses guerriers, ce qui fit désormais de Clovis le champion de l’orthodoxie religieuse.
En 500, ayant pris le parti de l’oncle de la reine, Godegisel, contre son frère Gondebaud, roi des Burgondes, il triompha de ce dernier devant Dijon et lui laissa la vie sauve contre un tribut. Peu après, Clovis déclara la guerre aux Wisigoths et s’allia à son ancien ennemi. C’est à Vouillé, au nord-ouest de Poitiers, que les Wisigoths furent battus, en 507, et que leur roi Alaric II fut tué. Toulouse et l’Aquitaine tombèrent alors aux mains de Clovis, tandis que les Wisigoths étaient refoulés en Espagne. Pour manifester sa satisfaction de cette victoire sur les Barbares, l’empereur d’Orient Anastase aurait envoyé des émissaires à Tours, pour remettre à Clovis les insignes de consul.
Pour finir d’affirmer son autorité sur les Francs, Clovis élimina, par le meurtre, tous les chefs susceptibles de constituer une menace pour son pouvoir, notamment le roi des Ripuaires, Sigebert, et son fils Chlodéric. Après sa victoire sur les Wisigoths, Clovis délaissa la Belgique pour s’installer à Paris, désormais la capitale du royaume franc qui, à cette époque, était formé de la quasi-totalité de la Gaule (à l’exception de la Bourgogne) et du sud-est de l’Allemagne actuelle.
Grâce à ses conquêtes, Clovis était parvenu à acquérir une puissance considérable, sans précédent pour un chef barbare. Avec lui était né un royaume cohérent, où les populations gallo-romaine et franque se mêlaient, unies par une même religion, et où les relations entre conquérants et conquis étaient particulièrement étroites. Fondateur de l’abbaye de Sainte-Geneviève, Clovis mourut à Paris, l’année même où il avait réuni à Orléans un concile destiné à réorganiser l’Église des Gaules. Son royaume fut partagé entre ses quatre fils, Thierry, Clodomir, Childebert Ier et Clotaire Ier.

     
 
511 - 524
 
     

THIERRY Ier

Roi de Reims et d'Auvergne

Mort en 533 ou 534

Fils aîné de Clovis

     
 
511 - 524
 
     
 

CLODOMIR

Roi des francs à Orléans

Né en 495 - mort à Vézéronce en 524

Fils aîné de Clovis et de Clotilde

     
 
511 - 558
 
     

CHILDEBERT Ier

Roi des francs à Soisson
511 - 558

Roi des Francs à Orléans
524 - 558

Co-roi de Bourgogne
534 - 558

Né vers 495 - mort en 558

Troisième fils de Clovis et de Clotilde

Marié à Ultrogotha (2 filles)

Fils de Clovis et de Clotilde, il reçut en partage la région du royaume qui s'étendait de la Seine à la Loire, ainsi que les cités de Saintes et de Bordeaux. Roi de Paris, de 511 à sa mort, en 558, il se partagea encore le royaume des Burgondes avec son frère Clotaire Ier, en 524, après la mort de leur frère Clodomir, en faisant égorger leurs neveux. Après avoir vainement essayé de se débarrasser de Clotaire, il s'unit avec lui pour combattre les Wisigoths. Les deux frères furent vainqueurs de leur roi Amalaric en 531, près de Narbonne, et réussirent ensuite à gagner le royaume des Burgondes en 534. Fondateur du monastère Sainte-Croix-Saint-Vincent, ancêtre de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, Childebert mourut sans postérité.

     
 
511 - 561
 
     

CLOTAIRE Ier

Roi des Francs à Soisson
511 - 558

Roi d'Austrasie
555 - 558

Roi unique des Francs
558 - 561

Né vers 497 - mort à Compiègne en 561

Fils de Clovis et de Clotilde

Marié à Ingonde

Enfants : Caribert Ier, Gontran, Chilpéric Ier, Sigebert Ier

Fils de Clovis et de Clotilde, Clotaire reçut en partage, après la mort de son père (511), les territoires du vieux pays franc constituant le royaume de Soissons (Laon, Noyon, Arras, Cambrai, Tournai, Thérouanne), ainsi qu’une partie de l’Aquitaine, à l’exception de l’Albigeois et du Quercy. Allié avec ses trois frères, Clodomir, Thierry Ier et Childebert Ier, il conquit le royaume des Burgondes. À la mort de Clodomir (524), il s’allia avec Childebert pour massacrer les enfants du roi défunt (tuerie dont devait réchapper saint Cloud) et partagea avec son complice le royaume d’Orléans, gardant pour lui Tours et Poitiers.
Entre 531 et 534, il participa avec ses frères à la guerre contre les Burgondes, qui lui permit d’adjoindre Grenoble et Valence à ses possessions, lutta contre les Ostrogoths, auxquels il prit Sisteron, Gap, Embrun et Carpentras, et participa à la soumission de la Thuringe et de la Saxe.
À la mort de Thibaud, petit-fils de son frère Thierry, en 555, il s’empara des pays du Rhin, de la Moselle et de la Marne, ainsi que de l’Auvergne et du Limousin, puis se retrouva maître de Paris et seul roi des Francs à la mort de son frère Childebert. En 560, il fit mettre à mort son fils Chramne, étranglé puis brûlé avec sa femme et ses enfants pour s’être rebellé contre son autorité. Ses quatre fils survivants (Caribert Ier, Gontran et Sigebert Ier), issus de sa troisième épouse, Ingonde, et Chilpéric Ier, fils de sa quatrième épouse Arégonde, se partagèrent ses possessions après sa mort.

 

     
 
534 - 547
 
     
 

THEODEBERT Ier ou THIBERT

Roi d'Austrasie

Né en 504 - mort en 548

Petit-fils de Clovis

     
 

548 - 555

 
     

THIBAUT Ier ou THEODEBERT

Roi d'Austrasie

Mort en 555

Fils de Théodebert Ier.

 
     
 
561 - 567
 
     

CARIBERT Ier ou CHARIBERT

Roi des Francs à Paris

Né en 561 - mort en 567

Fils aîné de Clotaire Ier

     
 
561 - 592
 
     

GONTRAN

Roi des Francs d'Orléans et de Bourgogne
561 - 592

Roi de Paris
584 - 592

Né vers 545 - mort à Chalon-sur-Soâne en 592

Deuxième fils de Clotaire Ier

 
     
 
561 - 575
 
     

SIGEBERT Ier

Roi d'Austrasie

Né en 535 - mort à Vitry-en-Artois en 575

Fils de Clotaire Ier et époux de Brunehaut qu'il épouse en 566.

Enfants : Sigebert II ( mort en 613, fin de cette branche)

     
 
561- 584
 
     

CHILPERIC Ier

Roi des Francs à Soissons
561 - 575

Roi de Paris
568 -584

Né en 539 - mort à Chelles en 584

Fils de Clotaire Ier

Marié trois fois dont époux de Frégonde qui le fera assassiné.

Enfants : Clotaire II

Il se partage l’héritage paternel avec ses demi-frères Caribert, Gontran et Sigebert. Il épouse en secondes noces Galswinthe, fille d’Athanagild, roi des Wisigoths, en 567, et la fait probablement assassiner afin d’épouser sa maîtresse Frédégonde. Brunehaut, reine d’Austrasie, femme de Sigebert et sœur de Galswinthe, déclenche alors des guerres sanglantes contre la Neustrie. Chilpéric est vaincu par les Austrasiens mais se sauve temporairement en assassinant son demi-frère Sigebert en 575. Il meurt lui aussi assassiné en 584, après avoir vainement tenté de conquérir les royaumes de Gontran et de Childebert, fils de Sigebert. Son fils Clotaire II lui succède.

     
 
575 - 595
 
     

CHILDEBERT II

Roi d'Austrasie
575 - 5995

Roi d'Orléans, de Bourgogne et de Paris
592 - 595

Né en 570 - mort en 596

Fils de Sigebert Ier et de Brunehaut

     
 
584 - 629
 
     

CLOTAIRE II

Roi de Soissons ou de Neustrie
584 - 629

Roi unique de Neustrie, d'Austrasie et de Bourgogne
613 - 629

Né en 584 - mort en 629

Petit-fils de Clotaire Ier, Fils de Chilpéric Ier et de Frégonde

Il mit à mort Brunehau épouse de Sigebert Ier

Marié trois fois

Enfant : Dagobert Ier

Il régna sur la Neustrie après la mort de son père en 584. Âgé seulement de quatre mois, il fut naturellement sous la tutelle de sa mère Frédégonde, troisième femme de Chilpéric, qui avait fait assassiner Audovère, la première femme de celui-ci pour assurer le trône à son fils. Après la mort de Childebert II et de Gontran, elle fit occuper Paris et vainquit les Austrasiens. À la mort de Frédégonde, en 597, Clotaire fut obligé de céder devant les Austrasiens. Mais, en 613, après la mort de Thierry II, les dignitaires austrasiens livrèrent Brunehaut à Clotaire, qui la fit exécuter, devenant ainsi chef incontesté du royaume franc unifié. Il nomma alors son fils Dagobert roi d'Austrasie.

     
 
595 - 612
 
     
 

THEODEBERT II

Roi d'Austrasie

Né en 595 - mort en 612

Il fut renversé par son frère Thierry II

     
 

595 - 613

 
     

THIERRY II

Roi de Bourgogne, de Paris et d'Orléans
595 - 612

Roi d'Austrasie
612 - 613

Né en 587 - mort à Metz en 613

Fils de Childebert II et petit-fils de Brunehaut

     
 
623 - 639
 
     

DAGOBERT Ier

Roi d'Austrasie
623 - 629

Roi de tous les Francs
629 - 634

Roi de Neustrie et de Bourgogne
634 - 639

Né vers 604 - mort à Saint-Denis en 639

Fils de Clotaire II

Marié cinq fois

Enfants : Clovis II, Sigebert III

Dernier Mérovingien à avoir imposé son autorité sur la totalité du royaume franc.

Fils de Clotaire II et de Bertrude, Dagobert devient roi d'Austrasie en 626 et s’installe dans sa capitale de Metz. À la mort de son père trois ans plus tard, il met la main sur la Neustrie et la Bourgogne, laissant le royaume d’Aquitaine à son frère Caribert II. Lorsque ce dernier meurt sans descendance légitime en 632, Dagobert récupère l'Aquitaine et, devenu seul maître du royaume, installe sa capitale à Paris.
S’appuyant sur de remarquables conseillers — dont les futurs saint Éloi et saint Ouen —, Dagobert impose sa puissance et son autorité aux Gascons et à une partie des Bretons mais doit cependant accepter l'indépendance de l'Austrasie (634), qu'il confie à son jeune fils Sigebert III. Peu avant sa mort, à Saint-Denis en janvier 639, Dagobert donne la Neustrie et la Bourgogne à son second fils, Clovis II.
Au terme du règne florissant du « bon roi Dagobert » que certains ont même appelé le « Salomon des Francs », le royaume franc est à nouveau divisé et la monarchie mérovingienne en déclin.

     
 
639 - 657
 
     

CLOVIS II

Roi de Neustrie et de Bourgogne 639 - 657

Roi unique des Francs 656 - 657

Né en 632 - Mort en 695

Fils de Dagobert Ier

Enfants : Clotaire III, Thierry III, Childéric II

     
 
634 - 656
 
     
 

SIGEBERT II

Roi d'Austrasie

Né vers 601 - mort en 613

Fils de Thierry II

Enfants : Dagobert II

     
 
657 - 673
 
     

CLOTAIRE III

Roi unique des Francs
657 - 663

Roi de Bourgogne et de Neustrie
663 - 673

Mort en 673

Fils de Clovis II et de Bathilde

 
     
 
673 -679
 
     
 

THIERRY III

Roi de Neustrie et de Bourgone
673 - 690

Roi unique des Francs
675 - 676

Roi des Francs
679- 690

Mort en 690 ou 691

Troisième fils de Clovis, frère de Clotaire III

Enfants : Clovis III, Childebert III, Clotaire IV

     
 
676 - 679
 
     

DAGOBERT II

Roi d'Austrasie

Mort en 680

Petit-fils de Dagobert Ier

     
En fait, de 679 - 714, le gouvernement est exercé par Pépin le Jeune, ou de Herstal, maire du palais. A partir de 687, les rois de Neustrie et dles maires du palais (Austrasiens) gouvernenet de fait les trois royaumes
     
 
690 - 695
 
     

CLOVIS III

Roi unique des Francs

Né en 682 - mort en 695

Pépin de Herstal ou Pépin le Jeune, (né vers 640 - mort à Jupille en 714) qui réunit la Neustrie, la Bourgogne et l'Austrasie,, maire du palais, exerça le pouvoir en son nom

     
 
695 - 711
 
     

CHILDEBERT III

Roi des Francs

Né en 683 - mort en 711

Fils de Thierry III

Enfant : Dagobert III

Pépin Le Jeune, maire du palais, exerça le pouvoir à sa place

 
     
 
711 - 715
 
     
 

DAGOBERT III

Roi des francs

Mort en 715

Fils de Chidebert III

Enfant : Thierry IV

Pépin de Herstal exerça le pouvoir à sa place

     
 
715 - 721
 
     

CHILPERIC II

Roi des Francs
715 - 717

Roi de Neustrie et de Bourgogne
717 -719

Roi des Francs
719 - 721

Né en 670 - mort en 721

Fils de Childéric II

Enfant : Childéric III

     
 
717 -719
 
     
 

CLOTAIRE IV

Roi d'Austrasie

Imposé par Charles Martel qui exerça le pouvoir à sa place

Mort en 719

     
 
721 - 737
 
     

THIERRY IV

Seul roi des Francs

Sous la tutelle de Charles Martel qui le plaça sur le trône

Mort en 737

Fils de Dagobert III

 
     
 
737 - 743
 
     

CHARLES MARTEL

Gouverne les 3 royaumes

Né vers 685 - mort à Quierzy en 741

Fils de Pépin de Herstal

Enfant : Pépin le Bref

Fils de Pépin d’Herstal, Charles Martel apparaît dans l’histoire au lendemain de la mort de son père (déc. 714), qui déclencha des troubles violents dans le royaume franc : Neustriens et Aquitains alliés aux Frisons et aux Saxons tentèrent d’abattre la puissance austrasienne. Au bout de six ans, Charles Martel réussit à défaire ses adversaires et à s’imposer avec les titres de maire du palais, duc et prince des Francs, aux côtés du roi mérovingien Thierry IV. Son action se résume dans la reconquête du royaume où l’autorité franque ne subsistait guère qu’en Neustrie et en Austrasie, les autres régions s’étant émancipées à peu près complètement depuis la fin du VIIe siècle. L’instrument de la reconquête fut l’armée du maire, constituée par sa clientèle austrasienne qu’il rétribua largement en terres d’Église : si les structures ecclésiastiques s’en trouvèrent bouleversées, cette sécularisation permit la transformation du royaume franc en un État guerrier. Charles Martel put ainsi en Germanie ressaisir la Thuringe et l’Alémanie, rétablir la suprématie franque sur la Bavière et reconquérir en partie la Frise ; il accorda en même temps son appui aux missionnaires qui achevaient l’évangélisation de la Germanie centrale et méridionale et y implantaient l’Église — notamment à l’Anglo-Saxon Boniface. En Gaule, l’invasion de l’Aquitaine par les Arabes, l’appel au secours qu’il reçut du duc Eudes lui permirent de franchir la Loire, de remporter en 732 ou en 733 l’éclatante victoire de Poitiers et, après celle-ci, de recevoir le serment de fidélité du nouveau duc. Dans le Sud-Est, il reconquit non sans peine la Bourgogne et la Provence. Son pouvoir s’était entre-temps tellement affermi qu’il ne remplaça pas le roi Thierry IV, mort en 737, et qu’il disposa souverainement du royaume en le partageant, avant de mourir, entre ses deux fils Carloman et Pépin.

     
 
743 - 751
 
     

CHILDERIC III

Roi des Francs

En 751, il est déposé par le maire du palais de Neustrie, Pépin le Bref, avec l'accord du Pape.

Mort en 711

     
     
LES CAROLINGIENS
     

Cette dynastie des rois et empereurs a régné sur une partie de l'Europe Occidentale du mileu du VIIIème siècle au Xème siècle et doit son nom à son plus illustre représentant : CHARLEMAGNE.

Le fondateur en est Pépin le Bref qui met fin en 751 à la dynastie des Mérovingiens en déstituant Childéric III et en se faisant proclamer roi des Francs.

Son fils Charlemagne poursuit les conquêtes et unifie une grande partie de l'Europe Occidentale, avant de se faire couronner empereur d'Occident en 800.

Mais en 843, cet Empire est partagé entre les trois petits-fils de Charlemagne et sa partie occidentale donne naissance à un premier territoire français la Francia Occidentalis, cadre dans lequel se succèdent les rois carolingiens de Charles le Chauve à Louis V pendant 150 ans.

Le Xème siècle voit l'affaiblissement de la monarchie carolingienne, incapable de lutter contre le morcellement du royaume de France en principautés et les invasions étrangères.

A plusieurs reprises, les Grands du Royaume élisent un roi issu de la familles des Robertiens (888 - 889 et 922 - 936).

La mort du roi Louis V le Fainéant en 987 marque la fin de la branche française de la dynastie carolingienne.

     
 
751 - 768
 
     

PEPIN LE BREF

Roi des Francs

Né à Jupille en 715 - mort à Saint-Denis en 768

Fils de Charles Martel

Vers 749, épouse Berthe Aux Grands Pieds

Enfants : Charlemagne et Carloman Ier

Deuxième fils de Charles Martel, Pépin devint, après la mort de celui-là, maire du palais en même temps que son frère aîné Carloman. Le mal qu’ils eurent à imposer leur autorité contre leur demi-frère Griffon et contre les ducs des pays limitrophes du royaume contraignit les deux princes à faire monter sur le trône, en 743, le Mérovingien Childéric III dont le pouvoir ne fut d’ailleurs que nominal. Le fait majeur des premières années fut cependant la réforme de l’Église bouleversée par les sécularisations de Charles Martel. Pépin et Carloman l’accomplirent prudemment et réglèrent, en 744 et 745, la question des biens ecclésiastiques confisqués par un compromis qui fit naître la vassalité. Demeuré depuis l’abdication de Carloman en 747 seul maître du royaume, Pépin prépara son accession au trône, sollicitant l’avis du pape Zacharie en 750 et obtenant de lui la réponse célèbre selon laquelle devait être roi celui qui exerçait la réalité du pouvoir. Elle permit à Pépin de se faire élire roi en 751 ; le sacre que lui conférèrent les évêques le revêtit d’une légitimité nouvelle, celle d’être l’élu de Dieu. L’entente entre Pépin et le Saint-Siège parut au grand jour en 754. Menacé par le roi des Lombards, Aistulf, désespérant d’obtenir des secours de l’Empire byzantin, le pape Étienne II se rendit en France pour solliciter l’aide de Pépin. Deux campagnes en Italie (755 et 756) permirent à celui-ci d’arracher aux Lombards leurs conquêtes et de remettre vingt-deux villes de l’Exarchat de Ravenne, de l’Émilie et de la Pentapole au pape qui était déjà en fait maître de Rome : l’État pontifical était né. Le dernier fait important du règne de Pépin a été la conquête de l’Aquitaine (760-768).

     
 
768 - 771
 
     
 

CARLOMAN

Roi des Francs, Roi de Bourgogne, de Provence, de Septimanie et d'Alsace

Né vers 751 - mort à Samoussy, Aisne, en 771

Fils de Pépin le Bref

Fils aîné de Charles Martel et de Rotrude, Carloman a été élevé, comme son frère Pépin, à Saint-Denis. À la mort de son père, en 741, il reçut la mairie du palais d’Austrasie, tandis que son frère Pépin reçut celle de Neustrie. Dans son lot, outre l’Austrasie, figurent les pays alamans et la Thuringe. Dès le début de leur règne, les deux princes durent faire face à différents problèmes : soulèvement de leur demi-frère Grifon, bâtard de Charles Martel, soulèvement du duc alaman, du duc bavarois, du duc d’Aquitaine. Ils réussirent à reprendre en main la situation et crurent bon de rompre avec la politique de leur père qui gouvernait seul depuis 737. Carloman et Pépin estimèrent prudent de rétablir un roi mérovingien sur le trône. Ils allèrent chercher à Saint-Bertin un descendant de la famille mérovingienne et l’établirent sur le trône en 743. En fait, Childéric III n’était qu’un fantôme de roi, comme il le dit lui-même dans un diplôme : « Childéric, roi des Francs, à l’éminent Carloman, maire du palais, qui nous a établi sur le trône ». Carloman protégea le royaume contre les attaques des Saxons (expéditions de 742 et de 743). Il fit rentrer dans l’obéissance son beau-frère le duc Odilon de Bavière et, en 746, réprima sévèrement une révolte d’Alamans. Il entretint d’excellents rapports avec l’Église, promulguant un diplôme en faveur de l’abbaye de Stavelot en 744 et autorisant les compagnons de Wynfrid (saint Boniface) à s’installer à Fulda. Il demanda à Boniface de l’aider à réformer l’Église franque en réunissant un concile. Cette assemblée, qui se tint en 743, et non, comme on le disait autrefois, en 744, prit d’importantes mesures : interdiction aux clercs de combattre et de vivre comme les laïcs, rétablissement de la hiérarchie, lutte contre les pratiques païennes... Carloman promulgua un capitulaire pour imposer ces décisions. Peu après, une autre assemblée, réunie à Hestinnes, ou Leptinnes, dans le Hainaut, poursuivit l’œuvre réformatrice. Pépin imita son frère lors du concile de Soissons. Pour renforcer l’autorité de Boniface, Carloman voulut lui donner l’évêché de Cologne. Mais, devant l’hostilité d’une grande partie du clergé, il y renonça et installa Boniface comme métropolitain de la province de Mayence (745).
Carloman se sentit alors appelé à la vie religieuse. Il abandonna à son frère Pépin la mairie d’Austrasie et partit pour Rome. Le pape Zacharie lui confia l’abbaye du Mont-Soracte. Puis il chercha plus de solitude en s’installant au Mont-Cassin. Mais son rôle politique n’était pas terminé. Le roi lombard Astolf, menacé par Pépin, demanda en effet à Carloman d’intervenir pour empêcher l’expédition franque. Carloman échoua et Pépin jugea préférable de l’installer dans un monastère à Vienne, près de Lyon, où il mourut peu après. Son fils Drogon a peut-être tenté de s’opposer à son oncle Pépin, mais a été rapidement écarté.

     
 
768 - 814
 
     

CHARLEMAGNE ou CHARLES Ier LE GRAND

Roi de Neustrie, d'Austrasie et d'Aquitaine Occidentale
768 -771

Roi unique des Francs
771 -800

Empereur d'Occident
800 - 814

Né en 742 - mort à Aix-la-Chapelle en 814

Fils de Pépin le Bref

Marié une dizaine de fois

Enfants : Pépin et Louis Ier le Pieux ou le Débonnaire

Fils aîné de Pépin III et de Berthe dont le père, Caribert, comte de Laon, appartenait à la haute aristocratie mérovingienne, Charlemagne naquit en 742, peut-être le 2 avril, peut-être dans un des palais royaux de la vallée de l’Oise ou de l’Aisne. Si son instruction première fut certainement négligée, comme l’était à ce moment-là celle des laïcs, il semble cependant avoir été initié par Pépin à la connaissance des hommes, à la pratique gouvernementale et aux devoirs de la royauté à l’égard de l’Église. Il assista tout jeune à la visite que fit à son père le pape Étienne II et reçut, des mains de ce dernier, le sacre royal (754). Avant de mourir, Pépin, fidèle à la coutume qui avait longtemps prévalu chez les Mérovingiens, partagea le royaume entre ses deux fils (768) ; les régions qui furent attribuées à Charles entouraient celles de son frère Carloman comme d’un arc de cercle : c’étaient l’Austrasie avec ses dépendances germaniques (Frise occidentale, Hesse, Franconie, Thuringe), la Neustrie et l’Aquitaine maritime.
Les deux rois, qui résidaient à quelque distance l’un de l’autre, Charles à Noyon, Carloman à Soissons, ne s’entendaient guère. En vain leur mère essaya de les rapprocher. Pour prévenir des motifs de conflit au dehors, elle négocia le mariage de Charles avec une fille de Didier, roi des Lombards. Mais cette politique ne fit qu’aggraver la situation parce qu’elle isola Carloman et qu’en Italie Didier se crut libre de reprendre ses manœuvres contre la papauté. La mort de Carloman (771) épargna aux Francs la guerre ouverte entre les deux frères. Charles répudia la princesse lombarde et, sans réserver les droits de ses neveux, prit aussitôt possession de l’héritage de son frère. Il unit ainsi toute la Francie sous sa direction : un grand règne commence alors, dont l’aspect le plus visible est l’expansion, la « dilatation » du royaume.
Cette conquête se fit sans plan préconçu, Charlemagne utilisant au mieux les circonstances qui se présentaient. Jamais il ne put se consacrer à une seule tâche et la mener immédiatement à bonne fin, parce qu’il fut toujours obligé de conduire simultanément plusieurs opérations. Il en commence une, l’abandonne momentanément pour s’occuper d’une autre et reprend ensuite la première au point où il l’avait interrompue. Ses moyens militaires, bien qu’appréciables, sont limités. Il le sait et avance pas à pas.
Dès 772 commencent les campagnes contre les Saxons. Ce sont d’abord, comme sous Pépin III et Charles Martel, des expéditions de représailles répondant à des raids lancés contre les confins francs, au cours desquelles se précise cependant bientôt l’intention de créer une marche puissamment fortifiée entre la Lippe et la Diemel, destinée à mettre le royaume à l’abri de nouvelles offensives. En 773, Charles fut distrait de ces opérations par un appel au secours du pape Hadrien, directement menacé par Didier qui marchait sur Rome. Le roi des Francs franchit les Alpes, s’empara de Pavie après un long siège, reçut la soumission de toutes les régions du royaume de son adversaire et se proclama lui-même roi des Lombards (774). Les opérations se poursuivirent ensuite contre les Saxons ; plusieurs chefs ayant fait leur soumission et ayant promis de se faire baptiser, la Diète qui se tint en 777 à Paderborn put poser les premiers jalons de l’implantation de l’Église en Saxe. Cette première période de succès s’acheva assez brusquement l’année suivante. Appelée en Espagne par certains chefs arabes révoltés contre l’émir de Cordoue, cédant à l’illusion de pouvoir arracher à l’islam une partie au moins de la péninsule, Charlemagne franchit les Pyrénées et s’avança jusque devant Saragosse dont il ne put s’emparer ; il revint en France par le col de Roncevaux où son arrière-garde commandée par le comte de la marche de Bretagne Roland fut détruite par les montagnards basques (15 août 778). Le souvenir de cette défaite se trouve à l’origine de la chanson de geste la plus célèbre, La Chanson de Roland.
C’est dans la période qui s’ouvre alors, vers 779-780, que la maîtrise de Charlemagne s’affirma avec le plus d’éclat. En Saxe les premiers objectifs sont dépassés, et c’est tout le pays que les Francs s’efforcent de conquérir, autant pour des raisons de sécurité que pour y assurer le triomphe du christianisme. Les expéditions se succèdent désormais d’une année à l’autre, mais se heurtent à une résistance opiniâtre dirigée par le duc Widuking jusqu’en 785. Quand il eut cette année-là déposé les armes, la soumission du pays semblait acquise : dès 782, celui-ci avait été incorporé en principe au royaume franc. La Frise orientale (du Zuiderzee aux bouches de la Weser) fut pareillement annexée. En 788, ce fut au tour de la Bavière d’être réunie à l’État franc, après la destitution de son dernier duc national, Tassilon III.
D’importantes transformations apparaissent dans d’autres secteurs encore. Conscient du particularisme de l’Italie lombarde et de l’Aquitaine, Charlemagne les érigea l’une et l’autre en royaumes subordonnés pour ses deux fils cadets, Pépin et Louis (781). En Italie son autorité personnelle rayonna sur l’État pontifical, et même sur le duché lombard de Bénévent, où il réussit en 787-788 à déjouer les intrigues nouées contre lui par le duc Arichis et la cour de Constantinople et à imposer au fils d’Arichis la reconnaissance de sa suprématie.
L’élan dont témoigne cette période décisive fut à nouveau interrompu après 790. En Saxe les excès de l’administration franque provoquèrent, en 793, une rébellion très grave qu’on mit quatre ans à réprimer, et qui se poursuivit encore jusqu’en 804 dans les secteurs les plus septentrionaux du pays (Wihmode entre les bouches de la Weser et celles de l’Elbe et Nordalbingie au nord-est de la basse Elbe) : il fallut, pour en finir, procéder à des déportations massives de Saxons dans diverses régions de l’Empire. Dans le Sud-Est cependant, on enregistre le dernier grand succès du règne, trois campagnes victorieuses menées en 791, 795 et 796 contre le royaume des Avars (Autriche danubienne et Hongrie occidentale jusqu’à la Tissa), qui aboutirent à l’annexion au royaume franc des territoires situés à l’est de la Bavière entre l’Enns et le Wienerwald. Au-delà de ce secteur, aucune autre région ne semble avoir été annexée, puisqu’on voit de 796 à 822 subsister des principautés avars dont les chefs étaient vassaux de l’Empire.
La conquête s’arrêta aux environs de l’an 800. Au-delà de cette date, on n’enregistra plus que des entreprises limitées. Ainsi fut occupée la marche d’Espagne, entre les Pyrénées et l’Èbre (prise de Barcelone en 801). Fils aîné et homonyme de l’empereur, Charles (qui portait le titre royal depuis 788) conduisit des expéditions afin d’obtenir la soumission théorique des tribus slaves qui se trouvaient au contact de la Saxe et de la Bavière (Obodrites, Sorbes et Tchèques). L’intervention franque en Nordalbingie ne fut sans doute pas étrangère aux premiers raids danois contre lesquels Charlemagne prescrivit d’élever des fortifications sur les côtes de la mer du Nord et de la Manche : ainsi s’annonce le péril normand qui fondra sur l’Empire franc au cours du IXe siècle.
Vulnérable sur ses façades maritimes, comme l’avenir le démontra, l’État franc reçut cependant sur ses frontières terrestres une solide organisation défensive grâce au bienfaisant système des marches que créa Charlemagne.
Les unes, que l’on rencontre surtout sur les limites septentrionales et orientales, correspondent à des pays tout récemment conquis et font face à des peuples qui demeurent en dehors du royaume. Elles sont placées sous le commandement d’un chef militaire, le comte de la marche (marchio, Markgraf ou marquis), qui administre en outre les populations encore mal assimilées du territoire placé sous ses ordres : telles furent, face aux Danois, la marche saxonne englobant la Nordalbingie, ou celle qui s’étendit à l’est de la Bavière jusqu’au Wienerwald.
D’autres marches existent sur les frontières occidentales et méridionales. Les territoires qu’elles couvrent, soumis depuis longtemps aux Francs, ont reçu les cadres administratifs ordinaires, c’est-à-dire les comtés ; mais, en raison de la proximité de populations turbulentes, le roi superpose à un groupe de comtes un chef militaire unique, le marquis (ou le préfet), chargé de prendre toutes les dispositions pour la défense. Ce fut le cas de la marche de Bretagne, entre Rennes, Nantes et Angers, chargée de contenir les Bretons mal soumis d’Armorique, en arrière de laquelle fut érigé après 790, avec le titre de duché, un grand commandement militaire assuré par le fils aîné du roi Charles le Jeune. Au même type appartiennent la marche de Toulouse (ou de Gothie) couvrant l’ancienne Septimanie et, à la fin du règne, l’ensemble des comtés transpyrénéens qui formaient la marche d’Espagne.
Charlemagne nous est assez bien connu grâce à la biographie que lui consacra vers 830 Eginhard, qui avait été élevé à la cour et qui le connut fort bien, du moins pendant les dernières années de son règne. De haute taille (environ 1,90 m), le roi avait une forte carrure, le corps souple malgré une certaine tendance à l’embonpoint. Le visage était ouvert et imberbe ; c’est la légende qui l’affubla de la célèbre « barbe chenue ». La vitalité du roi était prodigieuse, son activité inlassable, son tempérament exubérant, ses mœurs très libres. On lui connaît, quand il fut très jeune, une première liaison dont naquit un fils, Pépin le Bossu (qui complota contre lui en 792 et fut interné dans un monastère), puis quatre épouses successives, la fille de Didier (que la légende appela Désirée), la Franque Hildegarde (morte en 783) qui lui donna quatre fils et cinq filles, la Franque Fastrade qui fut mère de deux filles (morte en 794) et enfin une Souabe, Liutgarde. Après la mort de celle-ci (800), il eut encore plusieurs concubines dont naquirent des fils et des filles. Tout cela évoque irrésistiblement la polygamie ancestrale. On notera cependant que la conduite de Charlemagne ne fut pas officiellement blâmée par l’Église et que lui-même, chrétien sincère et très assidu à la pratique religieuse sous toutes ses formes, ne ressentit jamais l’écart qui existait entre sa religion et sa vie privée ; il ne faut pas oublier non plus qu’on se trouve dans une époque où une éthique laïque et une vie sacramentelle exigeante et régulière étaient pratiquement inexistantes. Pour compléter le portrait de Charlemagne, citons encore la simplicité de son abord, son intelligence lucide, sa capacité d’adaptation à toutes les circonstances, son goût pour la culture et de très solides qualités morales : les contemporains ont loué sa magnanimité et sa constance. « Il savait, écrit Eginhard, résister à l’adversité et éviter, quand la fortune lui souriait, de céder à ses séductions. » Mêlés à ces qualités, voici maintenant des défauts auxquels le biographe ne fait pas allusion mais que révèle l’action de l’empereur : entre tous, son autoritarisme extrême allant jusqu’au despotisme, sa propension à la violence qui le fit parfois tomber dans la cruauté, comme en témoignent certains épisodes des guerres de Saxe (massacre de Verden en 782, déportations...). Au total, une personnalité de tout premier plan, capable de produire une impression considérable sur tous ceux qui l’approchaient, ce qui permet de comprendre que la légende se soit emparée de Charlemagne de son vivant.
Le gouvernement du roi des Francs s’exerçant essentiellement sur des hommes (et non point sur la terre), Charlemagne tint à se les attacher par le serment de fidélité qu’il exigea à trois reprises (789, 793, 802), parce qu’il le considérait comme un remède aux défectuosités que présentait l’administration du royaume. Il tenta cependant d’améliorer la pratique et d’abord de résoudre le problème essentiel, celui des rapports entre la royauté et l’aristocratie, par l’extension de la vassalité et son incorporation à l’État. Mais l’institution fut incapable de rendre tous les services que Charlemagne attendait d’elle : l’emploi de la terre comme moyen de rétribution des vassaux et des fonctionnaires en fut le plus grave défaut, qui dérive directement de l’économie naturelle qui prévalait alors en Occident. Dans ces conditions, l’administration du royaume demeura rudimentaire et distendue et fonctionna au moyen d’institutions héritées de l’époque mérovingienne. Elles furent cependant réactivées et complétées sur certains points d’après les idées personnelles du roi ou en raison des besoins nouveaux qui naissaient des circonstances. Ainsi en fut-il, par exemple, d’une meilleure organisation des fiscs royaux, c’est-à-dire des terres appartenant au domaine de l’État, points d’appui et moyen d’action principal du souverain, ou encore du perfectionnement de l’institution des missi assurant le contact entre le palais et l’administration locale.
Dans la même perspective s’inscrit la très importante réforme de la justice, promulguée, semble-t-il, peu après 780. Elle réduisit le nombre des cours judiciaires ou plaids généraux à trois par an, en vue de diminuer la charge très lourde que représentait, pour les hommes libres, l’obligation d’assister à ces assises que le comte présidait dans sa circonscription. Elle créa, d’autre part, un corps de juges spécialisés, les échevins, qui devaient être désignés par les missi en accord avec les comtes et nommés à vie. Il leur appartenait de proposer la sentence que le comte ou son représentant se bornait à promulguer et à appliquer. Inspirée par la volonté d’assurer aux sujets une meilleure justice, la réforme judiciaire n’eut cependant que des résultats partiels. Son application fut une préoccupation constante de Charlemagne, dont les capitulaires ne cessent de rappeler les comtes et les échevins à leur devoir : le roi ne pouvait faire confiance aux hommes.
Conscient des lacunes et des défaillances de l’appareil administratif, désireux de pallier les insuffisances de la structure politique, Charlemagne voulut s’appuyer sur une Église forte et mettre celle-ci au service de l’État. L’idée n’était point nouvelle, mais sa réalisation fut poussée bien plus loin qu’elle ne l’avait été jusqu’alors. D’une part, les évêques et les abbés sont associés aux tâches de l’administration séculière. Ils prennent part aux grandes assemblées annuelles et participent activement aux décisions qui y sont prises. Ils conduisent à l’ost leurs propres vassaux ; dans les cités, évêques et comtes se surveillent réciproquement. Lorsqu’ils ont reçu un privilège d’immunité, évêques et abbés administrent directement, à l’exclusion des agents de l’État, les terres de leurs églises et les hommes qui y sont fixés. L’Église franque, d’autre part, subit la tutelle du roi qui poursuit la réforme de l’institution commencée depuis 743. Charlemagne légifère pour l’Église, soit par l’intermédiaire de conciles, soit directement en s’inspirant de la collection de canons et de décrétales de l’Église ancienne, dite Dionysio-Hadriana, dont le pape Hadrien Ier lui avait adressé un exemplaire en 774. En outre, il prend en main l’administration de l’Église, surveille de très près la gestion de ses biens, en dispose parfois quand il s’agit pour lui de caser des vassaux, contrôle efficacement le comportement des évêques et des clercs. Mieux encore, il organise l’évangélisation des régions nouvellement conquises (Saxe, pays des Avars) et intervient autoritairement dans les controverses théologiques du temps (culte des images, adoptianisme, Filioque). On ne saurait enfin passer sous silence les efforts que Charlemagne consacra au relèvement spirituel et moral du clergé et des fidèles ; ce programme se développa avec une intensité croissante depuis 789. Le souverain se fait prédicateur, recommande l’éducation chrétienne des enfants, fait une obligation aux prêtres de prêcher, veille à ce que le culte soit célébré avec piété et exactitude. Mais il s’efforça surtout de développer l’instruction des clercs ; ce souci primordial est à la base du renouveau intellectuel qui commença à la fin du VIIIe siècle et qu’on appelle la renaissance carolingienne.
Maître d’un royaume singulièrement « dilaté », protecteur de l’Église et du peuple chrétien qui avait trouvé son unité spirituelle sous sa conduite, Charlemagne jouissait d’une autorité immense. Il l’accrut encore, comme l’écrit Eginhard, « en se conciliant l’amitié de plusieurs rois et de plusieurs peuples ». Des relations étroites se nouèrent entre l’Église franque et l’Église anglo-saxonne. Avec le plus puissant des rois anglais, Offa de Mercie, Charlemagne entretint des rapports courtois, interrompus parfois par des moments de mésentente ; en 809, il parviendra, avec l’aide du pape, à faire restaurer en Northumbrie le roi Eardulf qui, renversé par ses sujets, s’était réfugié auprès de lui ; son prestige, s’il faut en croire son biographe, rayonna jusqu’aux princes bretons de l’ouest de l’île. En 798, il vit venir à lui une ambassade du roi Alphonse II de Galice qui se déclara « son homme » et lui proposa de lutter en commun contre l’islam. De Palestine lui arrivèrent en 799 et en 800 des messagers du patriarche de Jérusalem l’invitant à assumer la protection des Lieux saints et de la communauté chrétienne. Les relations excellentes qui s’instauraient à ce même moment entre la cour franque et le calife abbasside Haroun ar-Rachid (échanges d’ambassades entre 797 et 807) permirent à Charlemagne d’exercer en Terre sainte, sinon un protectorat juridiquement défini, du moins une sorte de tutelle morale et d’étendre sa sollicitude aux églises, monastères et hospices de Palestine. Les rapports du roi des Francs avec l’Empire byzantin furent plus complexes ; d’abord bons au point qu’il fut question en 781 d’un mariage entre une de ses filles, Rothrude, et le jeune empereur Constantin VI, ils s’envenimèrent lorsque Charlemagne tenta d’étendre sa suprématie à l’Italie du Sud – depuis la création du royaume d’Italie et de l’État pontifical, Byzance la considérait comme un domaine réservé à son influence exclusive – et quand l’impératrice-régente Irène eut réuni à Nicée le VIIe concile œcuménique sans y inviter l’Église franque (787). Il en résulta une période de tension, marquée par des opérations militaires et la condamnation en règle de la politique religieuse byzantine par les Livres carolins. Cette tension dura jusqu’en 797, lorsque Irène, qui avait saisi le pouvoir impérial, se hâta de faire la paix avec le roi des Francs.
On conçoit dès lors que le prestige et le pouvoir de Charlemagne vers la fin du VIIIe siècle soient parvenus à un point où le titre royal à dû paraître insuffisant pour les exprimer l’un et l’autre. Le roi se trouvait comme tout naturellement porté vers une dignité supérieure. Aux yeux de l’élite intellectuelle, celle-ci ne pouvait être que l’Empire. Et de fait, au cours des années qui précèdent 800, on rencontre dans certaines sources le terme d’empire (romain ou chrétien) pour traduire la réalité carolingienne. Charlemagne, quant à lui, semble s’être contenté d’abord d’imiter l’empereur en titre, celui de Byzance, par un certain nombre de signes extérieurs renforçant son prestige et enseignant qu’il était « le roi semblable à l’empereur » : le palais et surtout la chapelle de sa résidence d’Aix, où il se fixa vers 792, devaient être la réplique de ceux de Constantinople. Dans ces conditions, tout porte à croire que l’initiative de faire du roi des Francs un empereur soit venue de la papauté. Successeur d’Hadrien Ier, élu en 795, le pape Léon III, dont la situation était mal assurée, se rapprocha étroitement de Charlemagne et s’efforça de rendre efficace une protection dont il avait le plus grand besoin, en orientant sur le roi la tradition de Constantin, l’empereur chrétien par excellence. On comprend dès lors qu’à la suite d’un attentat dont il fut l’objet en 799, le pape se soit rendu auprès de Charlemagne, à Paderborn en Saxe, pour solliciter son appui contre les rebelles. S’il est infiniment probable qu’il fut question de l’empire dans les entretiens du pape et du roi, il semble aussi qu’aucune décision ne fut prise sur la manière dont serait effectuée la promotion impériale. L’Empire, certes, ne pouvait renaître qu’à Rome, et cette donnée conférait un rôle de tout premier plan au pape, mais, en l’occurrence, son autorité se trouvait fort compromise par les accusations dont les Romains l’accablaient auprès du roi. Voilà pourquoi Charlemagne, avec sa prudence coutumière, se garda d’une décision prématurée. Il renvoya donc Léon III à Rome, accompagné de hauts dignitaires francs, chargés d’ouvrir une enquête et de rétablir la paix entre le pape et la population. Lui-même attendit encore un an et demi avant de se rendre à Rome. Accueilli dans la Ville éternelle avec les mêmes honneurs que ceux qui étaient autrefois décernés à l’empereur en personne, le 23 décembre 800, il présida une assemblée mixte, composée de Romains et de Francs, devant laquelle Léon III se disculpa par un serment purgatoire de toutes les accusations qui avaient été portées contre lui. Après quoi, l’assemblée émit le vœu que Charlemagne prît le titre d’empereur ; il l’accepta. Le surlendemain, jour de Noël, avant la messe qu’il était venu entendre à Saint-Pierre, Léon III lui imposa une couronne et ce geste fit retentir l’acclamation des Romains : « À Charles Auguste couronné par Dieu, grand et pacifique empereur des Romains, vie et victoire ! » Le couronnement et l’acclamation – celui-ci précédant celle-là, à l’inverse de ce qui se passait dans le rite d’avènement byzantin – avaient créé l’empire. Mais l’imprécision avec laquelle il venait de renaître imposa au nouvel empereur l’obligation d’en définir le sens et la portée, de le situer devant l’Empire byzantin et d’en assurer la transmission. Ce problème majeur occupa largement les dernières années du règne.
L’effet le plus certain de la dignité suprême que Charlemagne avait reçue fut de lui faire prendre conscience de l’accroissement de ses responsabilités : empereur, dirigeant l’empire chrétien, il se considéra plus encore que dans le passé comme répondant devant Dieu de la manière dont vivait le peuple soumis à son autorité. Nul doute aussi qu’il n’ait subi l’influence du souvenir de la Rome impériale qui avait donné ses lois au monde : il ne faut jamais oublier que la renaissance de l’Empire est inséparable de la redécouverte de la tradition antique par les érudits de la cour. Autant de raisons qui firent déployer à Charlemagne à partir de 802 une activité législative intense pour fixer le droit ecclésiastique et séculier de l’empire ; signalons par exemple le travail de correction et de complément de plusieurs lois nationales (loi salique, loi des Ripuaires, loi des Bavarois) et la mise par écrit d’autres lois (ainsi celles des Frisons, des Chamaves, des Saxons et des Thuringiens). À cela s’ajoute l’effort immense, pathétique même, pour promouvoir le triomphe des principes chrétiens dans le jeu des institutions et dans la vie quotidienne. Renforcement des obligations nées de la prestation du serment de fidélité que prêtèrent pour la troisième fois les sujets en 802 ; défense des hommes libres contre l’oppression des grands et les exactions des fonctionnaires ; interdiction de l’accaparement des vivres et de la hausse illicite des prix ; condamnation du principe de se faire vengeance soi-même ; recommandation de l’arbitrage : autant de mesures qui montrent l’empereur au service de la paix, définie d’après saint Augustin comme l’accord dans l’ordre, et qui doit reposer sur la bonne volonté collective que les textes appellent « concorde » ou « unanimité ». Tel semble être le contenu essentiel de l’idée impériale à la fin du règne de Charlemagne. Le malheur fut que l’immense majorité des hommes se révéla absolument incapable de comprendre ces notions et que l’empereur n’eut pas les moyens d’en imposer l’application. Il y a là une tragique disparité entre un concept grandiose et la réalité.
Décédé le 28 janvier 814, quelques mois après avoir associé à l’empire son seul fils survivant, Louis d’Aquitaine, Charlemagne fut inhumé dans la chapelle palatine d’Aix. Son souvenir, porté à la fois par la légende et par une tradition historique continue, ne devait jamais disparaître de la mémoire des hommes. Héros principal des chansons de geste, garant de l’indépendance et de la pleine souveraineté du royaume, patron de la royauté en France, Charlemagne demeura pour l’Allemagne l’empereur par excellence dont les plus illustres successeurs s’efforcèrent de poursuivre les tâches, celle d’abord de reconstituer l’empire et de défendre son honneur. L’idée impériale et une tradition ecclésiastique presque unanimement favorable se conjuguèrent pour promouvoir le grand Carolingien aux honneurs de la sainteté. Canonisé le 29 décembre 1165 à l’initiative de l’empereur Frédéric Barberousse, Charlemagne devint l’objet d’un culte liturgique dans de nombreuses églises d’Allemagne, de France, et même d’Espagne et d’Italie. Ce culte a dans l’ensemble disparu mais il est toujours célébré à Aix-la-Chapelle.

 

 

     
 

814 - 840

 
     

LOUIS Ier le DEBONNAIRE ou le PIEUX

Roi d'Aquitaine 781 - 814

Empereur d'Occident 814 - 833 et
834 - 840

Né à Chasseneuil en 778 - mort près d'Ingelheim en 860

Fils de Charlemagne

Marié deux fois

Enfants : Lothaire Ier, Pépin Ier, Louis le Germanique et Charles le Chauve

Bien qu'à l'origine de la renaissance carolingienne il ne parvint pas à préserver l'unité de l'empire.
Nommé roi d'Aquitaine à l'âge de trois ans, il resta seul héritier après la mort de ses frères, et succéda à son père en 814. En 816, il fut couronné par le pape Étienne IV à Reims. Entouré de conseillers ecclésiastiques, il s'impliqua personnellement dans la réforme monastique et apporta son soutien à Benoît d'Aniane lors du concile monastique d'Aix-la-Chapelle en 817. Désireux de maintenir la cohérence de l'empire carolingien, il chercha à régler le problème de sa succession dès 817 par l'ordinatio imperii. L'aîné de ses trois fils, Lothaire Ier, fut considéré comme le seul héritier, et fut dès lors associé aux affaires de l'empire. Quoique subordonné à son frère, Louis dit Louis II le Germanique reçut la Bavière, et Pépin l'Aquitaine. Cependant, le neveu de Louis Ier et petit-fils de Charlemagne, Bernard, roi d'Italie, se révolta contre ce partage, et fut sévèrement châtié par l'empereur, qui lui fit crever les yeux en 818. En 824, il gagna le droit de contrôle sur les élections pontificales, ce qui consolida le pouvoir impérial. Mais en 829, sa décision de revenir sur le premier partage et d'inclure dans la succession son quatrième fils, le futur Charles le Chauve, issu d'un second mariage, ébranla son pouvoir. Cette décision provoqua en effet la révolte de ses autres fils, qui capturèrent leur père au Lügenfeld près de Colmar, en juin 833, et le firent déposer par l'archévêque de Reims. Louis Ier fut rétabli par Pépin et Louis le Germanique, qui jalousaient Lothaire, mais son image demeura définitivement ternie. À sa mort en 840, il ne demeurait plus rien de l'idéal unitaire de l'empire, qui fut démembré par le traité de Verdun de 843.

     
 
817 - 838
 
     

PEPIN Ier

Roi d'Aquitaine

Né en 803 - mort à Poitiers en 838

Fils de Louis Ier le Débonnaire

 
     
 
839 - 848
 
     
 

PEPIN II

Roi d'Aquitaine

Né en 823 - mort à Senlis après 865

Fils de Pépin Ier

     
 
817 - 855
 
     

LOTHAIRE Ier

Roi de la partie centrale de l'empire carolingien 817 - 832

Empereur d'Occident 833 - 834

A nouveau Empereur d'Occident 840 - 855 (mais il ne contrôle plus la Francie de l'Ouest

Né en 795 - mort à Prüm en 855

Enfants : Louis V le Fainéant

Fils aîné de Louis le Pieux et d’Irmingarde. Dès 814, son père lui confie le gouvernement de la Bavière. En 817, à vingt-deux ans, Lothaire est associé à l’Empire et déclaré seul héritier. Cette décision influera sur toute sa politique. Louis le Pieux, veuf, s’étant remarié avec Judith, dont il a un fils, le futur Charles le Chauve, Lothaire est envoyé en Italie. Il s’installe à Pavie, est sacré empereur par Pascal Ier et soumet la papauté à son autorité (Règlement de 824). La même année, il introduit en Italie les réformes scolaires et prévoit l’établissement de plusieurs centres de culture (capitulaire d’Olonna).
Bien qu’il ait été choisi comme parrain du jeune Charles, il fait vite figure d’opposant à Judith et à son clan. En Italie, il prépare, en 829, une révolte contre son père, et il y associe ses deux autres frères, Pépin et Louis. Mais l’empereur Louis le Pieux reprend l’initiative en 831 et prévoit un partage de ses États dans lequel le jeune Charles a sa part. En 833, Lothaire se révolte à nouveau, appuyé par une partie du haut clergé et même par le pape Grégoire IV. Louis le Pieux, qui a été abandonné par les siens au « champ du mensonge », en Alsace, doit faire pénitence publique à Soissons. Lothaire apparaît comme le seul détenteur de l’autorité impériale. Mais cette fois son attitude scandalise ses frères et, ayant demandé pardon à son père, il doit retourner en Italie. Après la mort de son frère Pépin, Louis le Pieux et Judith reconsidèrent le partage ; Lothaire est invité à défendre les intérêts de son filleul.
Après la mort de Louis le Pieux, en 840, Lothaire revendique toute la succession et décide d’occuper les parts de Charles et de Louis dit le Germanique. Les deux frères forment une alliance et battent les troupes de Lothaire à Fontenoy-en-Puisaye (juin 841), bataille qui est considérée comme un « jugement de Dieu ». À Strasbourg, les deux frères se prêtent mutuellement serment (842), puis gagnent Aix-la-Chapelle, la capitale de Lothaire. Ce dernier est forcé d’accepter l’idée d’un partage de l’Empire. Après de nombreuses discussions, il est décidé à Verdun, en 843, que Lothaire aura les territoires compris entre les parts de Charles et de Louis allant de la Frise à l’Italie centrale, comprenant les deux capitales d’Aix et de Rome . En tant qu’aîné Lothaire gardait le titre impérial.
Installé à Aix, Lothaire envoie son fils aîné Louis et son oncle Drogon en Italie. Le pape Serge II sacre Louis roi et souhaite voir les trois frères pratiquer une politique d’entente. Des conférences périodiques sont organisées soit pour coordonner la résistance aux Normands, soit pour susciter des réformes. Les trois frères se rencontrent à Uutz, près de Thionville (oct. 844), à Meersen, près de Maastricht (févr. 847), dans le même endroit en mai 851. Mais cette « politique de confraternité » ne donne pas grands résultats. Lothaire se considère toujours comme le seul détenteur de l’autorité. En 850, il fait couronner son fils Louis empereur. À la fin de sa vie, il se rapproche de Charles le Chauve contre Louis le Germanique. En février 854, Lothaire et Charles concluent à Liège une alliance solennelle et mettent leurs forces en commun pour lutter contre Louis et contre les Normands.
Se sentant malade, Lothaire prépare sa succession entre ses trois fils : Louis, l’empereur, a l’Italie ; Lothaire II, les régions comprises entre Frise et Jura, c’est-à-dire la future Lotharingie ; Charles, le reste. Lothaire Ier se retire au monastère de Prüm, où il meurt à soixante ans.

     
 
838 - 875
 
     

CHARLES II Le CHAUVE

Roi d'Aquitaine
838

Roi de France de l'Ouest
840

Roi de Lorraine
869

Roi de Lorraine et de Bourgogne
870

Empereur
875

Né à Francfort-surèle-Min en 823 - mort à Avrieux en 877

4ème fils de Louis Ier le Pieux

Enfant : Charles et Louis II le Bègue

Fils cadet de Louis Ier le Pieux, âgé de vingt ans en 843, Charles avait reçu une éducation soignée. Doué d’un goût artistique très sûr, se passionnant pour les lettres, la dialectique et la théologie, il fit de sa cour, où enseigna de 845 à 867 Scot Érigène, un centre brillant de culture. Mais cet intellectuel eut un règne mouvementé. La partie occidentale de l’Empire d’Occident lui était échue au traité de Verdun en 843. Les circonstances lui imposèrent un combat perpétuel : contre des clans infidèles de l’aristocratie qui n’hésitèrent pas à faire appel à deux reprises à son frère Louis le Germanique, contre les Bretons auxquels il fallut céder les comtés de Rennes, Rézé et Nantes, contre les Aquitains dont il finit par reconnaître le particularisme, contre les Normands surtout, créateurs d’un état permanent d’insécurité dans les régions bordant la Seine et la Loire.
En dépit de ces difficultés, Charles le Chauve s’efforça d’agrandir son royaume vers l’est. Il guettait notamment la Lotharingie dont le roi, Lothaire II, maître aussi depuis 863 du centre du royaume de Provence, mourut en 869. Charles se fit aussitôt sacrer roi de Lorraine à Metz et parvint jusqu’à Aix-la-Chapelle mais, devant la réaction hostile de Louis le Germanique, il ne put garder que l’ouest de la Lorraine avec les pays d’entre Rhône, Alpes et Durance (traité de Mersen, 870). Le pape Jean VIII le couronna empereur le 25 décembre 875 ; lui-même réussit à se rendre maître du royaume d’Italie et de la Provence, mais il subit, en 876 à Andernach, un grave échec devant les forces de son neveu Louis de Saxe, lorsqu’il tenta de s’emparer de la Lorraine orientale.
Rappelé en Italie par Jean VIII pour venir en aide à l’Église romaine, l’empereur, malgré l’opposition de l’aristocratie qu’il ne put endiguer que partiellement par le capitulaire de Quierzy (octroi aux seigneurs de l’hérédité des fiefs), franchit les Alpes une seconde fois. Mais il recula presque aussitôt devant l’arrivée d’une armée germanique supérieure en nombre. Il expira non loin de Modane.

     
 
856 - 879
 
     

LOUIS II Le BEGUE

Roi de Neustrie
856

Roi d'Aquitaine
867

Roi de Francie Occidentale
877 - 879

Né en 846 - mort à Compiègne en 879

Enfants : Louis III, Carloman II, Charles III le Simple

Deuxième fils de Charles le Chauve et d'Ermentrude, il succéda à son père en 877. Maladif, Louis II le Bègue (ou le Fainéant) eut du mal à se faire reconnaître, et dut multiplier les concessions aux grands vassaux. Il mourut peu après son accession au trône en laissant deux fils d'un premier lit, Louis (futur Louis III) et Carloman, ainsi qu'un fils posthume, Charles le Simple (futur Charles III).

     
 
879 - 882
 
     

LOUIS III

Roi avec Carloman de Neustrie et d'Austrasie

Né vers 863 - mort à Saint-denis en 882

Fils aîné de Louis II le Bègue, il reçut le royaume à la mort de celui-ci avec son frère Carloman. L'empire carolingien continua à se disloquer sous son règne. Il dut céder la Lotharingie occidentale à Louis le Jeune, roi de Germanie, et laissa Boson, beau-frère de Charles le Chauve, se faire proclamer roi de Bourgogne-Provence. Le partage avec Carloman lui laissa la Francie et la Neustrie. À sa mort, en 882, Carloman hérita de l'ensemble du royaume.

     
 
879 - 884
 
     

CARLOMAN II

Roi avec Louis III d'Aquitaine, de Bourgogne et de Septimanie
879 - 882

Roi de Francie Occidentale
882 - 884

Né vers 866 -mort en 884

Fils de Louis II Le Bégue

Régna jusqu'en 882 avec son frère Louis III puis seul

 
     
 
880 - 887
 
     

CHARLES II le GROS

Empereur
879 - 882

Roi de Francie Occidentale
884 - 887

Fils cadet de Louis Ier le Pieux, âgé de vingt ans en 843, Charles avait reçu une éducation soignée. Doué d’un goût artistique très sûr, se passionnant pour les lettres, la dialectique et la théologie, il fit de sa cour, où enseigna de 845 à 867 Scot Érigène, un centre brillant de culture. Mais cet intellectuel eut un règne mouvementé. La partie occidentale de l’Empire d’Occident lui était échue au traité de Verdun en 843. Les circonstances lui imposèrent un combat perpétuel : contre des clans infidèles de l’aristocratie qui n’hésitèrent pas à faire appel à deux reprises à son frère Louis le Germanique, contre les Bretons auxquels il fallut céder les comtés de Rennes, Rézé et Nantes, contre les Aquitains dont il finit par reconnaître le particularisme, contre les Normands surtout, créateurs d’un état permanent d’insécurité dans les régions bordant la Seine et la Loire.
En dépit de ces difficultés, Charles le Chauve s’efforça d’agrandir son royaume vers l’est. Il guettait notamment la Lotharingie dont le roi, Lothaire II, maître aussi depuis 863 du centre du royaume de Provence, mourut en 869. Charles se fit aussitôt sacrer roi de Lorraine à Metz et parvint jusqu’à Aix-la-Chapelle mais, devant la réaction hostile de Louis le Germanique, il ne put garder que l’ouest de la Lorraine avec les pays d’entre Rhône, Alpes et Durance (traité de Mersen, 870). Le pape Jean VIII le couronna empereur le 25 décembre 875 ; lui-même réussit à se rendre maître du royaume d’Italie et de la Provence, mais il subit, en 876 à Andernach, un grave échec devant les forces de son neveu Louis de Saxe, lorsqu’il tenta de s’emparer de la Lorraine orientale.
Rappelé en Italie par Jean VIII pour venir en aide à l’Église romaine, l’empereur, malgré l’opposition de l’aristocratie qu’il ne put endiguer que partiellement par le capitulaire de Quierzy (octroi aux seigneurs de l’hérédité des fiefs), franchit les Alpes une seconde fois. Mais il recula presque aussitôt devant l’arrivée d’une armée germanique supérieure en nombre. Il expira non loin de Modane.

     
 
888 - 898
 
     

EUDES

Roi de Francie Occidentale

Né vers 860 - mort à La Fère en 898

Fils de Robert le fort, il hérita des domaines de celui-ci (comté de Paris, Orléanais, Touraine, Blésois) en 886, et devint ainsi le plus grand seigneur du royaume de France. Défenseur ardent de Paris contre les Normands, en 885-886, il fut choisi par les grands du royaume pour monter sur le trône de France à la place du carolingien Charles le Simple, alors âgé de huit ans et il fut couronné à Compiègne en 888. Il subit les attaques des partisans de Charles le Simple, qu'il vainquit en 897. Sentant sa fin proche, il demanda cependant à ses sujets de reconnaître ce dernier pour roi, avant de s'éteindre le 1er janvier 898.

     
 
893 - 927
 
     

CHARLES III Le SIMPLE

Roi de la Francie de l'Ouest avec Eudes
893 - 898

Roi de Francie
898 - 923 puis de nouveau en 927

Né en 879 - mort à Péronne en 929

Fils posthume de Louis II le Bègue, Charles III le Simple est écarté de la royauté par les grands de Francie occidentale après les brefs règnes de ses frères Louis III (mort en 882) et Carloman (mort en 884). Il n’a alors que cinq ans et on lui préfère d’abord l’empereur Charles le Gros, plus capable d’organiser la défense face aux Vikings qui ravagent le pays ; puis, après l’abdication et la mort de l’empereur (888), le fils de Robert le Fort, Eudes, défenseur de Paris face aux Vikings en 885. Mais les échecs du nouveau souverain provoquent un complot et une guerre entre Charles et Eudes qui dure jusqu’à la mort de ce dernier (898).
Désigné comme roi par Eudes lui-même, Charles le Simple reçoit l’hommage des grands ; il est obligé de concéder à Robert, frère du roi défunt, déjà en possession du marquisat de Bretagne et de plusieurs comtés entre Seine et Loire, la libre disposition des comtés neustriens, ce qui crée de fait une principauté en Neustrie, au moment où le nom même de Neustrie disparaît des textes. Par le traité de Saint-Clair-sur-Epte (911), Charles remet au chef Rollon la Haute-Normandie actuelle avec Rouen. Ce traité met un point final aux invasions des Vikings dans le royaume franc. Il est aussi à l’origine d’une nouvelle principauté qui vient s’ajouter à celles de Flandre, de Bourgogne, d’Aquitaine et de Neustrie déjà existantes. Si bien que la zone où s’exerce directement l’autorité royale est la région comprise entre Seine et Meuse, la Francie proprement dite.
Charles le Simple essaie de trouver un appui à l’Est en acceptant la royauté de Lorraine à la mort du dernier carolingien de Germanie, Louis l’Enfant en 911. Mais il ne tarde pas à se brouiller avec l’aristocratie lorraine et son princeps Giselbert, ce qui amène l’intervention du roi de Germanie Henri Ier (920). De plus, le déplacement du centre de gravité du pouvoir vers l’Est a entraîné le soulèvement des comtes de Francie et de Neustrie, dont Robert de France a pris la tête. En 922, ce dernier est élu et sacré roi, mais il est peu après tué dans la bataille qui l’oppose à Charles près de Soissons (13 juill. 923). Ses partisans portent alors à la royauté son gendre, le duc Raoul de Bourgogne ; et Charles, tombé dans un guet-apens tendu par Herbert de Vermandois, disparaît pour mourir dans sa prison de Péronne six ans plus tard. La reine se réfugie en Angleterre avec son fils, le futur Louis d’Outremer.
Herbert de Vermandois entreprenait de se constituer une principauté dans le dernier réduit de la puissance monarchique, le pays d’entre Seine et Flandre. L’affaiblissement du pouvoir royal dont témoigne la constitution de principautés territoriales est caractéristique de ce règne sous lequel, pourtant, le titre royal, jusque-là sans déterminant, est devenu rex francorum.

     
 
922 - 923
 
     

ROBERT Ier

Couronné Roi de Francie par les seigneurs

Né vers 865 - mort à Soissons en 923

Enfants : Emma (épouse Raoul, duc de Bourgogne) et Hugues le Grand ou l'abbé

Second fils de Robert le Fort, frère d'Eudes, il accepta de reconnaître comme roi le prince carolingien Charles le Simple en échange de la souveraineté sur une région s'étendant de la Loire à la Seine et, d'est en ouest, de la Bourgogne à la côte. Il vainquit le Normand Rollon qui assiégeait Chartres (911). Élu roi à Reims contre Charles le Simple en 922, il fut tué à Soissons, en 923, en combattant contre lui. Son petit-fils Hugues Capet devait monter sur le trône de France, fondant une dynastie de rois pour quatre siècles.

     
 
923 - 936
 
     

RAOUL DE BOURGONGE

Couronnée par les seigneurs
923

Roi de Francie puis roi avec Charles le Simple
927 -929

Roi seul
929 -936

Mort à Auxerre en 936

Gendre de Robert Ier

Raoul (ou Rodolphe) de Bourgogne épousa la fille de Robert Ier, roi de France, et fut élu pour lui succéder en 923, contre Charles III le Simple. Menant la guerre contre les Hongrois et contre les Normands, il conclut une paix avec ces derniers en 924, mais dut reprendre les armes pour faire cesser leurs incursions sur son territoire. Il les vainquit définitivement en 930.

     
 
936 - 954
 
     

LOUIS IV d'OUTREMER

Elu par les seigneurs & sacré roi des Francs

Né en 921 - mort à Reims en 954

Enfants : Lothaire, Charles

Fils de Charles le Simple et d'une princesse anglo-saxonne, il fut élevé en Angleterre, ce qui lui valut son surnom. Rappelé d'Angleterre par Hugues le Grand, il fut élu roi en 936 grâce au soutien de celui-ci qui espérait ainsi s'assurer le contrôle du royaume carolingien par l'intermédiaire de ce jeune roi. Mais la ténacité de Louis IV contraria les plans d'Hugues le Grand, qui le laissa tomber aux mains des Normands en 945. Il ne le libéra qu'après avoir assuré sa domination sur la Francie et la Bourgogne et s'être fait céder la ville de Laon, dernière des possessions carolingiennes. Louis IV demanda alors un soutien à Othon le Grand et réussit à récupérer Laon, ainsi qu'à faire reconnaître sa souveraineté par Hugues le Grand. Il mourut en 954 d'une chute de cheval et son fils Lothaire lui succéda.

     
 
979 - 987
 
     

LOUIS V le FAINEANT

Roi des Francs

né en 967 - mort à Compiègne en 987

Fils de Lothaire Ier

Il eut la réputation d'être soumis à l'influence de sa mère qui avait, disait-on, empoisonné son père. Associé au gouvernement du royaume dès 978, il poursuivit la politique antigermanique de son père. Il s'opposa à l'archevêque de Reims, Aldabéron, que soutenait secrètement Hugues Capet. Il mourut sans héritier en 987 des suites d'une chute de cheval, laissant le trône à Hugues Capet, élu à sa succession. La dynastie carolingienne fut alors remplacée par la dynastie des Capétiens, qui devait régner sur la France jusqu'en 1328.

     
LES CAPETIENS
     

Le couronnement d'Hugues Capet en 987 marque la naissance d'une longue dynastie qui règne sur la France en succession directe ou indirecte pendant plus de huit siècles, jusqu'en 1848, avec une brève interruption de 1792 - 1814.

La branche des Capétiens directs s'étend de 987 à 1328, avec quinze rois en 341 ans.

L'idée d'une transmission héréditaire de la couronne par l'héritier mâle le plus âge s'impose progressivement ; c'est ainsi que, de 987 à 1316, treize rois se succèdent de père en fils, depuis Hugues Capet jusqu'à jean Ier le Posthume.

Tous travaillent dans le même sens et permettent d'enraciner la dynastie : s'imposer aux grands féodaux, agrandir le domaine royal, lutter contre les puissances étrangères sont leurs buts.

Pour la première foisn en 1316, à la mort de Jean Ier le Postume, se pose le problème de lassucession, l'enfant-roi étant mort quelques jours après sa naissance.

C'est son oncle, Philippe V le Long, qui monte sur le trône ; de même, quand il meurt en 1322 sans héritier mâle, c'est son frère et dernier fils de Philippe IV le Bel, Charles IV le Bel, qui devient roi.

C'est l'application du principe de la loi salique qui, même s'il n'est évoqué que plus tard, triomphe, excluant les femmes de toute succession royale.

En 1328, la mort de Charles IV le Bel sans héritier mâle marque la fin de la dynastie des Capétiens directs et le passage de la couronne à la branche des Valois.

     
 
987 - 996
 
     
HUGUES CAPET

Roi de France

Né vers 941 - mort en 996

Fils aîné d'Hugues le Grand (Fils de Robert Ier)

Epouse : Adélaïde d'Aquitaine

Enfants : Robert II le Pieux, Hedwige, Gisèle

Issu de la famille des Robertiens qui domine la Francie (région entre Meuse et Loire) depuis un siècle, et qui a déjà donné deux rois (Eudes — 888-898, et Robert — 922-923), Hugues Capet est, à la veille de son élection à la royauté, le prince le mieux pourvu du royaume : duc de France, duc de Bourgogne, il est suzerain du duc de Normandie (il a par là des droits sur la Bretagne) et suzerain (théorique) du duc d’Aquitaine, tandis que le roi de Bourgogne est son frère. Il dispose donc de domaines, de vassaux et d’une brillante parentèle. Le rétablissement du souverain carolingien en la personne de Louis d’Outremer (936) n’a pu se faire que grâce à Hugues le Grand, père d’Hugues Capet. Depuis cette date, le duc de France passe alternativement du soutien à l’affrontement avec le roi. En 985, l’écolâtre de Reims, Gerbert, l’esprit le plus brillant de son temps et remarquable politique, peut écrire : « Le roi de fait, c’est Hugues. »
Autour de l’archevêque de Reims, Adalbéron, et de Gerbert, sont reprises les idées d’empire unique, garant de la paix : d’où l’admiration des deux hommes pour l’empire néo-carolingien des Ottons. De plus, la solidité de l’archevêché de Reims, sa situation partie dans l’Empire germanique, partie dans le royaume de France, devait amener son chef à jouer un rôle décisif dans l’avènement d’Hugues Capet. Le dernier roi carolingien, Louis V, comme son père Lothaire l’avait déjà fait, accuse Adalbéron de trahison au profit de l’empereur et convoque un plaid pour le juger à Compiègne le 18 mai 987. Or le roi meurt d’un accident de chasse : la situation se retourne en faveur d’Adalbéron qui fait élire Hugues à Noyon, puis le sacre à Soissons le 1er juin (ou à Reims le 3 juin). Les descendants du nouveau souverain allaient régner huit siècles.
Cette élection inopinée déclenche la réaction du prétendant carolingien, Charles de Basse-Lorraine, oncle du roi défunt, qui s’empare de Laon en mai 988. Il trouve l’appui d’Arnoul, bâtard du roi Lothaire, qui devient archevêque de Reims à la mort d’Adalbéron (989) et donne la ville à Charles. Les deux Carolingiens sont donc solidement établis au cœur de la Francie, et seule la trahison de l’évêque de Laon, Ascelin, livre cette cité, ainsi que Charles de Lorraine et ses enfants, à Hugues (mars 991). Reste alors à régler le sort de Reims et de son évêque : Hugues se défie de la papauté qu’il juge trop liée à l’empereur germanique ; il réunit un concile national au monastère Saint-Basle de Verzy, qui dégrade Arnoul et lui substitue Gerbert (juin 991), à la grande colère du pape Jean XV.
Ce règne marque une certaine prise de conscience par la royauté de sa personnalité distincte par rapport à l’Empire, mais le souverain reste très faible. Une étude des actes issus de la chancellerie royale montre qu’aucun n’est destiné aux régions du sud du royaume, et de nombreux actes ne sont plus souscrits par le roi et le chancelier seuls, mais le sont aussi par de grands personnages dont l’autorité vient conforter celle du souverain. Pourtant, la continuité dynastique a pu être assurée : Hugues Capet s’est immédiatement associé son fils Robert le Pieux, créant par là une hérédité de fait.

     
 
996 - 1031
 
     

ROBERT II Le PIEUX

Roi de France

Né à Orléans vers 970 - mort à melun en 1031

Fils d'Hugues Capet

Marié trois fois : à Rosala-Suzanne,veuve du comte de Flandre, qu'il répudie pour épouser sa cousine Berthe de Bourgogne, veuve de Eudes Ier de Blois. Epouse en troisèmes noces Constance de Provence (1003)

Enfants : Henri Ier, Hedwige, Hugues, Robert Ier (duc de Bourgogne), Eudes, Adèle

Robert fit ses études à Reims sous la houlette du savant Gerbert d'Aurillac, qui devait devenir le pape Sylvestre II. Il en acquit un grand sens de l'humilité et de la charité, d'où le nom de Robert le Pieux qui lui fut attribué postérieurement. Il exerça le pouvoir en partage avec son père, Hugues Capet, dès 987. Cependant, après avoir répudié sa première épouse, Rosala, fille de Bérenger, roi d'Italie, et épousé en secondes noces sa cousine Berthe de Bourgogne (996), il encourut, malgré sa foi, l'excommunication papale. Deux ans plus tard, le pape Grégoire V l'excommunia et annula un mariage incestueux pour l'Église. En 1003, Robert II se soumit au pape, et épousa la fille du marquis de Provence, Constance d'Arles, qui lui donna quatre fils. Il fut ensuite confronté à des révoltes féodales. Considéré comme un soldat courageux et un souverain avisé, il parvint à mater les rébellions par la conquête des comtés de Dreux, Melun, Sens et de la Bourgogne (1016). En plus de ces annexions, il renforça également le royaume capétien en se faisant le garant de la « paix de Dieu ». Il encouragea ainsi les moines de Cluny, qui furent à l'origine de la réforme du clergé français à partir du XIe siècle et qui œuvrèrent notamment pour le développement de l'enseignement, des institutions de paix, de l'hospitalité et de l'aumône. La succession de Robert II fut problématique. En 1025, à la mort de son fils aîné, Hugues, désigné à la succession au trône, ses autres fils se révoltèrent. Robert se battit contre eux jusqu'à sa mort. Ce fut finalement son fils Henri Ier qui lui succéda en 1031, l'année de sa disparition.

     
 
1031 -1060
 
     

HENRI Ier

Roi France

Né en 1008 - mort à Vitry-aux-Loges en 1060

Marié deux fois : Mathilde (nièce de l'empereur d'Allemagne). En seconde noces, épouse Anne de Kiev vers 1051.

Enfants : Philippe Ier, Robert (mort en bas âge), Hugues le Grand (Comte de Vermandois)

Il dut lutter contre la tentative d’usurpation de son frère cadet, Robert, à une époque où le trône était constamment menacé par la puissance des grands féodaux.
Second fils de Robert II le Pieux et petit-fils d’Hugues Capet, fondateur de la dynastie capétienne, Henri, duc de Bourgogne en 1017, fut associé au trône en 1027, deux ans après la mort de son frère aîné, Hugues, et cela malgré la volonté de sa mère, Constance d’Arles. Celle-ci, en l’absence de définition précise des règles de primogéniture, aurait préféré faire couronner son fils cadet, Robert.
Aussi, dès la mort de son père en 1031, Henri Ier eut-il à affronter une rébellion conduite par sa mère et son frère, appuyés par les grands du royaume, et particulièrement par le comte de Blois, Eudes. Henri Ier bénéficia cependant du soutien de l’empereur germanique, Conrad II le Salique, qui projeta de lui faire épouser l’une de ses filles, morte avant d’arriver en France, ainsi que du duc de Normandie, Robert le Magnifique, auquel il céda le Vexin français en échange de son aide.
Après la mort de sa mère, survenue en 1034, Henri Ier, lassé d’une lutte qui affaiblissait son pouvoir, céda la Bourgogne en apanage à son frère, pour faire cesser le conflit qui les opposait. Il dut pourtant continuer à combattre Eudes de Blois jusqu’en 1039, tentant d’affirmer son autorité depuis un domaine royal exigu, enserré entre le comté de Blois et la Normandie, alors que la Bretagne, la Bourgogne et l’Aquitaine se tenaient pour des territoires indépendants.

     
 
1060 - 1108
 
     

PHILIPPE Ier

Roi France

Né vers 1052 - mort à melun en 1108

Fils d'Henri Ier et d'Anne de Kiev

Epouse Berthe de Hollande

Enfants : Louis VI le gros, Constance, Philippe de Mantes, Florus, Cécile

Couronné à Reims en 1059 en présence de son père, Philippe Ier, fils d’Henri Ier (mort en 1060) et d’Anne de Kiev, ne règne seul qu’à partir de 1066, car sa mère, assistée de son oncle, le comte de Flandre Baudouin V, et de l’archevêque de Reims, Gervais, exerce la régence de 1060 à 1066. Sous son règne se dessinent les grandes lignes de la politique des souverains capétiens du XIIe siècle : assurer une base réelle à la puissance royale en consolidant le domaine, et abaisser ou contenir les trop puissants vassaux.
Pour reconstituer le domaine royal, il s’empare d’une partie du Vermandois, du Gâtinais (1068), du Vexin français (1077), de la vicomté de Bourges et de la seigneurie de Dun-le-Roi (1101). Il développe l’administration royale aux dépens des seigneurs féodaux, et, pour assurer des revenus à la couronne, il dispose des biens d’Église et vend les charges ecclésiastiques, ce qui lui attire les foudres des réformateurs grégoriens. Au moment où le pape Urbain II prêche en France la première Croisade (1095), Philippe Ier est excommunié pour avoir répudié Berthe de Hollande et épousé Bertrade de Montfort.
Son vassal le plus redoutable est Guillaume le Conquérant, duc de Normandie devenu roi d’Angleterre (1066-1087). Philippe trouve l’appui des comtes d’Anjou et de Flandre qui se sentent aussi menacés par ce trop puissant voisin, et c’est pour consolider son alliance avec la Flandre qu’il a épousé Berthe de Hollande, sœur du comte Robert le Frison. Selon une politique reprise par ses successeurs, il s’efforce de développer les dissensions à l’intérieur de la famille du Conquérant, soulevant le fils, Robert Courteheuse, contre son père (1078) puis contre son frère, Guillaume II le Roux (1087-1100). Ayant conservé avec peine le Vexin français en 1087, Philippe laisse le soin des opérations sur le terrain à son fils Louis VI, associé à la couronne en 1098
.

     
 
1108 - 1137
 
     
LOUIS VI Le GROS ou Le BATAILLEUR

Roi France

Né vers 1081 - mort à Paris en 1137

Marié deux fois :Lucienne de Rochefort, Adélaïde de Maurienne

Enfants : Louis VII le Jeune, Isabelle (illégitime), Philippe, Henri, Robert, Hugues (mort jeune), Constance, Philippe, Pierre

Fils de Berthe de Hollande et de Philippe Ier, associé au trône en 1098 par son père qui lui avait confié les opérations militaires face aux Anglo-Normands, il doit se faire sacrer précipitamment le 3 août 1108 pour ne pas risquer la concurrence d’un fils de la seconde femme de son père, Bertrade de Montfort. Il épouse en 1115 Adélaïde de Savoie, nièce du pape Calixte II.
Sous son règne, le pouvoir royal s’affirme sur le domaine par l’élimination des seigneurs pillards d’Île-de-France : Ebbes de Roucy (1102), Enguerrand de Coucy (1117), et surtout Thomas de Marle (1130). Ce domaine est intelligemment mis en valeur suivant les conseils de Suger, abbé de Saint-Denis : création de villes neuves et privilèges fiscaux accordés aux communautés rurales contribuent à peupler l’Île-de-France. La charte de Lorris en Gâtinais servira de modèle pendant tout le XIIe siècle.
Au-delà du domaine, Louis VI essaie d’affirmer l’autorité de la justice royale dans les grands fiefs : il intervient avec succès en Bourbonnais et en Auvergne, mais il ne peut s’imposer ni en Normandie, ni en Flandre. Contre Henri Ier Beauclerc, duc de Normandie et roi d’Angleterre, il mène en vain trois campagnes pour soutenir les prétentions de Robert Courteheuse puis de Guillaume Cliton. En Flandre, il ne réussit pas davantage, après l’assassinat du comte Charles le Bon (1127), à imposer son protégé, le même Guillaume Cliton, contre Thierry d’Alsace. Ce second échec témoigne de l’existence de puissances nouvelles, les villes de Flandre, dont Louis VI n’avait pas respecté les privilèges.
Pourtant, comme dans son domaine, Louis VI saura jouer des forces socio-économiques nouvelles : il soutient l’établissement des communes urbaines en Picardie et en Flandre, comme il soutient les efforts des réformateurs grégoriens pour soustraire l’élection des évêques à l’autorité des princes, mais non à la sienne propre.
Cette politique porte ses fruits puisqu’en 1124, lorsque l’empereur Henri V, allié de Henri Ier Beauclerc son gendre, envahit la France, Louis VI obtient l’aide de tous ses grands vassaux, ce qui contraint l’empereur à se retirer sans combattre. Elle semble même remporter un succès sans précédent en 1137 : Louis VI marie son fils aîné, le futur Louis VII, à Aliénor, fille et unique héritière du duc d’Aquitaine. Le domaine royal s’étend de l’Oise aux Pyrénées, mais le divorce d’Aliénor et son remariage avec Henri II Plantagenêt (1152) devaient remettre en cause cette union contre nature du nord et du sud du royaume.

     
 
1137 - 1180
 
     

LOUIS VII Le JEUNE

Roi France

Né vers 1120 - mort à paris en 1180

Marié trois fois : Aliènor d'Aquitaine qu'il répudia par la suite ; Constance de Castille ; Adèle de Champagne.

Enfants : Philippe II Auguste, Alix, Maris

Fils de Louis VI et d’Adélaïde de Savoie, Louis VII le Jeune a épousé, juste avant son accession au trône, l’héritière d’Aquitaine, Aliénor. Il a alors seize ans. Il commence par écarter sa mère de la cour et gouverne avec l’excellent conseiller de son père, l’abbé de Saint-Denis, Suger. Résidant le plus souvent à Paris, il poursuit la politique paternelle de soumission et de mise en valeur du domaine royal : il multiplie les concessions de privilèges aux communautés rurales, encourage les défrichements et favorise l’émancipation des serfs ; il prend appui sur les villes en accordant des chartes de bourgeoisie (Étampes, Bourges). Hors du domaine, il soutient le mouvement communal (Reims, Sens, Compiègne, Auxerre) et surtout il soutient l’élection d’évêques dévoués au pouvoir royal.
C’est autour d’affaires d’élections épiscopales qu’éclatent les premières crises du règne : en 1138, le roi accorde son investiture pour l’évêché de Langres à un moine de Cluny et non au candidat de Bernard de Clairvaux et, surtout, en 1141, il veut imposer au siège de Bourges son propre candidat contre Pierre de La Châtre, élu du chapitre de la cité, soutenu par le pape Innocent II qui excommunie Louis VII. Pierre de La Châtre s’étant réfugié en Champagne, le roi envahit le comté et brûle Vitry (1142). Mais il doit finalement accepter l’élection de Pierre de La Châtre pour faire lever l’interdit qui pèse sur le royaume. Il se croise peu après (Noël 1145) pour répondre à l’appel de Bernard de Clairvaux et, confiant son royaume à Suger, il gagne Antioche, échoue devant Damas et rentre en France (1147-1149). C’est pendant cette expédition que serait née la brouille entre le roi et son épouse, qui devait aboutir à un divorce aux funestes conséquences pour le royaume.
Aliénor se remarie aussitôt avec Henri II Plantagenêt, comte d’Anjou et duc de Normandie, qui s’empare ainsi de l’Aquitaine, avant de devenir roi d’Angleterre en 1154. Dès lors, malgré une réconciliation passagère, les affrontements sont permanents. Ne pouvant affaiblir son adversaire, Louis VII soutient l’archevêque de Canterbury Thomas Beckett et les fils révoltés de Henri II, Henri et Richard (1173). Il faudra l’autorité du pape pour imposer à Henri II la conclusion du traité d’Ivry en 1177.
Outre l’appui des papes qu’il a soutenus contre l’empereur, Louis VII a trouvé contre le Plantagenêt l’alliance du comte de Flandre et du comte de Champagne, dont il épouse la fille, Adèle, mère de Philippe Auguste, en troisièmes noces (1160). Il meurt après quarante-trois ans de règne, ayant, comme ses prédécesseurs, associé son fils à la monarchie pour assurer la continuité dynastique.

     
 
1180 - 1223
 
     

PHILIPPE II AUGUSTE

Roi France

Né à Paris 1165 - mort à Mantes en 1223

Marié trois fois : Isabelle de Hainaut, Indeburge de Danemark, Agnès de Méranie

Enfant : Louis VIII le Lion

Fils de Louis VII et d’Adèle de Champagne, Philippe II Auguste trouve à son avènement un domaine florissant mais restreint, comprenant l’Île-de-France, l’Orléanais et une partie du Berry. Le reste du royaume est partagé en une dizaine de fiefs sur lesquels le roi n’a qu’un droit théorique de suzeraineté, surtout quand il s’agit des provinces de l’Ouest réunies dans la dépendance du roi d’Angleterre Henri II Plantagenêt. Le jeune roi — il a quinze ans — entreprend immédiatement d’accroître son domaine et de tirer parti des rivalités entre les grands.
En avril 1180, il épouse Isabelle de Hainaut qui lui apporte l’Artois en dot. Mais il entre bientôt en conflit avec le comte de Flandre, oncle de sa femme, et une grande coalition féodale est nouée : le roi parvient à la défaire (traité de Boves, 1185), ce qui lui vaut de rattacher à la couronne les comtés d’Amiens, de Montdidier et les châtellenies de Roye et de Thourotte.
La grande entreprise du règne fut l’abaissement des Plantagenêts. Philippe Auguste soutient les fils révoltés (Henri puis Geoffroi) contre leur père Henri II. Un coup de main sur Issoudun lui permet d’imposer sa volonté et d’acquérir une partie du Vermandois tandis qu’il marie sa fille à Jean sans Terre, fils du roi d’Angleterre (traité de Châteauroux, 1187). La lutte n’en continue pas moins jusqu’à la capitulation de Henri II à Azay-le-Rideau le 4 juillet 1189. Richard Cœur de Lion, devenu roi, part pour la croisade avec Philippe Auguste : l’entente n’est que passagère, et le roi de France, rentré précipitamment (1191), intrigue contre son allié devenu le rival de Jean sans Terre et, surtout, du duc d’Autriche qui arrête Richard à son retour et le livre à l’Empereur. La lutte reprend à la libération de Richard (1194) et tournait nettement à l’avantage de Cœur de Lion, quand celui-ci est tué au siège de Châlus en Limousin (1199). Philippe Auguste ne reconnaît à Jean sans Terre le titre de roi que moyennant la cession d’une partie du Vexin normand, du pays d’Évreux et du Berry (traité du Goulet, 1200). En 1202, Jean sans Terre n’ayant pas répondu à une convocation devant la justice royale, ses fiefs sont confisqués et Philippe Auguste entreprend d’exécuter la sentence : la Normandie, le Maine, l’Anjou et le Poitou sont annexés (1204-1208). Un débarquement en Angleterre est préparé, mais une vaste coalition réunissant les comtes de Boulogne, de Flandre, de Hollande, les ducs de Lorraine, de Brabant, de Limbourg, et surtout l’empereur germanique, l’empêche d’aboutir. Le roi de France réussit néanmoins, par la victoire de Bouvines (27 juill. 1214), à défaire la coalition, assurant ainsi sa tranquillité au nord et à l’est, et supprimant tout appui continental à Jean sans Terre qui doit reconnaître de fait les conquêtes de son rival. Celui-ci le menace encore en soutenant son fils, le futur Louis VIII, qui tente en vain de conquérir l’Angleterre (1216-1217).
Le même prince royal Louis intervient ensuite en Aquitaine aux côtés de Simon de Montfort contre le comte de Toulouse et les albigeois ; et Philippe Auguste avait auparavant mis la main sur l’Auvergne (à partir de 1189) et la Champagne (1201 et 1213). À sa mort, il est de loin le plus grand seigneur du royaume et il a réussi à imposer son autorité aux grands feudataires les plus proches.
À l’intérieur, Philippe Auguste met en place des méthodes nouvelles de gouvernement rendues nécessaires par l’extension du domaine. Il institue les baillis, officiers nommés et révoqués par le roi, qui le représentent dans toutes ses fonctions. Les impôts restent exceptionnels (dîme saladine), mais la collecte plus soigneuse des revenus domaniaux et la vente de privilèges aux communes et aux métiers accroissent considérablement la trésorerie royale confiée aux Templiers. Ces ressources permettent de rétribuer des mercenaires et d’élever de puissants châteaux (Dourdan, Issoudun, Gisors) : l’art de la guerre féodale en est transformé. De même, le gouvernement central évolue : les sessions de la cour se spécialisent dans les affaires judiciaires et financières, préfigurant ainsi le Parlement et la Cour des comptes ; les deux offices les plus importants (de sénéchal et de chancelier) sont supprimés, et d’une façon générale les grands féodaux laissent la place à des hommes d’extraction plus modeste, reconnus pour leurs compétences. La cour se fixe à Paris où, à partir de 1194, sont conservées les archives royales. Philippe Auguste entoure la ville de remparts, fait paver les rues et favorise le commerce (privilège aux marchands de l’eau).
Reste que ses rapports avec l’Église ont été souvent compliqués, comme ceux de plusieurs rois capétiens, à cause d’affaires de divorce. Sa première femme étant morte, Philippe a épousé Isambour de Danemark (1193). Il obtient d’une assemblée d’évêques l’annulation de son mariage, et a deux fils d’une princesse bavaroise, Agnès de Méran. Le pape jette l’interdit sur le royaume (1200) et Philippe ne s’inclinera qu’en 1213. Pourtant, à l’intérieur du royaume, il a de très bons rapports avec le clergé, intervenant peu dans les élections épiscopales et favorisant les ordres monastiques. C’est un des éléments qui contribuent à asseoir définitivement l’autorité royale : pour la première fois depuis l’avènement des Capétiens, le prince royal n’est pas associé au trône et il sera sacré sans difficulté après la mort de Philippe Auguste qui a régné quarante-trois ans, presque autant que son père Louis VII et que son petit-fils Louis IX.

     
 
1223 - 1226
 
     

LOUIS VIII Le LION PACIFIQUE

Roi France

Né à paris en 1187 - mort à Montpensier, Auvergne, en 1226

Fils de Philippe Auguste

Epouse Blanche de Castille

Enfants : Louis IX le Saint, Philippe, Alphonse et Jean (jumeaux), Robert, Jean, Alphonse, Philippe-Dagobert, Etienne, Charles, Isabelle

Il combattit farouchement les Anglais et assura le retour sous l'autorité royale des provinces tenues par les albigeois.
Au cours du règne de son père, Louis défit le roi d'Angleterre Jean (dit « sans Terre ») à La Roche-aux-Moines, en 1214, avant de se voir proposer l'année suivante la couronne d'Angleterre par des barons hostiles à leur roi. Louis lança alors une expédition, mais ne put obtenir le trône du fait de la mort soudaine du roi Jean.
Devenu roi en 1223, Louis VIII s'appliqua à détruire le pouvoir des Plantagenêts en France en leur reprenant un certain nombre de territoires, puis se consacra aux croisades contre les hérétiques albigeois (ou Cathares) : il leur reprit Avignon en 1226. C'est au retour de cette croisade que Louis VIII mourut de dysenterie à Montpensier, en Auvergne, le 8 novembre 1226, après un bref règne de trois ans.
Les nombreuses conquêtes territoriales de Louis VIII lui permirent de créer des apanages pour trois de ses fils, qui se partagèrent l'Artois, le Poitou, l'Auvergne, l'Anjou et le Maine, tandis que son aîné, Louis IX, lui succédait.
     
 
1226 - 1270
 
     

LOUIS IX dit SAINT LOUIS

Roi France

Né à Poissy en 1214 - mort à Tunis en 1270

Fils de Louis VIII et Blanche de Castille

Epouse Marguerite de Provence

Enfants : Philippe III le Hardi, Louis, Jean, Pierre, Robert, Blanche, Isabelle, Blanche, Marguerite, Agnès

Figure majeure du Moyen Âge, Louis IX a joui d’une considérable popularité de son vivant et est passé à la postérité — sous le nom de Saint Louis — comme la personnification même du « roi chrétien », du « roi justicier », du « roi pacificateur » et du « roi croisé ».
Né à Poissy, Louis n’a que 12 ans à la mort de son père, Louis VIII le Lion ; sa mère, Blanche de Castille, fille d’Alphonse IX de Castille, assume la régence durant sa minorité. Énergique et austère, Blanche sait s’appuyer sur une équipe de remarquables administrateurs ainsi que sur le légat du pape, Romano Frangipani, qui devient son conseiller le plus proche. Dès le début de la régence, elle doit faire face à l’hostilité des grands féodaux qui s’opposent à un gouvernement féminin. Aussi, afin d’annihiler toute velléité d’indépendance des barons, le premier geste politique de la régente est de faire couronner Louis à Reims, le 29 novembre 1226.
Appuyée par Pierre Mauclerc, duc de Bretagne, et Henri III d’Angleterre, elle parvient à mater une première révolte qui se conclut par la signature du traité de Vendôme, mais doit bientôt affronter une seconde coalition (1228-1229). Elle réprime également la révolte des Albigeois en Languedoc — conférence de Meaux et traité de Paris (1229) — et, grâce à sa victoire sur le comte Raymond VII de Toulouse, impose une alliance entre le fils de Louis XI, Alphonse II, et l’héritière du comté, préparant ainsi le rattachement définitif du territoire à la Couronne (1271).
Le 25 avril 1234 est proclamée la majorité de Louis IX qui épouse, en mai de la même année, Marguerite de Provence (fille de Raymond Bérenger V) avec laquelle il a onze enfants. Néanmoins, Blanche de Castille reste associée au pouvoir et dirige les affaires du royaume jusqu’en 1244. De nouveau, les barons de l’Ouest et du Midi se soulèvent et, en 1242, Louis IX vainc leur allié Henri III d’Angleterre à Taillebourg et à Saintes.
À cette date, le roi jouit d’un prestige et d’une autorité indiscutables, que ses victoires successives et sa personnalité, sa bonté, sa justice et sa très grande piété ont contribué à forger. Attentif au sort de chacun de ses sujets et notamment des plus humbles, il est l’objet d’un véritable culte et ses vertus de thaumaturge sont déjà louées de son vivant.
Roi pieux et chrétien, Louis IX confie de nouveau le gouvernement à sa mère et, en août 1248, se croise contre les musulmans. Septième du nom, cette croisade part d’Aigues-Mortes pour l’Égypte, que le roi atteint le 5 juin 1249. Quatre jours plus tard, le 9 juin, il prend Damiette mais est vaincu et fait prisonnier à Mansoura (6 avril 1250). Après avoir été libéré contre une rançon et la restitution de Damiette, il séjourne quatre ans en Syrie, où il établit des camps fortifiés et rachète un très grand nombre de captifs. En 1252, la mort de Blanche de Castille le contraint à rentrer en France.
Malgré l’échec de la croisade et la destruction de son armée, le roi n’a rien perdu de sa grandeur. Conseillé par de nombreux clercs (franciscains et dominicains), il affirme de plus en plus son pouvoir, aussi bien dans les limites du royaume qu’à travers l’Europe. Par le traité de Corbeil (1258), il reçoit du roi Jacques Ier d’Aragon la Provence et le Languedoc en échange de la Cerdagne et du Roussillon. L’année suivante, il met un terme à la longue lutte entre Capétiens et Plantagenêts par le traité de Paris : il échange avec l’Angleterre le Quercy, le Limousin et le Périgord contre la Normandie, le Maine, l’Anjou, la Touraine et le Poitou, réglant ainsi durablement un conflit engagé depuis Philippe II Auguste et Jean sans Terre ; Henri III redevient alors l’homme lige du roi de France en tant que duc d’Aquitaine. En janvier 1264, le roi arbitre d’ailleurs (« mise d’Amiens ») en faveur de ce dernier dans un différend qui l’oppose aux barons anglais révoltés.
À l’intérieur du royaume, l’œuvre de Louis IX n’est pas moins remarquable. Son règne est marqué par un développement du pouvoir royal et par l’émergence d’un État qui se veut au service de tous, comme en témoignent les célèbres Enquêtes de 1247 et l’ordonnance de réformation de 1254. Son action en matière judiciaire contribue également au prestige de Louis IX, qui institue la « Quarantaine-le-Roi », imposant aux belligérants un délai de réflexion propice à l’ouverture de négociations afin de limiter, voire supprimer, les guerres privées. En conséquence, l’ordonnance de 1260 substitue à certaines coutumes médiévales des formes de justice plus modernes et plus équitables. D’autre part, Louis IX introduit la possibilité, pour tous les justiciables, d’en appeler au roi. Le monopole et la puissance des féodaux en sont amoindris d’autant.
De fait, il est peu de domaines dans lesquels Louis IX n’est pas intervenu. Les ordonnances de 1263 et 1266 assurent la diffusion de la monnaie royale sur tout le territoire. Le roi réforme aussi l’antique cour féodale en dissociant sa fonction de règlement des affaires judiciaires de celle de contrôle de la gestion des officiers et de tenue de la comptabilité. Il est ainsi à l’origine du Parlement et de la Cour des comptes. Enfin, par l’intermédiaire de la nomination d’Étienne Boileau à la prévôté de Paris en 1261, il favorise l’organisation et la codification des métiers de la capitale.
Pour venger le fiasco de la septième croisade et contrer la puissance des mamelouks égyptiens, Louis IX engage une nouvelle campagne contre la Tunisie en 1270. Dès le 24 mars 1267, il prend la décision de se croiser et, durant trois ans, déploie dans les préparatifs la même activité inlassable que lors de la précédente expédition. Cette fois, l’objectif visé est Tunis afin, semble-t-il, de venger la défaite de Mansoura. Le 2 juillet 1270, les croisés embarquent à Aigues-Mortes et arrivent le 17 devant Carthage, qui ne tarde pas à se rendre. Mais, plutôt que de s’acheminer en direction de Tunis, le roi préfère attendre les renforts de son frère Charles d’Anjou. À la fin du mois de juillet, la peste se déclare dans les rangs de l’armée et Louis IX meurt le 25 août, avant l’arrivée de son frère. Son fils aîné lui succède sous le nom de Philippe III le Hardi.

     
 
1270 - 1285
 
     

PHILIPPE III Le HARDI

Roi France

Né à Poissy 1245 - mort à Perpignan en 1285

Fils de Louis IX et de Marguerite de Provence

Marié deux fois: Isabelle d'Aragon, Marie de Brahant

Enfants : Louis (mort en 1276), Philippe IV le Bel, Charles de Valois (Roi d'Aragon)

Fils de Saint Louis et de Marguerite de Provence, Philippe III le Hardi a le malheur de succéder à un roi prestigieux et d’être finalement mal connu. Sa statue à Saint-Denis — image d’un roi vigoureux — ne correspond pas au portrait que tracent ses biographes : pieux, peu lettré, il aurait été le jouet de son entourage. En fait, les progrès de l’État sont tels que le roi a besoin de conseillers d’une autre trempe que ceux dont s’accommodait la royauté patriarcale. Leur activité fait douter du pouvoir réel du roi. Des noms sortent de l’ombre : Mathieu de Vendôme, abbé de Saint-Denis, et surtout Pierre de la Broce, ancien chirurgien et valet de chambre de Louis IX, parvenu au sommet des honneurs et de la fortune par la faveur de Philippe le Hardi. Bientôt, une violente cabale se déchaîne contre le favori ; elle n’hésite pas à utiliser les procédés les plus diffamatoires et parvient à le conduire au gibet (1278). Elle est menée par le cercle aristocratique de la jeune et jolie Marie de Brabant (épouse du roi en 1274 après la mort d’Isabelle d’Aragon), où se fait remarquer Charles d’Anjou, image type du chevalier conquérant. Entre les grands soucieux de conserver leurs privilèges, mais divisés en deux clans — celui de la reine en faveur des Angevins et celui de la reine-mère en faveur des Anglais —, et les avis de prudence des conseillers inquiets des problèmes financiers que pose à la royauté la hausse accélérée des prix et des dépenses, le roi hésite. L’annexion du Midi languedocien à la mort d’Alphonse de Poitiers (1271) se réalise sans grosses difficultés ; seul le comte de Foix résiste. Il cède le comtat Venaissin au pape Grégoire X en 1274 et le roi d’Angleterre reçoit l’Agenais en 1279. Cependant, Charles d’Anjou, le pape Martin IV et les barons consultés entraînent le roi dans la première guerre de conquête hors du royaume : la croisade en Aragon. C’est un échec (Girone, 1285). Philippe III meurt à Perpignan, victime d’une épidémie.

     
 
1285 - 1314
 
     

PHILIPPE IV Le BEL

Roi France et de Navarre

Né à Fontainebleau en 1228 - mort à Fontainebleau en 1314

Fils de Philippe III et d'Isabelle d'Aragon

Epoux de Jeanne de Navarre qu'il épouse en 1284 afin d'agrandir le domaine royal de la Champagne et de la Navarre

Enfants : Louis X le Hutin, Philippe V le Long, Charles IV le Bel, Marguerite et Blanche

L'un des principaux artisans d'une monarchie puissante et centralisée. Son règne fut marqué par l'accroissement considérable de l'autorité royale, obtenu grâce à l'affranchissement de la tutelle pontificale et au développement de l'administration.
En 1284, par son mariage avec Jeanne Ire de Navarre, Philippe acquit la Champagne et la Navarre. Il accéda au trône le 5 octobre 1285, à l'âge de dix-sept ans. Pour gouverner, il s'entoura de « légistes », spécialistes du droit romain et ardents défenseurs de l'autorité royale ; les plus connus sont Pierre Flote, Guillaume de Nogaret et Enguerrand de Marigny. Fort de leur appui, le roi poursuivit la centralisation monarchique qu'avait amorcée Louis IX. Les fonctions judiciaires devinrent le monopole d'une commission qui, peu à peu, se transforma en Parlement, organisé par le règlement de 1303. La même année vit le partage des fonctions financières entre l'ancienne Chambre aux deniers et une nouvelle Chambre des comptes, dont l'importance ne fera que croître. Confronté à d'incessantes difficultés d'argent, Philippe le Bel tenta d'établir une imposition directe et, ayant échoué dans cette entreprise, eut recours à divers expédients. Il confisqua notamment les biens des marchands lombards et des Juifs, avant de les faire arrêter puis expulser (les premiers en 1277, 1291 et 1311, les seconds en 1306). Avec l'aide de ses conseillers, il procéda à diverses altérations monétaires ; celles-ci, en frappant lourdement le petit peuple, provoquèrent des émeutes (Paris, 1306), qui furent durement réprimées. Toujours en quête d'argent, Philippe le Bel s'attaqua aux Templiers, dont il convoitait les biens (1307). Tous les chefs de l'ordre, dont le grand maître Jacques de Molay, furent arrêtés et remis au pape Clément V (1308) qui, sous la pression de Philippe le Bel, condamna un certain nombre d'entre eux au bûcher (1310) et supprima l'ordre (1312). En 1314, Philippe le Bel fit périr comme hérétiques les derniers dignitaires.
Soucieux d'obtenir le soutien de son peuple, notamment par des subsides, Philippe le Bel convoqua à plusieurs reprises des assemblées qui regroupaient des représentants de la noblesse, du clergé et de la bourgeoisie urbaine, et qui préfiguraient les futurs états généraux.
Voulant clore les hostilités avec Édouard Ier d'Angleterre, Philippe IV promit sa fille, Isabelle de France, au futur Édouard II d'Angleterre, et ce, malgré sa victoire militaire en Guyenne (1294-1299). Puis il tenta d'annexer la Flandre, dont il emprisonna le comte, Gui de Dampierre (1300), pour lui substituer Gui de Châtillon. Le comté se souleva et des officiers capétiens furent massacrés à Bruges. Après la défaite de Courtrai, à la bataille des Éperons d'or (1302), il remporta celle de Mons-en-Pévèle (1304) et acquit Lille, Douai et Béthune au traité d'Athis-sur-Orge (1305).
O pposé à l'ingérence pontificale dans les affaires du royaume, Philippe le Bel entra en conflit avec le pape Boniface VIII pour avoir tenté de lever des impôts sur le clergé. Par la bulle Clericis laicos (1296), le pape interdit aux clergés français et anglais le versement de subsides à un pouvoir laïque. Philippe le Bel répliqua alors en prohibant l'exportation de pièces d'or et d'argent, privant ainsi le pape des revenus français. En 1301, l'arrestation par le roi de l'évêque de Pamiers, Bernard Saisset, raviva le conflit un temps apaisé et suscita le rappel par Boniface VIII, de la suprématie pontificale (bulle Ausculta fili, 1301) et la convocation d'un concile. Philippe le Bel, quant à lui, réunit une assemblée des trois états (1302) qui assurèrent leur souverain de leur soutien et empêchèrent les évêques de se rendre au concile. Par la bulle Unam sanctam, le pape rappela sa suprême autorité et s'apprêtait à excommunier le roi, lorsqu'il fut fait prisonnier dans son palais d'Anagni, le 7 septembre 1303, par Guillaume de Nogaret et les Colonna, ennemis du pape (voir attentat d’Anagni). Délivré par ses partisans, le 9 septembre, Boniface mourut à Rome le 11 octobre. Le conflit ne prit véritablement fin qu'en 1305, lorsque Philippe le Bel imposa un Français à la tête de l'Église, Clément V, qui le déclara innocent des événements d'Anagni et annula toutes les décisions qu'avaient prises Boniface VIII à son encontre. Achevant d'assujettir la papauté à la tutelle monarchique, Philippe le Bel décida son installation à Avignon (1309, voir papauté en Avignon). Cette mesure, voulue à titre provisoire, devait se prolonger jusqu'en 1377.
Philippe le Bel mourut le 29 novembre 1314 à Fontainebleau, à la suite d'un accident de chasse. Son corps repose dans la crypte de la basilique de Saint-Denis, près de la tombe de son aïeul Louis IX. Ses trois fils, Louis X le Hutin, Philippe V le Long et Charles IV le Bel gouvernèrent successivement après lui.

     
 
1314 -1316
 
     

LOUIS X le HUTIN

Roi France et de Navarre

Né à Paris 1289 - mort à Vincennes en 1316

Fils de Philippe Le Bel et de Jeanne de Navarre

Epouse Marguerite de Bourgogne

Enfants : Jean Ier le Posthume, Jeanne de Navarre

Fils aîné de Philippe le Bel et de Jeanne de Navarre, Louis X hérite d’un domaine agrandi (la Champagne et le royaume de Navarre), d’une souveraineté renforcée, mais aussi des problèmes qui ont freiné l’action de son père à la fin de son règne. Sa première femme, Marguerite, fille de Robert II duc de Bourgogne, épousée en 1305, est mêlée au scandale de la tour de Nesle. Elle meurt, étouffée dans des conditions mystérieuses, à Château-Gaillard. Louis X, aux yeux de l’opinion largement informée, apparaît plutôt comme un roi fragile et malchanceux. Son avènement favorise une recrudescence de l’agitation. En fait, face à une situation économique et politique difficile, l’apparente résignation du roi le sert. L’expansion de la société féodale (XIe-XIIIe s.) atteint alors ses limites. La crise de subsistance de 1315-1317 marque le retournement de la conjoncture. Des milliers de personnes meurent de faim dans le nord du royaume. La hausse des prix, encore accélérée par la crise, provoque un mécontentement général. Les revendications sont surtout politiques. La petite noblesse en est le moteur. Des ligues, constituées dès 1314, pays par pays, présentent leurs doléances dans de longs rouleaux. Les nobles ruinés par la hausse des prix, n’admettent pas que l’administration royale locale empiète sur leurs pouvoirs et réduise leurs finances. Plutôt que de briser la résistance, Louis X choisit de négocier. Avec habileté, il met les abus sur le compte des officiers royaux et joue sur les particularismes locaux. Il octroie ainsi une série de chartes provinciales dans lesquelles il prend soin de réserver ses droits de roi. Le mouvement, peu cohérent, est vite désamorcé.
Mais, quand Louis X disparaît de façon prématurée, deux graves problèmes ne sont pas résolus. Les grands, hostiles aux méthodes de gouvernement de Philippe le Bel, et en particulier à l’entrée des légistes au Conseil, obtiennent, en 1315, l’exécution de l’impopulaire Enguerrand de Marigny. Le roi le sacrifie à la vindicte de tous. Cependant, les grands, menés par l’oncle du roi, Charles de Valois, ne désarment pas. Ils veulent à nouveau dominer le Conseil et diriger à leur profit les affaires du royaume. Mais, surtout, Louis X est le premier Capétien à ne pas laisser d’héritier mâle. De son premier mariage, il a eu une fille, Jeanne. Le sort de la monarchie est suspendu à l’héritier qu’attend sa seconde femme, épousée en 1315, Clémence de Hongrie. Celui-ci, un garçon, Jean Ier Posthume, ne vit que quelques jours. Le problème de la succession reste ouvert. Période de réaction violente sur un arrière-plan de crise, le règne de Louis X marque le pas dans les progrès de la monarchie. Le dialogue du roi et de la nation est devenu nécessaire.

     
 
1316
 
     

JEAN Ier le POSTUME

Roi de France et de Navarre pendant... les 5 jours de sa vie
(15 - 19 novembre)

Fils posthume de Louis X et Clémence de Hongrie

 
     
 
1316 - 1322
 
     

PHILIPPE V le LONG

Roi France etde Navarre

Né vers 1293 - mort à Longchamp en 1322

Deuxième fils de Philippe Le Bel

Epouse Jeanne de Bourgogne

Enfants : Jeanne, Marguerite, Isabelle, Philippe (mort en 1321), Louis (mort en 1316)

Frère de Louis X, deuxième fils de Philippe le Bel et de Jeanne de Navarre, Philippe V prend le pouvoir dans des conditions douteuses. En attendant la naissance de Jean Ier, il se déclare aussitôt régent du royaume et devient roi à la mort de ce dernier. Lettré, il a le sens du pouvoir. Son esprit de décision l’emporte sur les oppositions qu’il rencontre. À l’extérieur, il règle par la paix le problème flamand (paix du 2 juin 1320). À l’intérieur, tout en confirmant les chartes provinciales accordées par son frère, il centralise les institutions pour les rendre plus efficaces. L’Hôtel du roi, le Parlement, la Chambre des comptes sont réorganisés. Au Trésor, à Paris, convergent les recettes. Le roi tente, malgré l’opposition des seigneurs du Midi, d’imposer une monnaie commune dans l’ensemble du royaume. Mais, pour mener à bien sa tâche, il lui faut compter avec les ambitions des grands et l’avis des assemblées d’états. Vingt-quatre grands seigneurs siègent en priorité au Conseil où ils contrôlent la nomination des baillis et des sénéchaux, les donations et les mouvements de fonds. Mais, surtout, aucun progrès de l’État n’est possible sans l’accord des assemblées. Soit générales, soit partielles, celles-ci consentent aux impôts. Bureaucratisation galopante, train de vie accru, hausse vertigineuse des prix : les revenus tirés du domaine royal ne suffisent plus. La crise économique se résorbe lentement. Le pays connaît les révoltes de la misère, celle des pastoureaux, notamment, paysans déracinés et jeunes qui se font tailler en pièces dans une répression violente, comme les juifs et les lépreux qui sont autant de boucs émissaires. Philippe V, plus que ses prédécesseurs, est obligé de demander le consentement de ses sujets pour mettre en place une politique de revenus extraordinaires. Ces procédés, nourris aux idées démocratiques, favorisent le développement de l’opinion publique. Les assemblées d’états se mêlent aussi des affaires essentielles du royaume. Ce sont elles qui, en 1317, déclarent que les femmes ne succèdent pas à la couronne de France. C’est au cours de leurs discussions que naît l’idée de réformer le royaume. Passéiste, leur idéal est celui d’un retour à l’âge d’or du « bon roi Saint Louis ». Ainsi s’amorcent les principales revendications politiques du XIVe siècle. Comme Philippe V meurt en laissant seulement des filles de son mariage avec Jeanne, fille du comte palatin de Bourgogne Otton IV, ces idées trouvent dans une royauté fragile un terrain favorable à leur développement.

     
 

1322 - 1328

 
     

CHARLES IV Le BEL

Roi France et de Navarre

Né à Clermont en 1294 - mort à Vincennes en 1328

Marié trois fois : Blanche de Bourgogne, Marie de Luxembourg, Jeanne d'Evreux

Enfants : Jeanne, Louis, Jeanne, Marie, Blanche

Le plus jeune des fils de Philippe le Bel, Charles de la Marche, prend la succession de son frère Philippe V, mort sans héritier mâle, selon le précédent créé en 1317. Le scandale de la tour de Nesle après lequel il obtient l’annulation de son mariage avec Blanche de Bourgogne n’atteint pas le prestige du nouveau roi. Son voyage en Languedoc en 1324 est une suite de fêtes royales qui contribuent à sa popularité. Pour gouverner, il doit, comme ses frères, consentir aux exigences de réformes soutenues par la noblesse et le clergé. Les réformateurs généraux pour l’ensemble du royaume et surtout ceux de la ville et vicomté de Paris poursuivent leur tâche. Les charges financières et judiciaires accordées gratuitement sont restituées. Les officiers de la Chambre des comptes, du Parlement, des Requêtes de l’hôtel, de la Chancellerie et du Châtelet sont surveillés ; leur office réformé. Mais l’action des réformateurs ne freine ni la bureaucratisation, ni l’intrusion des bourgeois parisiens et auvergnats et, surtout, des compagnies italiennes dans les mouvements de fonds royaux. La recherche de moyens financiers reste un problème majeur. Mutations monétaires, impôts sur les marchandises, dîme levée avec l’accord du pape en prétendant partir à la croisade (1323), confiscation des biens des financiers italiens, octroi de chartes de communes sont autant d’expédients. Mais, à la mort de Charles IV, d’autres problèmes restent en suspens. Après avoir prononcé la confiscation de la Guyenne (1324), faute d’avoir reçu l’hommage du roi anglais Édouard II, guerres et négociations se succèdent dans le Sud-Ouest. En 1327, profitant de la faiblesse de la royauté anglaise, Charles IV impose un accord draconien : 50 000 marcs d’indemnité de guerre, 60 000 livres de relief ; les terres sont occupées en attendant le paiement de la somme. La mort de Charles IV risque de compromettre ce succès, d’autant qu’Édouard III, son neveu, est candidat à la couronne de France puisque le roi ne garde que des filles de ses deux mariages, avec Marie de Luxembourg (1322) et Jeanne d’Évreux (1324).

     
     
LES VALOIS DIRECTS
     

Cette branche de la dynastie des Capétiens accèdes au trône de France en 1328 avec Philippe VI, fils de Charles de Valois et neveu de Philippe IV le Bel, dont les trois fils étaient morts sans descendance mâle.

Le nouveau roi est choisi parmi les grands du royaumes, de préférences au roi d'Angleterre Edouard III, pourtant petit-fils par sa mère Isabelle de Philippe IV le Bel.

La dynastie des Valois règne sur la France de 1328 à 1589.

Trois branches en sont issues. les Valois directs, de 1328 à 1498, donnent sept rois de France, de Philippe VI à Charles VIII. C'est à nouveau une succession de père en fils pendant 170 ans.

Cette période très difficile est marquée par la guerre de Cent Ans, la détention du roi Jean II le Bon, la folie de Charles VI et la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons.

La seconde moitié du XVème siècle voit le redressement de l'autorité monarchique avec CHarles VII (1422 - 1461) et Louis XI (1461 - 1483).

En 1498, Charles VIII meurt sans héritier mâle et la couronne passe au plus proche prince du sang vivant, son cousin le duc d'Orléans, qui règne sous le nom de Louis XII.

     
 
1328 - 1350
 
     

PHILIPPE VI de VALOIS

Roi France

Né en 1293 - mort en 1350

Marié deux fois : en 1313 à Jeanne de Bourgogne ; en 1349 à Blanche de Navarre

Enfants : Jean II le Bon, Marie, Louis, Jean, Philippe

Premier souverain de la branche des Valois qui réussit à agrandir le domaine royal, mais entraîna la France dans la guerre de Cent Ans. Son règne, à bien des égards désastreux, fut marqué par une crise économique persistante.
Fils de Charles de Valois et de Marguerite de Sicile, neveu de Philippe IV le Bel et petit-fils de Philippe III, Philippe de Valois fut nommé régent au mois de février 1328, à la mort de son cousin germain, Charles IV, dernier des Capétiens directs, dont l’épouse était enceinte. Lorsque cette dernière accoucha d’une fille, le 1er avril 1328, se posa le problème de la succession au trône de France.
Philippe de Valois se vit opposer deux autres candidats : Philippe d’Évreux, petit-fils de Philippe III, qui réclamait l’héritage pour le compte de sa femme, Jeanne, fille de Louis X, et Édouard III, roi d’Angleterre, petit-fils de Philippe IV par sa mère, Isabelle de France. Réunis le 8 avril, les barons, sensibles au fait que seul Philippe de Valois était un prince français, réutilisèrent l’argument selon lequel « femme ne succède pas au royaume de France », déjà évoqué lors de la succession de Louis X, pour le porter au pouvoir. Sacré à Reims à la fin du mois de mai, Philippe VI, désireux d’éviter toute contestation future, céda en dédommagement la Navarre à Philippe d’Évreux et à son épouse, mais se fit reconnaître la possession de la Champagne.
Dès le mois de juin, le nouveau roi, sollicité par son vassal Louis de Nevers, comte de Flandre, en butte à une révolte des bourgeois flamands, convoqua l’ost pour le 22 juillet, et remporta en août la victoire de Cassel, qui fit beaucoup pour asseoir son prestige. Dès le début de son règne, cependant, il fut confronté à l’hostilité d’Édouard III, antagonisme qui fut la source d’un conflit dont les conséquences devaient se faire sentir durant un siècle.
La querelle se cristallisa d’abord sur la question de la Guyenne, possession anglaise dont Édouard III refusait de rendre hommage au roi de France, position qu’il conserva lors de l’entrevue d’Amiens, au mois de juin 1329, et sur laquelle il n’accepta de revenir partiellement qu’au mois de mars 1331. Profitant de cette période de paix, Philippe VI s’engagea dans des préparatifs pour une nouvelle croisade, dont le projet, faute de moyens, fut définitivement abandonné en 1336.
La même année, les relations avec l’Angleterre se détériorèrent de nouveau. La politique agressive de Philippe VI, dont les agents multipliaient les vexations à l’égard de l’administration anglaise en Guyenne, ainsi que le soutien apporté en Écosse à David Bruce contre le prétendant appuyé par Édouard III déterminèrent celui-ci à tenter une manœuvre d’intimidation : contre le comte de Flandre, allié de la France, il décréta l’interdiction d’exporter de la laine anglaise en Flandre, provoquant une grave crise dans le commerce du drap, qui constituait la principale source de richesse de la Flandre. Ce premier acte hostile déclencha une série d’escarmouches isolées entre troupes françaises et anglaises.
En 1337, le conflit prit un tour nouveau avec la confiscation de la Guyenne par Philippe VI, tandis qu’Édouard III se mettait à faire valoir ses droits d’héritier de la couronne de France. Malgré la médiation du pape, la guerre de Cent Ans s’engagea. Celle-ci débuta fort mal pour la France, car le roi d’Angleterre disposait de solides appuis, dont celui de l’empereur germanique Louis IV de Bavière et, en Flandre, celui de la bourgeoisie marchande, regroupée derrière un drapier, Jacques Van Artevelde, qui prit la tête du parti favorable aux Anglais.
Après le ravage de la Thiérache par les Anglais, en 1339, Édouard III, qui avait substitué sur son sceau les armes de France à celles d’Angleterre, arma une flotte qui rencontra les navires français à l’Écluse, près de Bruges, le 24 juin 1340, bataille où les Français furent écrasés. Dès le mois de septembre, cependant, la trève d’un an, signée à Esplechin, sembla annoncer une paix durable, d’autant que le ralliement de Louis de Bavière à Philippe VI était susceptible de calmer les ardeurs anglaises.
La mort de Jean II, duc de Bretagne, le 30 avril 1341, ouvrit un nouveau front : Philippe VI apporta en effet son soutien à la nièce du duc, Jeanne de Penthièvre, épouse de Charles de Blois, contre Jean de Montfort, demi-frère du duc et protégé par le roi d’Angleterre.
Les opérations militaires, favorables à Charles de Blois qui parvint à s’emparer de son adversaire et à l’emprisonner à Nantes, poussèrent à la rupture de la trève d’Esplechin. Cependant, après l’échec du siège de Vannes par Édouard III, en 1342, la trève de Malestroit, en janvier 1343, se solda par la libération de Jean de Montfort, sans régler la question de la succession de Bretagne. Philippe VI, de son côté, fit exécuter Olivier de Clisson et une douzaine de gentilshommes bretons qu’il accusait de collusion avec les Anglais, tandis que la guerre reprenait en Bretagne.
En mai 1345, Édouard III renouvela son défi au roi de France ; les hostilités gagnèrent la Flandre et la Guyenne, et, en juillet 1346, le roi d’Angleterre, débarqué à Saint-Vaast-la-Hougue, prit Caen et passa la Somme. Le choc entre les deux armées, qui eut lieu à Crécy le 26 août 1346, tourna à l’avantage de l’Angleterre qui, pour la première fois, utilisa l’artillerie dans une bataille. Les troupes anglaises, dont une partie se porta vers la Bretagne où Charles de Blois fut battu en juin, vinrent ensuite mettre le siège devant Calais, perdue pour la France en août 1347. Entre les deux pays, affaiblis par ces longues années de guerre, qu’aggravait en France l’épidémie de Peste noire, une trève fut conclue au mois de septembre, puis fut renouvelée l’année suivante.
Philippe VI réussit à augmenter le domaine royal des comtés de Valois, de Chartres, du Maine et de l’Anjou, apanages de sa maison, à obtenir la Champagne et la Brie, et, par achat, le Dauphiné et la ville de Montpellier. Mais son règne fut marqué par de constantes difficultés économiques, qui l’obligèrent à généraliser en 1341 un impôt sur le sel, la gabelle, à emprunter des sommes de plus en plus importantes au pape et à dévaluer la monnaie à plusieurs reprises. Ces mesures fort impopulaires contribuèrent à le discréditer.
En 1347-1348, la Peste noire, qui fit des dizaines de milliers de victimes, vint s’ajouter au fléau de la guerre et fut la cause directe de la grande famine de 1349, aucune récolte n’ayant pu être préparée.
Mort à l’abbaye de Coulomb, près de Nogent-le-Roi le 22 août 1350, Philippe VI laissait un royaume exsangue, menacé par les appétits anglais. Marié d’abord à Jeanne de Bourgogne, qui lui donna deux fils, dont son successeur, Jean II le Bon, Philippe VI avait épousé après son veuvage, en 1348, sa cousine Blanche, fille du roi de Navarre.
     
 
1350 -1364
 
     

JEAN II Le BON

Roi France

Né en 1319 - mort en 1364

Marié deux fois : en 1332 à Bonne de Luxembourg, fille du roi Hean de Bohême; en 1350 à Jeanne d'Auvergne.

Enfants : Charles V le Sage, Louis, Jean, Philippe,Jeanne, Marie, Agnès, Marguerite, Isabelle

Fils aîné de Philippe VI de Valois et de Jeanne de Bourgogne, Jean fut duc de Normandie, puis roi le 22 août 1350. Excellent chevalier, sa bravoure lui interdit la fuite qui avait sauvé son père à Crécy. D’intelligence probablement médiocre, il ne put éviter de graves maladresses qui lui aliénèrent le plus souvent le concours des états, maîtres de lui refuser les ressources financières pourtant indispensables au gouvernement. Hésitant entre la noblesse réformatrice, les bourgeois avides de promotion et les officiers au dévouement intéressé, il ne sut ni choisir ni jouer de leurs rivalités, et c’est à la faveur de sa captivité que la noblesse prit pour un temps le contrôle des rouages essentiels de l’État.
Il se brouilla avec les lignages les plus influents en faisant procéder à des exécutions sommaires, comme celle du connétable Raoul de Brienne (1350), envenima l’hostilité de son cousin le roi de Navarre, Charles le Mauvais, par d’inutiles spoliations, et humilia son propre fils, le futur Charles V, en faisant arrêter le Navarrais à Rouen alors qu’il y était l’hôte du jeune duc de Normandie.
Vaincu et pris par les Anglais à Poitiers le 19 septembre 1356 , il fut libéré après la conclusion du traité de Brétigny-Calais (1360), qui coûtait la moitié du royaume et une rançon de trois millions de livres. En janvier 1364, le roi Jean retourna en Angleterre prendre la place de son fils Louis d’Anjou, qui avait abandonné son rôle d’otage. Pendant la première captivité du roi, la France fut en proie à la révolte parisienne d’Étienne Marcel et à la Jacquerie.
La ferme reprise en mains du gouvernement par le régent Charles, le discrédit des états généraux après leurs excès et le début du rétablissement militaire font des dernières années de ce règne le prélude à celui de Charles V. Mais, si Jean le Bon n’y a guère de part, il ne porte pas davantage seul la responsabilité des catastrophes accumulées pendant son règne et que les difficultés rencontrées par Philippe VI annonçaient depuis vingt ans. Souvent critiquée, la décision de donner en apanage à son fils Philippe le duché de Bourgogne, venu à la Couronne par héritage, comportait sur le moment plus d’avantages — adhésion des Bourguignons, obstacle à l’intrusion du Navarrais dans l’affaire — que d’inconvénients, puisque la rivalité des maisons de France et de Bourgogne était imprévisible. Sans doute exagérément accablé par la postérité critique, comme exagérément loué par l’imagerie populaire, Jean le Bon est encore un sujet de controverse entre les historiens.

     
 
1364 - 1380
 
     

CHARLES V Le SAGE

Roi France

Né en 1338 - mort en 1380

Marie en 1350 à Jeanne de Bourbon (9 enfants)

Enfants : Charles VI le Fol, Jeanne, Bonne, Jeanne, Marie, Isabelle, Catherine, Louis, duc d'Orléans, Jean

Fils aîné de Jean II le Bon et de Bonne de Luxembourg, le futur Charles V fut le premier fils de France à porter le titre de dauphin de Viennois, en même temps que celui de duc de Normandie. Présent aux côtés de son père pendant la bataille de Poitiers, il dut ensuite, comme lieutenant du roi, puis comme régent, gouverner le royaume pendant la captivité du roi Jean. C’est alors que le dauphin Charles dut faire face aux prétentions politiques des états généraux de 1356 et 1357, à la rébellion parisienne qu’animait le prévôt des marchands Étienne Marcel, à l’hostilité permanente du roi de Navarre, dont les droits à la couronne de France avaient été trop rapidement écartés en 1328, et à la jacquerie qui soulevait les paysans de la région parisienne contre les propriétaires et les créanciers. Les excès de ces différents mouvements finirent par les discréditer, et le dauphin avait parfaitement repris en main le pouvoir lorsqu’il fallut mener à leur terme les négociations consécutives à la victoire anglaise de 1356. Pour désastreux qu’il fût, le traité de Brétigny-Calais (1360), qui amputait la France d’une moitié de son territoire et la soumettait au paiement d’une énorme rançon en échange de la personne du roi, offrait cependant une pause dont Charles, dauphin puis roi en 1364, s’entendit à profiter pour remettre le royaume en état de reprendre la guerre.
Charles V fut un homme de cabinet. Diplomate et spéculateur prudent plus que grand capitaine, il se méfiait des coûteuses vertus militaires et prêtait volontiers l’oreille aux conseils des clercs et des universitaires. Un demi-siècle après le temps des conseillers de Philippe le Bel, ce fut le règne d’une nouvelle génération de légistes, théoriciens et apologistes d’un gouvernement monarchique tempéré par le conseil des sages (Philippe de Mézières), voire théoriciens des droits utiles du souverain et de l’usage des mutations monétaires (Nicolas Oresme, évêque de Lisieux et traducteur d’Aristote). Se défiant des princes et des grands féodaux, le roi s’entoura surtout de bourgeois, d’hommes de robe et de petits seigneurs provinciaux.
Fin lettré, amateur de poésie et de musique, Charles V fit de Paris une capitale dont le rayonnement ne se limita pas au domaine politique. Il transforma le vieux donjon du Louvre, qui datait de Philippe Auguste, en lui adjoignant deux corps de logis, avec galeries de promenade et appartements intimes. Dans l’une des tours d’angle, il établit la bibliothèque royale, très rapidement enrichie de manuscrits précieux et de textes rares auxquels les savants eurent libéralement accès. À l’autre bout de la ville, entre la rue Saint-Antoine et la Seine, il fit aménager pour sa résidence personnelle un ensemble de petits hôtels reliés par des galeries à travers des jardins, que l’on appela l’hôtel Saint-Paul. C’était à la fois le témoignage d’un nouvel urbanisme monumental et celui d’un nouvel art de vivre princier. Pour des raisons de sécurité, en revanche, celui qui, dans sa jeunesse, avait dû quitter subrepticement Paris, faute de pouvoir contrôler la ville et de pouvoir y résister à l’émeute, entreprit une enceinte qui doubla, sur la rive droite, la superficie englobée par la vieille muraille de Philippe Auguste. Cette enceinte fut appuyée, à l’est, par la forteresse de la bastide Saint-Antoine, couramment nommée la Bastille. Un prévôt énergique, Hugues Aubriot, tint la ville sous l’autorité royale.
La situation financière fut assainie par la création du franc (27 juill. 1364), pièce d’or pur valant une livre tournois, ce qui faisait coïncider, comme au temps de Saint Louis, la monnaie réelle et la monnaie de compte. Après un ajustement en 1365, la monnaie demeura inchangée jusqu’en 1385. La fin des spéculations monétaires, le retour à la sécurité des créances et la bonne renommée des espèces royales furent, pendant une génération, portés à l’actif de la politique de Charles V et de ses conseillers. Mais, dans le même temps, la préparation de la guerre et de la récupération des territoires perdus en 1360, de même que le paiement de la rançon du roi Jean, poursuivi longtemps après la mort du prisonnier, contraignirent Charles V à renforcer des exigences fiscales qui nécessitèrent la mise en place d’une administration particulière, celle des aides, distincte de l’administration du Trésor qui gérait le domaine royal. Négociées avec des assemblées réunies à des niveaux très divers (villes, bailliages, diocèses, provinces, voire états généraux), les aides devinrent en fait presque permanentes.
Le répit procuré par le traité de Brétigny-Calais et l’assainissement financier permirent au roi d’organiser son armée, de se doter d’une artillerie et d’une marine, de faire restaurer les enceintes urbaines et les forteresses et d’assurer la soumission de la féodalité. Pour commander son armée, il trouva des capitaines de petite noblesse mais de grande réputation, comme le Breton Bertrand du Guesclin, connétable en 1370, ou comme le Bourguignon Jean de Vienne, amiral de France en 1373.
Avant de reprendre la lutte ouverte contre l’Angleterre, Charles V mit fin à l’insoumission de son cousin, le roi de Navarre Charles le Mauvais, dont l’armée, que commandait le captal de Buch, fut vaincue à Cocherel (1364) et qui perdit rapidement la plupart des places fortes qu’il tenait sur la basse Seine. Une habile transaction (traité d’Avignon, 1365) dédommagea le Navarrais, qui reçut les droits du roi sur Montpellier. Charles V mit également fin à son intervention dans la succession de Bretagne et, en reconnaissant le duc Jean IV de Montfort, il priva les Anglais d’un prétexte à débarquement (traité de Guérande, 1365). Cependant, le frère du roi, Philippe, recueillait en 1363 la succession du duc de Bourgogne et épousait en 1369 l’héritière du comté de Flandre. Une alliance avec l’empereur Charles IV renforça la sécurité du royaume vers l’est. Au Sud, le soutien apporté au roi de Castille Henri de Trastamare contre son concurrent Pierre le Cruel procurait, contre la Guyenne anglaise, une alliance de revers en même temps qu’un appui maritime.
Le maintien de l’ordre intérieur importait autant pour l’affermissement de l’autorité royale que pour le rétablissement d’une situation économique bouleversée par la guerre et par les effets démographiques de la peste noire de 1348-1350. Charles V s’employa pendant tout son règne à débarrasser le royaume des bandes de brigands que constituaient les compagnies engagées pour les campagnes et amenées par la force des choses à vivre de rapine, une fois la campagne terminée. Le fisc royal supportait les conséquences de la charge qui pesait de ce fait sur les villes, obligées de se défendre et de payer rançon à tout propos pour n’être pas saccagées. Malgré l’aide du pape, le roi ne réussit pas à détourner vers les Turcs de Hongrie l’énergie des compagnies, car l’empereur leur refusa le passage. En emmenant quelques compagnies combattre en Castille, Du Guesclin n’en débarrassa le royaume que pour un temps très bref. Cette lutte contre les compagnies absorba une bonne part des capacités militaires et financières du royaume.
Pour remettre en cause le traité de 1360, Charles V tira profit du mécontentement des seigneurs gascons qui, contre les abus de l’administration anglaise et surtout du fisc du Prince Noir, firent appel à leur suzerain le roi. La commise (confiscation féodale) du duché de Guyenne fut prononcée en 1369 et la reconquête fut menée très rapidement (1369-1372), grâce à la complicité des villes, qui ouvrirent généralement leurs portes au roi de France par haine du fisc anglais. Le duc de Bretagne ayant pris parti pour l’Angleterre, Du Guesclin occupa la Bretagne en 1373. Le duc d’Anjou prit La Réole, dernière place couvrant Bordeaux, en 1374. Jean de Vienne emporta la place navarraise de Saint-Sauveur-le-Vicomte en Normandie, après un long siège où l’artillerie joua un rôle décisif (1375). Lorsqu’en 1380 moururent successivement Du Guesclin et Charles V, les Anglais ne gardaient de leurs acquisitions de 1360 que Bordeaux et la Gascogne.
Sage mais énergique, lettré mais très réaliste, Charles V rendit à la couronne son prestige. Mais il assurait la stabilité monétaire en négligeant la récession et ses conséquences sociales. Il doutait de son droit à lever l’impôt, en sorte qu’à son lit de mort, pour le salut de son âme, il priva son fils des ressources « extraordinaires » sans lesquelles un roi ne pouvait plus gouverner. En reconnaissant Clément VII comme pape, au lendemain de l’élection contestée de 1378, il contribua d’autre part à perpétuer le Grand Schisme d’Occident, qui allait durer quarante ans. Bien des difficultés qui devaient apparaître sous Charles VI étaient donc en germe parmi les succès indéniables du règne de Charles V.

     
 
1380 - 1422
 
     

CHARLES VI Le FOU

Roi France

Né en 1368 - mort en 1422

Marié en 1385 à Isabeau de Bavière (12 enfants)

Enfants : Charles VII le Victorieux, Charles (mort en 1386), Charles (mort en 1401), Louis (mort en 1415), Jean (mort en 1417), Philippe (mort en 1407), Jeanne, Isabelle d'Orléans, Jeanne, Marie, Michelle, Catherine

Fils aîné de Charles V et de Jeanne de Bourbon. Les oncles de Charles VI, les ducs de Bourgogne, d’Anjou, de Berry et de Bourbon, gouvernèrent pendant sa minorité et cherchèrent à tirer le maximum de profit du pouvoir. Majeur en 1388, Charles VI remercia ses oncles et rappela au gouvernement les anciens conseillers de son père, les Marmousets ; mais la folie du roi, dont la première crise eut lieu en août 1392, permit aux ducs de Bourgogne et de Berry, et au duc d’Orléans, frère du roi, de se disputer à nouveau le pouvoir. La guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons, à partir de 1405, conduisit à l’intervention étrangère et au traité de Troyes (1420), par lequel Charles VI, à peine conscient de ce qui se passait pendant ses longues périodes d’aliénation et désormais soumis en tout au duc de Bourgogne et à la reine Isabeau de Bavière, déshérita son propre fils, le futur Charles VII, qui fut déclaré bâtard au profit du roi d’Angleterre Henri V.
Charles VI n’avait été qu’un simple figurant dans les événements de l’histoire de son enfance, les convocations des états, le difficile rétablissement des impôts, la révolte et le châtiment de Gand, de Rouen, de Paris et d’autres villes (1382). Il n’eut guère d’autre rôle pendant les brèves rémissions qui lui permirent de tenir à certains moments sa place, en particulier en 1413 dans la crise cabochienne.

     
 
1422 - 1461
 
     

CHARLES VII Le VICTORIEUX

Roi France

Né en 1403 - mort en 1461

Marié en 1422 à Marie d'Anjou (13 enfants ;  il aura également 3 enfants avec sa maîtresse Agnès Sorel).

Enfants : Louis XI le Prudent, Jean, Jacques, Philippe, Charles, Radegonde, Catherine, Jeanne, Yolande, Marie, Jeanne, Madeleine

Fils de Charles VI et d’Isabeau de Bavière, le futur Charles VII était comte de Ponthieu et devint dauphin de Viennois à la mort de son frère Jean en 1417. Il apparut donc tardivement aux côtés de Bernard d’Armagnac, comme le chef du parti hostile à la politique réformatrice et souvent démagogique du duc de Bourgogne, parti lui-même discrédité par la violence de la réaction anticabochienne des années 1413-1418. Éloigné de Paris par la domination bourguignonne en 1418, puis déshérité par son père et déclaré bâtard par sa mère (traité de Troyes, 1420), il prit cependant le titre de roi à la mort de Charles VI (21 octobre 1422), mais il ne fut vraiment reconnu comme tel qu’après le sacre. Jusque-là, l’usage courant de la Cour ne lui accordait que le titre de dauphin.
É tabli en Berry et en Touraine (notamment à Loches et à Chinon), Charles VII était fort de la fidélité des provinces du Centre et du Languedoc, d’où il tira l’essentiel de ses ressources. Pour gouverner, au contraire, il dut improviser avec un personnel généralement nouveau et peu au fait des affaires. Le Parlement qu’il organisa à Poitiers et la Chambre des comptes qui fut établie à Bourges furent, pour l’essentiel, peuplés d’officiers naguère éliminés à Paris par les Bourguignons, de telle sorte que l’administration fut plus facilement efficace que le gouvernement. La défection d’officiers demeurés à Paris et tardivement ralliés à Charles VII renforça, surtout à partir de 1430, les structures administratives de la monarchie.
L’intervention de Jeanne d’Arc et l’énergie de quelques capitaines, parmi lesquels le bâtard de Louis d’Orléans, Dunois, sauva Charles VII de la catastrophe qu’eût été la prise d’Orléans par les Anglais, symbole de la résistance à l’étranger. Le sacre de Reims (17 juill. 1429), terme d’une randonnée où purent se manifester la fidélité des populations (il n’y eut de réticences qu’à Troyes) et parfois leur enthousiasme, apparut surtout comme le jugement de Dieu, reconnaissant la légitimité de l’héritier, auquel l’opinion publique fut d’autant plus sensible que le prétendant anglais Henri VI dut se contenter, deux ans plus tard, d’un sacre parisien, faute de pouvoir gagner Reims en toute sécurité.
La reconquête des régions au nord de la Loire fut entreprise dès le temps de Jeanne d’Arc. La réconciliation de Charles VII et du duc de Bourgogne, rendue possible par la modération des deux princes et par l’obstination des Anglais (traité d’Arras, 1435), facilita la reprise des villes où l’adhésion au parti bourguignon ne soutenait plus la résistance militaire de garnisons anglaises souvent insuffisantes. Paris fut livré par les Parisiens aux troupes de Richemont (1436). La chute de Pontoise, en 1441, permet le rétablissement des relations avec le nord du royaume. Le pays de Caux et la région de Vire se soulevèrent. Les Anglais négocièrent une trêve (Tours, 1444), que le roi de France mit à profit pour renforcer sa puissance. Il réorganisa en particulier son armée et resserra l’alliance bretonne, précieuse pour la reconquête de la Normandie. Au cours de la dernière phase de la guerre (1449-1453) furent successivement occupées la Normandie (Formigny, 1450) et la Guyenne (Castillon, 1453), où le roi eut l’habileté de confirmer les privilèges et d’empêcher toute réaction contre les anciens fidèles du Lancastre. Rares furent ceux qui jugèrent opportun de fuir en Angleterre.
Le règne de Charles VII n’est pas seulement un difficile parcours de l’humiliation à la victoire. C’est aussi le temps de l’organisation définitive d’institutions essentielles au gouvernement monarchique. Ayant obtenu des assemblées locales et des états généraux ou provinciaux les impôts nécessaires au financement de la guerre, Charles VII sut, avec l’aide de Jacques Cœur, son grand argentier, habituer ses sujets à la permanence de l’impôt et put, dès le milieu du siècle, éviter de convoquer les états généraux et se passer du consentement qui semblait indispensable pour la levée de toute ressource extraordinaire. L’impôt permanent, c’était la reconnaissance d’un droit monarchique étranger au droit coutumier selon lequel le roi devait vivre de son revenu domanial, comme une personne privée. C’était aussi le moyen d’une puissance assurée par une force militaire permanente. Dès 1445, Charles VII dotait son armée de structures adaptées au maintien d’une force armée en tout temps : les compagnies de l’ordonnance étaient soldées régulièrement, cependant que les autres compagnies étaient dissoutes, la guerre finie ; les unes assuraient la soumission des autres. L’efficacité des grandes institutions judiciaires et financières fut accrue, de même que satisfaction fut donnée au particularisme des provinces, par une multiplication des ressorts qui décentralisa partiellement la fonction administrative.
La crise du Grand Schisme d’Occident avait été favorable au renforcement de l’autorité royale sur le clergé français. La publication en France des canons du Concile de Bâle fournit l’occasion d’assurer cette autorité : le roi fit examiner ces canons par l’assemblée réunie à Bourges en 1438 et il les publia, amendés, en une pragmatique sanction qui fonda en droit la position du roi comme « première personne ecclésiastique du royaume ». Ce fut surtout, pour trois quarts de siècle, la base de négociations avec la papauté.
Charles VII se méfiait de Paris, où il avait vécu des jours difficiles dans son enfance. Il fit passer la prévôté des marchands aux mains d’officiers de justice ou de finance qui assurèrent la tutelle de la capitale. Pour sa résidence, le roi continua de préférer les petites villes du Val de Loire et ses châteaux de Touraine et de Berry. Capitale administrative, Paris cessa d’être la résidence principale du roi, de la cour et de l’aristocratie.
La personnalité de Charles a sensiblement évolué en quarante ans de règne. Médiocrement énergique, très affecté par la maladie de son père et par le reniement de sa mère, le roi de Bourges apparaît parfois comme un velléitaire qui laisse condamner Jeanne d’Arc, peut-être afin de ménager ses adversaires avec lesquels il espère traiter. Plus puissant que ses ancêtres et maître d’un royaume où, passée la tentative féodale dite de la Praguerie (1440), la monarchie l’emporte sur tout système de partage de la puissance publique, il apparaît encore comme très influençable, souvent dominé par des favoris (Richemont, La Trémoille, Brézé) et même par sa maîtresse Agnès Sorel, du moins de 1444 à 1450. Mais la seule faiblesse sérieuse de la fin du règne est l’insoumission du dauphin Louis, flagrante dès 1447 et sans cesse aggravée ; à la mort de Charles VII, le dauphin, futur Louis XI, était en révolte ouverte et réfugié à la cour de Bourgogne.

     
 
1461 - 1483
 
     

LOUIS XI

Roi France

Né en 1423,- mort en 1483

Fils de Charles VII et Marie d'Anjou.

Marié deux fois : en 1436 à Margueritte d'Ecosse et en 1451 à Charlotte de Savoie (7 enfants)

Enfants : Charles VIII, Louis (mort en bas âge), Joachim (mort en 1459), François (mort en 1473), Louise, Anne de Beaujeu, Jeanne

Il poursuivit l’œuvre de centralisation et de stabilisation du royaume engagée par son père, après les ravages de la guerre de Cent Ans, tout en s’employant à contenir l’expansionnisme de la maison de Bourgogne.
Né à Bourges, le dauphin Louis fut marié en 1436 à Marguerite Stuart, fille de Jacques Ier, roi d’Écosse, qui devait mourir en 1444. En désaccord permanent avec son père, auquel il reprochait sa liaison avec Agnès Sorel, il participa, à l’âge de dix-sept ans, à une révolte dirigée contre les réformes militaires voulues par le roi, la Praguerie, dans laquelle se trouvaient impliqués les grands seigneurs du royaume, dont Louis de Bourbon, Dunois et le duc d’Alençon. Pardonné après l’échec de la Praguerie, le dauphin reçut le gouvernement du Dauphiné, mais, en 1446, tenta encore de soulever l’Agenais contre son père.
Banni, assigné à résidence dans son gouvernement du Dauphiné, où il se montra un remarquable administrateur, il épousa en secondes noces, malgré l’interdiction formelle de son père, la jeune Charlotte de Savoie, qui lui apporta en dot une fortune considérable. Ses intrigues continuelles le forcèrent finalement à se réfugier à la cour du duc de Bourgogne, Philippe III le Bon, où il apprit la mort de son père, en 1461.
Sacré à Reims en juillet de la même année, le nouveau roi fit son entrée dans Paris et entreprit immédiatement de se séparer des conseillers de son père. Il les remplaça par des proches, anciens compagnons d’exil (parmi lesquels Jean Bourré, qui l’avait secondé dans le Dauphiné), seigneurs de grande naissance (comme Pierre de Beaujeu, qui deviendra son gendre, et Georges de La Trémoille) et hommes issus du peuple ou de la bourgeoisie, qui lui furent toujours fidèles (Tristan Lhermite, Olivier le Daim, les médecins Jean Choisnet et Pierre Coitier).
Simple jusqu’à l’excès, profondément superstitieux, avare et méfiant, seulement passionné par la chasse et la politique, le roi rompit avec la pratique de ses prédécesseurs, entretenant une réelle proximité avec le peuple et n’hésitant jamais, chaque fois qu’il estimait que la grandeur du royaume l’exigeait, à se dresser contre les grands féodaux.
Louis XI, soucieux d’étendre les frontières de son royaume, lança dès 1462 une campagne en Catalogne contre Jean II d’Aragon, auquel il réussit à arracher le Roussillon et la Cerdagne ; dans le même temps, il manifesta son intérêt pour les villes de la Somme, que son père avait cédées à Philippe de Bourgogne, et qu’il racheta à ce dernier, au grand mécontentement du fils du duc Philippe, Charles, comte de Charolais, le futur Charles le Téméraire.
Ne cessant, par ses initiatives, de menacer les privilèges de la noblesse, Louis XI suscita contre lui la formation d’un premier complot, associant des grands féodaux auxquels s’était joint son propre frère, Charles, duc de Berry. Cette première conspiration échoua, mais ses membres reçurent, au mois d’août 1464, le soutien de Charles, comte de Charolais, qui prit la tête de la ligue du Bien public, à l’origine d’une véritable rébellion contre l’autorité royale. Après la bataille de Monthléry, où aucun camp ne fut réellement vainqueur (1465), le roi signa les traités de Conflans et de Saint-Maur, par lesquels il abandonnait de nouveau les villes de la Somme et cédait en apanage la Normandie à son frère Charles.
Il parvint à lui reprendre cette province dès l’année suivante, mais dut affronter, en 1467, une nouvelle coalition, regroupant son frère, ainsi que Charles le Téméraire, nouveau duc de Bourgogne, Édouard IV, roi d’Angleterre, et François II, duc de Bretagne ; à ce dernier, il put imposer le traité d’Ancenis (septembre 1468), l’obligeant à rompre son alliance avec le Téméraire.
Au cours de la même année, Louis XI, trop sûr de lui, proposa au duc de Bourgogne de le rencontrer à Péronne, tandis qu’il provoquait en sous-main le soulèvement des villes bourguignonnes de Liège et de Gand. Informé de cette perfidie, le duc retint prisonnier le roi et ne le libéra que contre la cession de la Champagne à son allié Charles de Berry, tout en le contraignant à assister à la répression qui écrasa Liège.
Aussitôt libéré, Louis XI fit emprisonner le cardinal La Balue pour trahison, l’accusant d’être responsable du désastre de Péronne. Il annula les concessions faites sous la menace, et parvint, en 1469, à convaincre son frère d’accepter la Guyenne au lieu de la Champagne, espérant ainsi le séparer du Téméraire, aux dépens duquel il s’emparait de Roye, Montdidier, Amiens et Saint-Quentin (1471).
Louis XI ne cessait de se heurter à la puissance grandissante du duc de Bourgogne qui, déjà possesseur du comté de Flandre, ne cachait pas son ambition de constituer un État d’un seul tenant, grâce à l’annexion de l’Alsace, de la Lorraine et de la Champagne. Au début de 1472, une nouvelle coalition se forma contre la France, regroupant le frère du roi, auxquels s’étaient joints Jean V d’Armagnac, Jean II d’Aragon, François II de Bretagne, Jean d’Alençon, ainsi que le Téméraire et le roi d’Angleterre, contre lequel Louis XI venait de conclure une alliance avec Warwick.
La mort de Charles de Berry (juin 1472), la défaite du Téméraire devant Senlis et l’abstention du roi d’Angleterre permirent à Louis XI de triompher, sauf dans le Roussillon, où Jean II d’Aragon s’empara des territoires acquis au roi. En 1473, l’annexion du duché de Gueldre par le Téméraire provoqua contre lui une coalition des villes suisses et allemandes, qui fut encouragée par Louis XI, tandis qu’il concluait la paix avec l’Angleterre par le traité de Picquigny (août 1475), acquis grâce au pouvoir de son allié Warwick.
Tout en s’employant à réduire la puissance des grands féodaux (il rattacha l’Armagnac à la France après la mort de Jean d’Armagnac et se fit livrer le comte de Saint-Pol, qui fut exécuté pour trahison), il continua d’encourager la révolte des Suisses contre le Téméraire, qui essuya deux échecs consécutifs, à Grandson et Morat (1476).
Après la mort du Téméraire devant Nancy, en janvier 1477, Louis XI s’empressa d’occuper la Bourgogne, la Picardie et l’Artois, mais fut défait à Guinegatte par Maximilien Ier d’Autriche, époux de Marguerite de Bourgogne (1479). Trois ans plus tard, le traité d’Arras entérina la possession par Louis XI de la Bourgogne et des villes de la Somme, l’Artois et la Franche-Comté revenant en dot à Marguerite, fille de Maximilien et de Marie de Bourgogne, que l’on fiança au dauphin (le mariage ne fut finalement pas conclu). Philippe le Beau n’était appelé à hériter que du reste des États de son aïeul Charles le Téméraire : la puissance bourguignonne était définitivement vaincue.
Dans le même temps, entre 1480 et 1481, Louis XI ajouta à son royaume l’Anjou, le Maine et la Provence, héritage de son oncle René Ier le Bon.
Tout au long de son règne, Louis XI se préoccupa de promouvoir l’essor économique de la France et favorisa le relèvement de l’agriculture dans les régions qui supportaient encore les conséquences de la guerre de Cent Ans ; l’octroi d’exemptions fiscales, de subventions directes, l’appel à des populations venues d’Espagne et d’Italie stimulèrent la mise en culture des terres laissées en friche.
S’appuyant sur la bourgeoisie des villes, à laquelle il accorda de nombreux avantages, ce qui permit une réelle expansion de l’industrie et du commerce, il encouragea les industries de luxe, notamment par la création de soieries, à Lyon puis à Tours, institua des réglementations dans l’industrie drapière et dans l’industrie minière, développa l’imprimerie, les grandes foires (notamment celle de Lyon, qui dépassa sa rivale, Genève), se préoccupa de l’amélioration du réseau routier, des voies navigables et des ports.
Dans le domaine militaire, il poursuivit l’œuvre commencée par son père, et multiplia la création des compagnies d’ordonnance et des corps de francs-archers, tout en instituant un service de voltigeurs, embryon d’un véritable service postal. Le retour de la prospérité lui permit de lever de lourds impôts, qui le rendirent de plus en plus impopulaire.
Louis XI mourut dans son manoir de Plessis-lez-Tours au mois d’août 1483. Son fils Charles VIII, trop jeune pour régner, fut placé sous la régence de sa sœur Anne et de l’époux de cette dernière, Pierre de Beaujeu. Une autre des filles du roi, Jeanne la Folle, fut la première épouse du roi Louis XII.

     
 
1483 - 1498
 
     

CHARLES VIII

Roi France

Né en 1470, fils de Louis XI et de Charlotte de Savoie

Marié en 1491 à Anne de Bretagne (4 enfants) afin d'attacher solidement le duch à la couronne.

Enfants : Charles-Orland (mort en 1495), Charles (mort en 1496),François (mort en 1497), Anne

Fils de Louis XI et de Charlotte de Savoie, Charles devint roi à la mort de son père. Sa sœur, Anne de Beaujeu, chargée de la régence par Louis XI, garda une influence profonde sur le gouvernement après la majorité du roi, proclamée en 1484, mais cela provoqua une rébellion des princes qui soutenaient les revendications du plus proche parent mâle du jeune roi, le duc d’Orléans (futur Louis XII).
Charles VIII parvint à épouser en 1491 Anne de Bretagne, qui était déjà mariée par procuration avec Maximilien de Habsbourg. Obtenu par la menace et au prix d’une véritable guerre, le mariage de Charles VIII n’entraîna pas le rattachement immédiat de la Bretagne à la France, mais il prépara ce rattachement et rendit surtout impossible l’encerclement complet du domaine royal par les possessions de la maison d’Autriche.
La principale affaire du règne fut cependant l’expédition d’Italie. Pour s’y consacrer, Charles VIII dut lâcher du lest et abandonner l’une des acquisitions les plus importantes de son père, le Roussillon et la Cerdagne, qu’il céda au roi d’Aragon en 1492 et 1493, la Franche-Comté, l’Artois et le Charolais, qu’il céda à Maximilien en 1493. L’expédition de 1494 fut d’abord une longue série de victoires, car le roi de France apparaissait en libérateur des villes italiennes, souvent soumises à de véritables tyrannies : Florence, Rome et Naples firent au dernier des Valois un accueil triomphal. On put croire que la puissance française en Italie allait redevenir ce qu’elle était au temps des premiers Angevins. Mais l’armée royale se comporta comme en pays conquis et les Italiens souhaitèrent vite s’en débarrasser : la guerre entreprise par la ligue de Venise, qu’animaient le duc de Milan et la république de Venise, rendit aux Français le séjour en Italie impossible. Après une bataille indécise à Fornoue, Charles VIII regagna la France en 1495. Les dernières places tenues en Italie furent perdues l’année suivante. Le profit de la campagne d’Italie fut ailleurs : une meilleure connaissance de l’Italie, et de prodigieuses collections dérobées à Florence et à Rome, qui allèrent enrichir les collections françaises et firent connaître en France, sous de nouveaux aspects, l’Antiquité et la Renaissance italienne.
Charles VIII mourut alors qu’il projetait une nouvelle expédition. Tous ses enfants étaient morts avant lui.

     
     
LES VALOIS INDIRECTS
     

 

LES VALOIS-ORLEANS & LES VALOIS-ANGOULEME

     

La branche des VCalois-Orléans (1498 - 1515) n'a eu qu'un seul représentant sur le trône en la personne de Louis XII.

Elle est issue de Louis, duc d'Orléans, et frère du roi Charles VI le Fou.

Louis XII meurt sans héritier mâle en 1515 et la couronne passe à son gendre François Ier, issu également de Louis,duc d'Orléans par son père Charles d'Angoulême.

La branche Valois-Angoulême règne sur la France de 1515 à 1589 et donne cinq rois de François Ier à Henri III.

Après les règnes de François Ier (1515 - 1547) et de son fils Henri II (1547 - 1549), qui marquent le "beau XVIème siècle", la monarchie s'affaiblie et doit faire face aux guerres de religion.

En 1589, la mort d'Henri III donne la couronne au roi de Navarre Heni, plus proche héritier du trône, qui fonde la dynastie des Bourbons.r

     
LES VALOIS-ORLEANS
     
 
1498 - 1515
 
     

LOUIS XII PERE DU PEUPLE

Roi France

Né en 1432 à Blois - mort en 1515

Marié trois fois : en 1476 à Jeanne de Valois (mariage dissout en 1498) ; en 1499 à Anne de Bretagne, veuve de Charles VIII (4 enfants) ; en 1514 à Marie Tudor, soeur du roi d'Henri VIII d'Angleterre

Fils de Charles, duc d’Orléans, et de Marie de Clèves, Louis XII est le cousin de Charles VIII, dont il a épousé par ailleurs la sœur Jeanne. Il prend position contre la régence d’Anne de Beaujeu, mais il est fait prisonnier en Bretagne à la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier en 1488 et incarcéré pendant trois années. Gracié et nommé gouverneur de Normandie, il suit Charles VIII lors de ses expéditions en Italie et tente de conquérir le Milanais à son profit, mais en vain. La mort de Charles VIII, en 1498, lui permet de monter sans opposition sur le trône de France. Il apparaît comme un roi bienveillant soucieux de venir en aide aux déshérités et aux victimes de la soldatesque. Il prend ainsi une série de mesures qui humanisent la justice et l’emprisonnement. Souhaitant épouser Anne de Bretagne afin de garder le duché acquis par Charles VIII, Louis XII obtient d’Alexandre VI Borgia l’annulation de son premier mariage. Désireux de prendre sa revanche en Italie, il réussit à conquérir le Milanais, héritage angevin de son aïeule, Valentine Visconti. Il emprisonne Ludovic le More, qui mourra à Loches en 1508. En 1500, il est pratiquement maître de toute l’Italie. Mais, dès 1506, les troupes françaises sont chassées de Naples par celles de Ferdinand d’Aragon. En 1512, Louis XII perd le Milanais et, en 1513, la défaite de Novare ruine les espoirs français en Italie. Veuf d’Anne, peu avant sa mort, il se remarie avec Marie d’Angleterre, une enfant de seize ans, sœur de Henri VIII. Il a donné sa propre fille, Claude, en mariage à François d’Angoulême, le futur François Ier. Surnommé le « père de son peuple » par les états généraux de 1506, Louis XII doit aussi sa popularité aux circonstances. Réducteur de la taille, grâce aux richesses de l’Italie, codificateur des coutumes et paré de l’auréole du roi justicier, il a eu la chance de régner à une époque de transition bénéfique à la France, marquée par le retour à la prospérité économique en Europe, l’éloignement des armées hors des frontières et donc la paix à l’intérieur et l’accroissement de la population qui recueille les fruits du progrès technique et du développement des échanges.

     
LES VALOIS-ANGOULEME
     
 
1515 - 1547
 
     

FRANCOIS Ier

Roi France

né en 1494 - mort en 1547

Fils de Charles de Valois, comte d'Angoulême, et de Louise de Savoie.

Marié deux fois : en 1514 à Claude de France, fille de Louis XII, son cousin (7 enfants) ; en 1530 à Eléonore d'Autriche

En 1515, en tant que chef de la branche des Valois-Angoulême, François Ier succède à son cousin Louis XII, dont il a épousé la fille, Claude de France, l’année précédente. Son règne de trente-deux ans marque profondément le XVIe siècle français, transformant à l’extérieur les guerres d’Italie en un affrontement avec les Habsbourg, donnant, à l’intérieur, une impulsion décisive à la pratique d’une « monarchie absolue ». Ses portraits, que ce soit celui plus décoratif de Clouet ou celui plus psychologique du Titien, nous montrent un cavalier rieur, tout à la fois athlétique et élégant, type accompli de l’homme de la Renaissance, aimable et séducteur, dénué de scrupules s’il est nécessaire. Mais François Ier est en même temps fantasque, sujet aux emballements, d’une intelligence un peu superficielle. C’est, en fait, un curieux mélange : chevalier d’un Moyen Âge attardé, il se fait adouber par Bayard sur le champ de bataille de Marignan ; prince de la Renaissance, il est amateur de femmes et de belles choses ; ouvert aux nouveautés de l’époque, il est mécène et lui-même quelque peu artiste. Le règne s’ouvre sur les guerres d’Italie dont l’histoire classique a dénoncé la vanité. Cependant, par son importance démographique et par sa prospérité, la France pouvait se mesurer au peuplement et à la puissance financière des nations adverses.
L’erreur de François Ier a été de ne point prévoir l’afflux du métal précieux américain, dont la masse, certes très inférieure aux possibilités fiscales françaises, devait cependant l’emporter. Cette masse monétaire constituait un revenu net de toute charge et elle était entièrement à la disposition de Charles Quint. En 1515, Marignan, c’est-à-dire la supériorité du feu français sur les piquiers suisses , entraîne la facile conquête de l’Italie en un temps où l’arrivée du métal américain diminue pour une courte période. Mais, dès 1519, le crédit des Fugger et des banquiers italiens et espagnols, garanti par les trésors du Nouveau Monde, contribue à hisser Charles Quint sur le trône du Saint Empire romain germanique pourtant brigué par François Ier. Après la somptueuse et inutile folie du Camp du Drap d’or, l’impétuosité de la cavalerie française et de son chef, « le Roi-Chevalier », est l’une des causes principales de la défaite de Pavie (1525) . Le respect du point d’honneur (ne point reculer) entraîne la captivité du roi, qui déclare : « Tout est perdu, fors l’honneur », et le désastreux traité de Madrid en 1526 (le roi renonçait au quart de la France) que François Ier, soutenu par les États de Bourgogne, viole dès qu’il retrouve la liberté. La guerre, marquée par une pause lors de la « paix des Dames », s’achève sur la constatation d’un équilibre des forces (traité de Cambrai, 1529). Ayant pris la mesure de son adversaire, dans la troisième phase du conflit, François Ier cherche des alliés : Soliman le Magnifique, Henri VIII, les princes protestants allemands. La longue lutte qui suit, confuse et sans gloire, aboutit au traité de Crépy (1544), créant le premier et fragile équilibre européen. Face à l’échec français des ambitions italiennes, la puissance de Charles Quint dissimule l’invraisemblable tour de force que constitue le maintien de la disparate puissance habsbourgeoise progressivement recentrée des Flandres à l’Espagne.
À l’intérieur de la France, la croissance des besoins financiers, n’aboutit pas à la mise en place d’un système fiscal cohérent. D’emprunts en vénalité des offices, d’inflation involontaire en maniements des monnaies se dégage un certain style financier français, qui durera jusqu’en 1789. Si le mot absolutisme a un sens, sa progression est incontestable. Signe des temps : l’emblème des Valois est déjà le soleil (à côté de la salamandre), l’expression « Sa Majesté » devient obligatoire et c’est François Ier qui a forgé la formule « Car tel est notre bon plaisir. » En matière religieuse, le concordat de Bologne, signé en 1516 avec Léon X, place l’épiscopat français sous la coupe du roi. Vis-à-vis des protestants, le début du règne est placé sous le signe de la tolérance, en partie grâce à l’influence de Marguerite de Navarre. La provocation que constitue l’affaire des Placards (1534) détermine par la suite une répression cruelle, mais sporadique, sans que le mot persécution s’impose réellement. Ainsi, qu’il s’agisse de la situation extérieure ou intérieure, le règne de François Ier se termine sans apporter rien de décisif. L’Espagne reste virtuellement très dangereuse, la question protestante est en suspens, le problème financier n’est pas résolu.
Finalement, la grande réussite du monarque se situe sur le plan intellectuel et artistique. Le roi a fondé le Collège de France, et protégé humanistes, poètes et musiciens ; Budé, Ronsard, Marot, et même Lefèvre d’Étaples en témoignent. Il a aussi fait appel aux grands artistes italiens tels que Léonard de Vinci, Benvenuto Cellini, le Primatice. Son règne s’auréole du prestige de l’école de Fontainebleau. Parmi les grands bâtiments du règne dominent Fontainebleau et Chambord. François Ier ne valait peut-être pas, sur le plan personnel, son adversaire Charles Quint. Pourtant, sans la conquête de l’Amérique, il l’eût probablement emporté sur lui. C’est l’Amérique qui, par le poids de ses richesses, a fondé la puissance habsbourgeoise et, paradoxalement, ce sont les découvreurs et les conquistadores espagnols et italiens qui ont empêché, jusqu’au XVIIe siècle, cette suprématie française sur l’Europe occidentale qui se dessinait déjà au temps de Saint Louis. Face à cette situation nouvelle, dont on ne peut reprocher à François Ier d’avoir mal mesuré l’importance, le mérite du roi a été de maintenir, tant bien que mal, l’équilibre.

     
 
1547 - 1559
 
     

HENRI II

Roi France

Né en 1519 - mort en 1559

Marié en 1533 à Catherine de Médicis, fille de Laurent de Médicis et de Madeleine de Bourbon, nièce du pape Clément VII (10 enfants)

Fils de François Ier, Henri II hérite, à la mort de son père en 1547, du plus puissant et du plus riche royaume européen, dont la cohésion contraste avec l’hétérogénéité de l’Empire des Habsbourg et la multiplicité de petits États ; mais il doit faire face à la coalition antifrançaise d’une partie de l’Europe occidentale. Le nouveau roi ne jouit pas, auprès des historiens, du prestige de son père. Grand amateur de l’Amadis des Gaules, épris de tournois et d’exercices violents, il apparaît, sur le portrait qu’en a fait Clouet, comme un être secret et un peu inquiétant. Sur le plan personnel et politique, il doit faire face à la fois à son épouse Catherine de Médicis , qui l’aime passionnément, et à sa maîtresse on ne peut plus officielle, l’éternellement jeune Diane de Poitiers. Du mariage avec Catherine sont nés dix enfants, dont deux mort-nés et un garçon mort prématurément. Les autres garderont de l’héritage syphilitique de François Ier et de Laurent le Magnifique une fragilité congénitale qui sera fatale à la survie de la dynastie. Ce sont : l’aîné, le futur époux de Marie Stuart, François II (né en 1544) ; Élisabeth, l’épouse de Philippe II (née en 1545) ; Claude, duchesse de Lorraine (née en 1547) ;  Charles IX (né en 1549) ; Alexandre, le préféré de sa mère, futur Henri III (né en 1551) ; Marguerite, la reine Margot , épouse de Henri IV (née en 1553) ; Hercule-François, duc d’Alençon (né en 1555).
Par-delà les séductions et les vices d’une cour largement italianisée et infiniment raffinée, le règne de Henri II est marqué par la poursuite de la lutte entre le roi de France et le dernier champion de la chrétienté, Charles Quint. Après l’équilibre des forces instauré par la paix de Cambrai, le moment paraît favorable au premier. Le passage des trois quarts des pays allemands au protestantisme et les difficultés financières des Pays-Bas, porteurs jusque vers 1540 de l’essentiel de l’effort de guerre de Charles Quint, donnent enfin à la puissance française l’espoir de l’emporter. La campagne de 1552, menée avec une armée de quelque trente-cinq mille hommes (on est loin, déjà, des armées de dix mille soldats du début des guerres d’Italie) et soigneusement préparée sur le plan diplomatique, permet au protégé du clan de Diane, François de Guise, de s’emparer du gage des Trois-Évêchés (Toul, Metz et Verdun). L’immense effort de la contre-attaque de Charles Quint échoue piteusement dans l’enlisement humide du siège manqué de Metz. C’est l’apogée du règne. Mais, depuis 1540, la découverte de mines d’argent sur les hauts plateaux secs du nord du Mexique d’abord, puis du Potosí donne progressivement à Charles Quint le moyen de faire face. Voulue par Catherine et conduite par son cousin Strozzi, l’expédition française en Italie, destinée aussi à faire contrepoids aux succès des Guise, échoue à la bataille de Marciano. Concentrant tous ses moyens, Philippe II mobilise en 1557 une formidable armée de cinquante mille hommes, multitude encore jamais rassemblée. La victoire de Saint-Quentin est écrasante. L’armée espagnole déferle jusqu’à Noyon, s’empare de Saint-Quentin, de Hamm, du Câtelet, etc., mais elle ne peut remporter une victoire décisive. Guise en profite pour prendre Calais en 1558, d’où le traité de Cateau-Cambrésis (3 avr. 1559). Les historiens français l’ont, longtemps, célébré comme la victoire française sur l’encerclement espagnol, l’abandon, enfin, des rêves italiens, navarrais, l’arrondissement du « pré carré » vers le nord-est. C’est, en réalité, le succès d’une Espagne exploitatrice des nouvelles Indes qui fonde, pour au moins un siècle, son hégémonie sur l’Europe. Le traité signifie la permanence de l’hétérogène coalition des petits pays réunis par la politique matrimoniale dont Charles Quint est issu. Par là, le traité rend à jamais inconcevable la possibilité, un moment évidente, d’une Europe française de la Renaissance, peut-être encore possible un court moment entre 1550 et 1555. L’argent américain, soutenant le génie de Charles Quint, n’est pas seul en cause. La France surpuissante est aussi déchirée. À la Cour sévit la lutte des clans, Montmorency contre Guise. Dans les esprits règne la confusion : la France balance entre le catholicisme et le protestantisme. Les enfants royaux sont élevés dans une atmosphère indécise, semi-protestante. Les nécessités militaires ont multiplié les impôts et les emprunts onéreux ; le peuple est mécontent. Vers 1555-1560, le roi le sent. Il a, semble-t-il, choisi un catholicisme combatif. Cateau-Cambrésis est aussi un acte de politique intérieure : Henri II veut avoir les mains libres.
Mais le roi n’aura pas le temps de concrétiser une autre politique. Il meurt des suites d’un coup de lance donné par Montgomery. Lorsque Marie Stuart apparaît aux fêtes du sacre de son époux François II avec les bijoux arrachés à Diane, c’est le signe que, pour longtemps, le véritable souverain est Catherine de Médicis.

     
 
1559 - 1560
 
     

FRANCOIS II

Roi France

Né en 1544 - mort en 1560

Premier fils de Henri II et Catherine de Médicis.

Marié en 1558 à Marie Stuart

Mentalement et physiquement faible, il fut dominé par les oncles de sa femme, François de Lorraine, duc de Guise, et le cardinal Charles de Lorraine. Ces deux hommes, qui gouvernèrent en fait à sa place, tentèrent de réprimer le pouvoir politique grandissant des protestants en France. La mort de François II signa la fin de l'ascension des Guise à la cour.

     
 
1560 - 1574
 
     

CHARLES IX

Roi France

Né en 1550 -  mort en 1574

Marié en 1570 à Elisabeth d'Autriche (1 fille)

Son règne fut marqué par le massacre de la Saint-Barthélemy en 1572.
Né à Saint-Germain-en-Laye, Charles d'Orléans était le second fils d'Henri II, roi de France, et de Catherine de Médicis. À la mort de son frère François II en 1560, Charles n'avait que 10 ans et sa mère fut chargée de la régence du royaume. La France était alors déchirée par l'opposition entre les catholiques et les protestants, qu'on appelait les Huguenots. Après une année de guerre civile, cet antagonisme connut un apaisement relatif de 1563 à 1567. Durant cette période, Catherine de Médicis s'employa à réaffirmer l'autorité royale : la majorité de Charles IX fut déclarée officiellement à Rouen en 1563 et le jeune roi entama avec sa mère un tour de France de 1564 à 1566. En 1568, les guerres de religion reprirent, les protestants ayant tenté d'enlever Charles IX à Meaux. Convaincus désormais de l'inefficacité d'une politique de tolérance, Charles IX et sa mère, investie du titre de « gouvernante de France », prirent alors le parti de la guerre. Malgré les défaites protestantes de Jarnac et Moncontour en 1569, ils furent contraints de négocier un compromis à Saint-Germain-en-Laye en 1570 et le royaume s'installa de nouveau dans une paix relative. Le 23 août 1572, une tentative d'assassinat du protestant Coligny, amiral de France, déchaîna la colère des nobles huguenots présents à la cour. La panique envahit la famille royale qui rameuta la milice de Paris. Le massacre des protestants commença dans la nuit. On raconte que Charles IX lui-même tirait au fusil depuis une fenêtre du Louvre sur les huguenots en fuite. Tout au long du mois, les tueries se poursuivirent en province. Cette explosion de violences et d'atrocités terrifia les témoins. Dans le midi de la France qu'ils dominaient, les protestants créèrent en 1573 un état séparatiste et une nouvelle guerre commença. Charles IX, rongé par la tuberculose, mourut à 24 ans. Son frère Henri III lui succéda.
Esprit cultivé, Charles IX avait eu pour précepteur l'humaniste Jacques Amyot. Protecteur des lettres, il composait lui-même des poèmes en l'honneur de sa maîtresse, Marie Touchet.

     
 
1574 - 1589
 
     

HENRI III

Roi de France et de Pologne

Né en 1555 - mort en 1589

Troisième fils d'Henri II et de Catherine de Médicis.

Marié en 1575 à Louis de Vaudémont.

Ayant d’abord reçu le titre de duc d’Angoulême et les prénoms d’Alexandre-Édouard, auxquels sa mère Catherine de Médicis substitua en 1565 celui d’Henri, en souvenir de son père Henri II, Henri fut duc d’Orléans (1560) puis d’Anjou (1566) avant de succéder sous le nom d’Henri III à son frère, Charles IX, décédé le 31 mai 1574.
Celui qui devait être le dernier des rois Valois grandit à Amboise, avec Jacques Amyot et François de Carnavalet pour précepteurs. Nommé lieutenant général en novembre 1567, il remporte, sur les protestants avec le maréchal de Tavannes, les batailles de Jarnac (15 avr. 1569) où le prince de Condé trouve la mort, et de Moncontour (3 oct. 1569) où l’amiral de Coligny est blessé. Chef du parti catholique, il est aux côtés de Catherine de Médicis quand se prépare le massacre de la Saint-Barthélemy (24 août 1572). Il conduisait le siège de La Rochelle où s’étaient réfugiés les huguenots lorsqu’il apprit qu’il venait d’être élu roi de Pologne le 10 mai 1573, sa candidature ayant été soutenue auprès de la Diète par l’évêque de Valence, Jean de Monluc et, en sous main, par les Turcs. Parti de Fontainebleau au début d’octobre 1573, il est couronné (21 févr. 1574) au château du Wawel à Cracovie, qu’il quitte en secret le 18 juin pour regagner la France par l’Autriche, Venise et la Savoie. Sacré à Reims le 13 février 1575, il y épouse, le 15, Louise de Vaudémont dont il n’aura pas d’enfant.
Pendant les quinze ans de son règne, Henri III, fils préféré de Catherine, doué de l’intelligence la plus vive, eut au plus haut point le sens de l’État, mais s’est trouvé confronté aux pires difficultés, multipliant les efforts pour rétablir la paix, à Beaulieu (1576) et, après la première Ligue, dont il a pris la tête, et les premiers états généraux de Blois (1576-1577), à Bergerac (1577) et à Fleix (1580). Il crée l’ordre du Saint-Esprit (31 déc. 1578) mais après la mort de François, duc d’Alençon puis d’Anjou, son frère et son mauvais génie (1584), il doit faire front contre Henri, roi de Navarre et, après la journée des Barricades (12 mai 1588), contre Henri, duc de Guise, qu’il fait assassiner à Blois (23 déc. 1588). Réconcilié avec Henri de Navarre, il tentait avec lui de reprendre Paris, alors aux mains des ligueurs, lorsqu’il fut assassiné par le dominicain Jacques Clément, à Saint-Cloud, le 1er août 1589.

     
     
LES BOURBONS
     

Les rois Bourbons représentent une branche de la dynastie des Capétiens.

Elle accède au trône de France en 1589 avec Henri IV, roi de Navarre.

Elle est issue du père de celui-ci, Antoine de Bourbon, descendant en huitième génération de Robert,fils de Saint Louis.

Louis XIII et Louis XVIII mettent en place un système de gouvernement absolutiste, qui est emporté par la Révolution Française de 1789, durant laquelle Louis XVI est renversé et exécuté.

La dynastie survit à travers les frères du roi défunt et lors de la Restauration en 1814 - après l'intermède révolutionnaire et napiléonien, Louis XVIII et Charles X règnent à leur tour.

Après la Révolution de 1830 et l'abdication de Charles X, la couronne passe à la branche des Orléans.

La branche française des Bourbons s'éteint en 1883 à la mort du comte de Chambord, petit-fils du dernier roi, Charles X, mais la dynastie connaît de nombreuses ramifications.

     
 
1589 - 1610
 
     

HENRI IV

Roi France

Né à Pau en 1553 - mort à Paris en 1610

Fils d'Antoine de Bourbon et de Jeanne d'Albret, petit-neveu de François Ier

Marié deux fois : en 1572 à Marguerite de Valois dont l'union sera annulée en 1599 (6 enfants) ; à Marie de Médicis, fille du grand-duc de Toscane

Nombreuses maîtresses : Gabrielle d'Estrées ( 3 enfants) ; Henriette d'Entragues (2 fils et 1 fille) ; Jacqueline de Bueil (1 fils) ; Charlotte des Essarts (2 filles)

Chef des huguenots pendant les guerres de religion, Henri IV a affermi la monarchie catholique une fois réalisée la pacification du royaume — en particulier avec l'édit de Nantes ; premier souverain de la dynastie des Bourbons, il est resté dans l’imagerie collective comme le plus populaire des rois de France.
Né à Pau, le 14 décembre 1553, Henri est le fils d'Antoine de Bourbon et de Jeanne d'Albret, reine de Navarre. Après avoir passé sa jeunesse dans le Béarn, il est élevé, dès l'âge de huit ans, à la cour de France, avec ses cousins Valois, et reçoit l'éducation d'un parfait gentilhomme. Sa mère lui dispense une éducation calviniste.
Dès 1569, Henri devient le chef du parti huguenot à La Rochelle, sous la tutelle de Gaspard de Coligny, lors de la troisième guerre de religion (1568-1570). Son mariage, le 18 août 1572 à Paris, avec Marguerite de Valois, sœur de Charles IX et d'Henri III, est décidé, après le traité de Saint-Germain, en signe d'apaisement entre les deux communautés religieuses. Une semaine plus tard a lieu le massacre de la Saint-Barthélemy : Henri de Navarre sauve sa vie en abjurant sa foi et en se laissant convertir de force au catholicisme. Retenu comme otage au Louvre, à la cour, pendant trois ans, il parvient à s'enfuir (février 1576), retrouve ses États du Sud-Ouest, abjure la religion qu'on lui a imposée et prend la tête des armées protestantes, avec lesquelles il guerroie.
En 1584, la mort du duc d'Anjou (dernier frère du roi) fait d’Henri de Navarre l'héritier direct de la couronne de France. La menace de voir monter sur le trône un roi hérétique ranime la Sainte Ligue, menée par les Guise, qui s'allient au roi d'Espagne. Le roi Henri III doit laisser Paris aux ligueurs en 1588, et finit par faire assassiner les Guise, dont il craint les ambitions. Il se réconcilie ensuite avec Henri de Navarre, qu'il reconnaît comme son successeur légitime peu avant d'être assassiné par un catholique, le 1er août 1589. Mais les catholiques ne reconnaissent pas Henri, devenu Henri IV, comme leur souverain et reprennent les armes pour imposer leur candidat, le cardinal de Bourbon, son oncle. Ils trouvent un appui chez Philippe II d'Espagne, dont les visées personnelles sont d'obtenir la couronne de France pour sa fille Isabelle, petite-fille d'Henri II.
Henri IV s'impose par des victoires sur la Ligue à Arques (21 septembre 1589) ainsi qu'à Ivry (14 mars 1590) ; il assiège Paris, qui est finalement secouru par une armée de Philippe II établie aux Pays-Bas espagnols. Henri exploite habilement les dissensions existant entre les membres de la Ligue — révélées lors de leurs états généraux tenus en 1593 —, le patriotisme français, avivé par les menées espagnoles et le désir d'un retour à la légitimité monarchique. Il désarme ses adversaires en abjurant sa foi calviniste à la basilique de Saint-Denis, le 25 juillet 1593 (la légende en a retenu le fameux : « Paris vaut bien une messe ! »). Henri IV est enfin sacré à Chartres (24 février 1594) et fait son entrée royale dans Paris le 22 mars 1594. Il reçoit la même année l'absolution pontificale.
Toutefois les catholiques intransigeants de la Ligue, dirigés par Mayenne, frère des Guise, et les Espagnols poursuivent la guerre. Mayenne, battu en juin 1594, finit par se soumettre ainsi que le duc de Mercœur, qui tenait la Bretagne (mars 1598). La paix avec l'Espagne est obtenue par le traité de Vervins (2 mai 1598) qui confirme celui de Cateau-Cambrésis, signé un mois plus tôt.
L'édit de Nantes (13 avril 1598) réalise la pacification religieuse du royaume, accordant de vastes privilèges aux protestants, et met un terme aux guerres de religion.
Henri IV peut alors travailler à restaurer l'État et le pouvoir monarchique, et surtout à reconstruire la France, déchirée par plus de trente ans de guerre civile. D'un caractère bonhomme et simple, il sait se rallier les Français grâce à son autorité, qu'il affirme avec fermeté également contre les nobles. Il est aidé dans son entreprise par des conseillers choisis pour leur valeur, ex-ligueurs ou huguenots. Le principal d'entre eux, le duc de Sully, reste toujours protestant. Le plus important de ses ministres après Sully est Villeroy, ancien ligueur, homme de robe, véritable ministre des Affaires étrangères. Ce personnel politique stable est à l'origine des grandes familles ministérielles de l'Ancien Régime.
La restauration de l'autorité royale et la paix ramènent assez rapidement une certaine prospérité dans le royaume. Henri IV, secondé par Sully, réorganise les finances et favorise le développement économique de la France. L'agriculture, plus particulièrement, mais aussi l'industrie et le commerce sont encouragés. Le système selon lequel les fonctionnaires des Finances et du judiciaire achètent leurs offices (héréditaires) à la couronne est officialisé en 1604 par l'édit de la Paulette. La politique de travaux publics est particulièrement importante et durable : Sully fait refaire routes et chemins, aménage les voies navigables, fait construire des ponts.
Jusqu'en 1609, ces mesures sont accompagnées par une politique extérieure favorable à la paix — cherchant toutefois à isoler l'Espagne. Cependant, en 1610, Henri IV, qui dispose d'une armée entièrement réorganisée par Sully, décide de lancer la guerre contre les Habsbourg dont les armées occupent Clèves et Juliers depuis le début de l'année. Le roi s'apprête à rejoindre son armée lorsqu'il est assassiné par Ravaillac, un catholique fanatisé, le 14 mai 1610, rue de la Ferronnerie à Paris.
Dans le domaine des arts et des lettres, Henri IV a surtout favorisé l'histoire et reconstitué une bibliothèque royale, mais il est avant tout un grand promoteur de l'urbanisme et un grand bâtisseur : on lui doit, à Paris, le Pont-Neuf, la place Dauphine, la place Royale, l'hôpital Saint-Louis. Il a fait transformer les palais royaux et a fait construire des châteaux à ses maîtresses.
Les passions du « vert galant » dans ce domaine sont bien connues : une fois son premier mariage annulé en 1599, il a épousé l'Italienne Marie de Médicis, dont il a eu six enfants : le dauphin Louis (futur Louis XIII), Élisabeth (future reine d'Espagne), Christine, Nicolas, Gaston (futur duc d'Orléans) et Henriette-Marie (bientôt sur le trône d'Angleterre). Ses maîtresses les plus célèbres sont Gabrielle d'Estrées (avec laquelle il a eu trois enfants) et Henriette d'Entragues.
Dans la lignée des princes de la Renaissance, le roi Henri IV de France et de Navarre se montre instruit et amateur des arts de son temps. Protestant...
Le courage, la vaillance, l'autorité dont a fait preuve Henri IV, tout comme sa promptitude à faire du principe religieux un avantage politique, lui ont permis de bénéficier d'une place particulière dans l'histoire de la France. Non seulement il a restauré l'ordre et la prospérité dans son royaume en ruines, mais il a également veillé à ce que la monarchie demeure catholique et absolutiste.

     
 
1610 - 1643
 
     

LOUIS XIII Le JUSTE

Roi France

Né à Fontainebleau en 1601 - mort à Saint Germain en 1643

En 1615, épouse Anne d'Autriche, fille de Philippe III, roi d'Espagne

Fils de Henri IV et de Marie de Médicis, Louis XIII est l’une des figures les plus énigmatiques de la royauté française. Son personnage, cette singulière et si efficace alliance politique qu’il a constituée avec Richelieu ont donné lieu aux interprétations les plus diverses. Du tableau, à la fois critique et ambigu, de Tallemant des Réaux à l’admiration inconditionnelle de Saint-Simon, de la quasi-victime romantique d’Alexandre Dumas aux portraits contrastés de l’historiographie contemporaine, autant de points de vue divers, mais qui tendent, tous, à privilégier Richelieu. Le roi timide, secret, pudique ne manque ni de dons naturels, artistiques en particulier, ni de bon sens. Quasi abandonné par sa mère, veule et peu intelligente, il a, peut-être, souffert du mystère qui planait sur la mort de son père. Il a probablement détesté sa mère et peu aimé sa femme. Roi dès l’âge de neuf ans, mais roi à l’éducation négligée, il laisse éclater sa rancœur et son orgueil bafoué en faisant assassiner Concini, favori de sa mère, en 1617. Cet événement démontre que la raison d’État et le peu de scrupules quant au choix des moyens ne sont pas des créations exclusives du cardinal de Richelieu. Non que la politique de Luynes de 1617 à 1621 eût été très différente de celle de Concini : « catholique », pro-espagnole, elle ne s’en différencie que par l’éloignement de la régente Marie de Médicis. Il faut attendre 1624 et l’entrée de Richelieu au gouvernement pour que, très progressivement, après maintes expériences, se dégage une nouvelle politique dont le mérite revient à ce dernier. L’important est de voir ce que signifie le « ministériat ». Sa courte durée de 1624 à 1661, avec Richelieu puis avec Mazarin, l’importance de l’hostilité qu’a suscitée cette forme de gouvernement, la grandeur des deux personnages qui s’y sont succédé posent des problèmes. On a l’habitude de mettre la série de complots contre les cardinaux Premiers ministres sur le compte de la politique extérieure. C’est oublier qu’ils visent d’abord le système inauguré en 1624, autant et plus que les hommes qui l’incarnent. Richelieu, comme Mazarin, ont fait la fortune de leur famille et de leur clientèle. Et il existe, de ce fait, une certaine rivalité entre clientèle royale et clientèle ministérielle, comme l’a bien entrevu Alexandre Dumas. Au vrai, la question ne se serait pas posée avec une telle acuité si les nécessités de la guerre de Trente Ans n’avaient, dans la décennie 1630-1640, formidablement augmenté, par l’accroissement de l’armée et de la pression fiscale, la puissance réelle du pouvoir monarchique. L’installation des intendants dans les provinces, la centralisation administrative qui joue au bénéfice de la ville de Paris et se traduit, entre autres, par l’essor, définitif, de l’atelier de frappe monétaire parisien au détriment des ateliers provinciaux, tout prouve combien le poids de l’État s’appesantit sur l’ensemble de la société française. Ces « novelletés », justement attribuées au ministériat, font de lui le point de mire non seulement des tenants d’une politique extérieure plus pacifique, mais aussi des partisans d’une structure d’État moins pesante. Or Louis XIII ne s’est guère éloigné de la ligne tracée par Richelieu et a souvent renchéri sur les rigueurs du cardinal. En vérité, le seul vrai ministériat a été celui de Mazarin, maître exclusif, et par moments désinvolte, d’Anne d’Autriche. Richelieu doit d’abord convaincre le roi, et l’on connaît sa célèbre phrase sur la difficulté à conquérir et à garder les quelques pieds carrés du cabinet royal. Louis XIII a tenu à rester le maître de ses décisions et il a eu à maintes reprises, comme lors de la journée des Dupes, à trancher entre son ministre et les clans adverses. Henri IV devait encore équilibrer les diverses tendances politiques dans son entourage. Louis XIII a pu se permettre de donner son appui à un homme dont la politique ne représentait probablement pas la tendance majeure de « l’opinion » de la cour et de la ville. Ce qui paraît démontrer le rôle prééminent du cardinal souligne, paradoxalement, la profondeur du renforcement de l’absolutisme royal, et explique aussi la violence des tentatives de réaction ultérieures. N’exagérons cependant pas l’opposition entre le « rationalisme » déjà « classique » du couple politique roi-Premier ministre et la réaction féodale de cette première moitié du XVIIIe siècle français étonnamment « baroque ». Chez le roi comme chez le cardinal, on rencontre aussi quelques-uns des désirs politiques fondamentaux de l’époque : souhait de voir réaliser l’unité religieuse, à tout le moins de briser l’État dans l’État qu’avait formé, sous la régence, l’appareil politique protestant groupé autour des Rohan ; volonté de rénovation religieuse et d’épuration des mœurs. Mécène à sa manière, doué pour la musique, quelque peu sculpteur, Louis XIII se révèle peut-être le mieux dans ses goûts. Il a fait, entre autres, de Georges de La Tour un « peintre royal » et, ce qui est plus significatif, il a collectionné les œuvres de celui-ci : éclairage oblique, mais combien typique, de l’homme. Ambigu, secret, jaloux de son autorité et pénétré de ses devoirs, Louis XIII a eu, à défaut de génie propre, celui de voir et d’utiliser celui du cardinal. Y a-t-il tant d’hommes, surtout dans le monde politique, qui ont possédé ce genre de clairvoyance et, plus encore, qui sont capables de supporter sans ombrage un esprit qui les dépasse ?

     
 
1643- 1715
 
     

LOUIS XIV Le GRAND dit LE ROI SOLEIL

Roi France

Né à Saint-Germain-en-Laye en 1638 - mort à Versailles en 1715

Fils de Louis XIII

En 1660, il épouse Marie-Thérèse d'Autriche, fille de Philippe IV d'Espagne (6 enfants dont 1 seul survécut). A sa mort, il conclut secrétement en 1683 un mariage morgantique avec Françoise d'Aubigné, Marquise de Maintenon

Maîtresses : Louise de la Valières (6 enfants dont 2 seulement parvinrent à l'âge adulte) ; Françoise de Montespan (8 enfants dont 4 seulement parvinrent à l'âge adulte) ; Claude de oeillets (1 fille) ; Marie-Angélique de Fontanges (1 fille)

La période du règne personnel s’étend de 1661 à 1715, soit pendant cinquante-quatre ans, période du gouvernement effectif du souverain. C’est par le travail que l’on règne, disait Louis XIV ; il a mis ce principe en pratique, jour après jour, par son assiduité aux affaires. Au Conseil d’en haut, véritable moteur de la monarchie, il a pris, avec un très petit nombre de ministres, les résolutions les plus importantes. Obtenir l’obéissance à l’intérieur, assurer la réputation de la France au-dehors étaient les règles essentielles de sa politique. Ses décisions avaient force de loi, elles étaient la loi même, en vertu de l’absolutisme royal, élaboré à la fois par la tradition féodale qui tenait le roi pour suprême suzerain et suprême juge et par les légistes imbus de droit romain, concevant l’autorité royale comme aussi indivisible que le point en géométrie et le roi comme arbitre, au nom de l’intérêt public, entre les divers ordres et les groupes de privilégiés (chaque groupe, même dans le tiers état, ayant ses privilèges et libertés). L’obéissance à l’intérieur signifiait donc la fidélité de la noblesse, la soumission de tous à la décision royale, la nécessité de la présence d’agents du pouvoir central (officiers et intendants).
La monarchie a ainsi reçu un caractère administratif plus marqué. Le prestige au-dehors impliquait une force militaire redoutable, afin d’appuyer les revendications vis-à-vis de l’étranger, la guerre, qui procure la gloire au vainqueur, devenant le recours normal, lorsque l’honneur est en question. À la tentation de la guerre, Louis XIV a peu résisté, mais les guerres, perdant leur caractère chevaleresque, sont devenues de plus en plus affaire de nombre, de discipline et de tactique. Elles réclamaient des sommes de plus en plus élevées au trésor royal, en fait à l’impôt. Les ressources le permettaient-elles ? Pouvait-on rendre le pays plus riche et en recueillir un impôt augmenté sans cesse, mais qui parût à la fois supportable et équitable ?
À cela s’ajoutait ce qu’on appelle aujourd’hui les réactions de mentalité collective. La fonction royale jouissait d’un rayonnement quasi religieux. Représentant de Dieu selon une conception hiérarchisée du monde, ayant reçu au sacre des charismes particuliers, le roi bénéficiait dans sa personne d’un prestige indiscutable . À une société patriarcale, il apparaissait comme le père par excellence, ses peuples étaient ses enfants. Or « les peuples se plaisent au spectacle, disait Louis XIV. Par là, nous tenons leur esprit et leur cœur. » D’où, ceci venant à la fois de la Renaissance et du caractère rituel de l’Église, le cadre magnifique où la vie du roi doit se dérouler comme une cérémonie. La cour, Versailles, Fontainebleau, Saint-Germain répondaient à cette quête de prestige.
Mais dans quelle mesure la France de Louis XIV, par son état démographique, par ses ressources, par l’adhésion morale des divers milieux, pouvait-elle s’adapter à ce que le roi demandait d’elle ?
C’est le problème de ce règne, d’une durée surprenante et riche d’événements et de mutations.
La naissance d’un dauphin, le 5 septembre 1638, avait été accueillie avec joie par l’opinion du pays. À la fois dans les groupes éclairés de la société et dans les classes populaires, la France ressentait l’absence d’un héritier au trône comme une frustration nationale. Mariés depuis 1615, époux depuis 1619, le roi Louis XIII et la reine Anne d’Autriche étaient demeurés jusque-là sans enfant. Aussi ne faut-il pas s’étonner que, dans les couvents, on ait prié avec ardeur pour la naissance du dauphin et que sa venue ait été accueillie comme le signe de la dilection de Dieu envers les Français.
Presque toute l’Europe était alors religieuse et monarchique et chaque pays éprouvait la même ferveur pour ses princes légitimes.
Louis avait quatre ans et demi lorsque la mort de Louis XIII le fit roi (14 mai 1643). La France était depuis huit ans en guerre avec l’Espagne et l’Empire, lourde guerre aux frontières, et Richelieu avait plié à sa politique un pays récalcitrant, rebelle à l’impôt et aux intendants qui le faisaient payer. Pour maintenir son œuvre fragile, il avait en mourant (déc. 1642) recommandé à Louis XIII comme le meilleur ministre possible son collaborateur, le cardinal Mazarin . Anne d’Autriche, à qui le parlement de Paris avait reconnu le plein exercice de la régence, crut ne pas pouvoir gouverner sans l’assistance de Mazarin. L’épousa-t-elle secrètement ? On ne le croit plus. Amants, amis, qu’importe ! mais associés étroitement, dans l’éducation du jeune roi comme dans les autres affaires. On a beaucoup dit que cette éducation fut gâtée par la flatterie. Mais comment imposer des actes ordinaires à cet enfant exceptionnel, en qui l’on vénérait le roi ? D’intelligence équilibrée, avec une excellente mémoire, Louis XIV reçut une éducation humaniste qui lui laissa une bonne connaissance du latin, une solide maîtrise de sa propre langue, un usage élégant de deux autres (italien et espagnol), des idées générales assez justes sur le passé de la France et ses institutions. Il fut pénétré ou se pénétra tout seul de sa conduite hors série, de son droit d’être le maître et de l’idée que résister à sa volonté (volonté ou caprice) était assurément mal faire. Il a déclaré lui-même qu’enfant il se sentait humilié par l’histoire des rois fainéants et des maires du palais. Sa principale école fut pourtant la terrible crise de la Fronde, survenue à l’heure où se terminait, par la paix de Westphalie, la guerre avec l’Empire, mais où la guerre principale contre l’Espagne prenait encore plus d’importance. Des événements, le petit roi reçut une série de chocs : la fuite à Saint-Germain par une nuit d’hiver (il avait dix ans), l’invasion de sa chambre par la populace parisienne venant s’assurer qu’on ne préparait pas un nouveau départ, les perpétuels remuements de la capitale dans la rue et même au palais royal, les allées et venues entre Paris troublé et la province, où les villes tantôt l’accueillaient, tantôt devaient être conquises, la guerre civile de l’été 1652 et le retour triomphal à Paris à l’automne. Il avait alors quatorze ans. Mazarin n’était pas encore rentré et le roi accomplit son premier acte d’autorité. Il fit arrêter le cardinal de Retz, surprenant tout l’entourage par sa résolution et sa dissimulation. Le secret, que Richelieu recommandait comme vertu royale, devait être toujours un trait de son comportement politique.
Du retour du cardinal (1653) à sa mort, huit années s’écoulèrent, au cours desquelles le jeune roi consentit à laisser à Mazarin les fonctions de Premier ministre et la direction des affaires. Période mal connue dans le détail, où l’autorité du roi fut de nouveau assise, beaucoup de malheurs de la guerre civile réparés, la situation de la France consolidée au-dehors par la paix avec l’Espagne, enfin conclue avantageusement (traité des Pyrénées, en 1659, où la France reçut l’Artois et le Roussillon), l’arbitrage accepté par les pays du Nord (Brandebourg, Suède, Pologne). Mais, pendant ce temps, l’adolescent devenait un jeune homme. Il paraissait enclin au plaisir et satisfait d’une vie de parade et de fêtes, figurant lui-même dans les ballets costumés, les carrousels et les cavalcades, montrant beaucoup de complaisance pour les concerts et les opéras à la manière italienne et baroque. Ses sens s’éveillaient, que la religion n’aidait guère à discipliner. Au demeurant, sa religion, difficile à apprécier équitablement, était déjà un mélange de foi profonde, d’attachement sincère au catholicisme, de déférence envers Rome et l’Église, de fidélité aux rites qui lui coûtaient le moins et d’un accommodement pharisaïque avec les entraînements de la chair. Toutefois, il se laissa marier, par nécessité politique, à l’infante Marie-Thérèse d’Espagne. De ce mariage il devait avoir six enfants, dont seul survécut l’aîné, le Grand Dauphin (1661-1711) .
La mort de Mazarin (mars 1661) permit au jeune souverain d’entrer en scène, car il se résolut aussitôt à exercer ce métier de roi que, dans les éclairants Mémoires pour l’instruction du dauphin, il a déclaré lui-même « noble, grand et délicieux ». Des historiens d’à présent appliquent l’épithète « révolutionnaire » à ce qu’entreprit alors Louis XIV. Cela doit être entendu des incontestables changements que, pourtant traditionaliste (piété filiale envers son père, volonté de poursuivre l’œuvre des ancêtres pour l’élargir et l’améliorer), il apporta tout de suite au gouvernement effectif du royaume. Sa conviction est que le roi doit agir lui-même et que rien ne peut être décidé qu’en son nom. D’où la ferme décision d’écarter ceux à qui la naissance ou de hautes charges pouvaient prêter une autorité préjudiciable à la sienne. Délibérément, il ne souffrit plus jamais de Premier ministre, ni de prince du sang, ni de cardinal dans le Conseil du roi. Il ne rétablit jamais, à la tête de l’armée, la fonction de connétable (il la refusa encore à Villars en 1714). Après la chute de Fouquet, dont la richesse mal acquise (mais il y en avait d’autres) et l’influence sur trop de milieux éveillaient sa jalousie, il n’y eut plus de surintendant des Finances. Reste le chancelier qu’il n’a jamais supprimé ; mais il en a diminué singulièrement l’autorité, en le confinant dans la présidence du Conseil des parties, qui devint de plus en plus un tribunal administratif. Dans les différents conseils, qui étaient de véritables conseils de gouvernement (Conseil d’en haut, Conseil des dépêches, Conseil des finances), il n’admit que des commis d’origine bourgeoise. Il les comblait d’honneurs, de titres de noblesse et de richesses, mais sans que jamais on pût les confondre avec les membres de la noblesse du sang, ni oublier qu’ils étaient les « domestiques » du roi. Il fut simplement assisté dans cette entreprise par Colbert, un ancien intendant de Mazarin, très bon connaisseur du travail effectif des conseils, prodigieusement intelligent et laborieux, passionnément ambitieux et autoritaire, mais prudent et assez habile pour ne jamais lui porter ombrage. Colbert n’eut que le titre de contrôleur général des Finances, mais il réorganisa le Conseil des finances et il reçut les secrétariats d’État de la Marine, de la Maison du roi. Pratiquement, relevèrent de lui les intendants de province, tout le commerce, la navigation, les eaux et forêts et les colonies. L’armée de terre et la politique étrangère dépendaient d’autres ministres (Le Tellier et Louvois pour la première, Lionne, Pomponne, Croissy pour la seconde), alors qu’au temps de Richelieu et de Mazarin le principal ministre connaissait de tout. Au Conseil des finances – création de Colbert – était arrêté le brevet de la taille et établi le budget, que le contrôleur général aurait voulu positif, les recettes équilibrant les dépenses ; à cause des charges générales de la monarchie, surtout les frais de la guerre et de bâtiments, cela fut bientôt impossible. Comme par le passé, le gouvernement royal ne cessa de s’endetter. La méthode de Colbert eut pour résultat que la monarchie, dans les affaires intérieures du royaume, de judiciaire devint de plus en plus administrative et fiscale, soumettant effectivement les privilèges des provinces, des communautés urbaines et rurales aux exigences du contrôle général, transmises par les intendants et leurs subdélégués. Ainsi, il y eut plus d’ordre et d’unité dans le royaume, mais au détriment de la liberté. Colbert, appliquant la doctrine mercantiliste, voulait animer la production française pour vendre au-dehors et attirer en France la plus forte quantité possible d’espèces. Il fonda les manufactures d’État, accorda des privilèges à des entreprises de particuliers, s’attacha à améliorer l’administration des forêts, mit en chantier des navires de guerre pour la défense des côtes et la protection de la flotte marchande. Il encouragea la création de compagnies de commerce et de navigation pour les Antilles, le golfe de Guinée, la Baltique.
Les limites au succès de son entreprise ne tiennent pas seulement, comme on l’a dit, aux charges de la politique de magnificence que, contre son avis, Louis XIV prétendait poursuivre. Colbert aurait souhaité limiter la prodigalité du roi, mais il se heurtait à des difficultés qui ne dépendaient pas de volontés individuelles. Le XVIIe siècle a connu souvent une météorologie défavorable, compromettant les récoltes et entraînant la gêne des producteurs et des rentiers de la terre. En outre, la demande se restreignait sur le marché international, par la suite d’un fléchissement dans la production des mines d’Amérique et de l’abaissement démographique de plusieurs pays européens. Moins d’espèces en circulation, moins d’acheteurs disponibles dans le monde. Cela explique, pour une grande part, l’essoufflement des compagnies, la répugnance du public sollicité à risquer ses fonds dans des entreprises incertaines et l’attachement aux modes traditionnels de placement : achat de rentes, d’offices (d’autant plus que le Trésor en offrait toujours), prêts entre particuliers et achat de terres, souvent parcelles après parcelles, pour arrondir les héritages, au détriment des biens communaux ou des paysans les plus pauvres. Colbert s’est préoccupé de l’agriculture, essayant de diminuer la taille pour en obtenir le paiement intégral, d’encourager les cultures nouvelles et l’amélioration de l’élevage. S’il n’a pu obtenir les transformations qu’il escomptait, si la population française ne s’est pas élevée rapidement (terrible mortalité infantile, durée moyenne de vie de vingt-cinq ans), la France avait, entre 1660 et 1670, la réputation d’un pays riche en ressources.
Dans l’ordre politique, la France avait pris la relève de l’Espagne ; dans celui de la civilisation, elle allait prendre celle de l’Italie, magnifique par l’éclat de ses cours et la richesse incomparable de ses centres artistiques : Rome, Florence, Parme, Bologne, Venise, la qualité de ses ateliers, la renommée de ses théâtres, l’autorité admise des théoriciens. À cela s’ajoutait la surabondance des œuvres antiques. Il fallait donc capter des richesses et une réputation, attirer en France « tout ce qu’il y a de beau en Italie », disait Colbert. La pensée française elle-même et les arts avaient accompli d’immenses progrès. Une élite d’écrivains, d’architectes, de peintres et de sculpteurs s’était constituée au service d’une clientèle d’Église, de seigneurs et de hauts personnages. En pleine vigueur au moment où le roi prit le pouvoir, elle avait travaillé pour Mazarin, puis pour Fouquet. Louis XIV l’employa à son tour. Dix années de réussites merveilleuses : Corneille, dont le talent demeure souple et inventif, Molière, dont les comédies figurent au programme des grandes fêtes de cour, Racine, dont les tragédies renouvellent le genre, les peintres Le Brun et Mignard, l’architecte Le Vau, Mansart, le créateur de jardins Le Nôtre.
Le roi aimait le beau, et en cette matière il jugeait bien, d’instinct. Colbert, continuateur de Richelieu dans ce domaine aussi, entendait que la qualité des œuvres fût garantie par la sûreté de doctrine et le contrôle des « intelligents », c’est-à-dire de personnes instruites des règles et bien informées. À l’instar de l’Académie française qui veillait à la pureté de la langue, de nouvelles académies furent créées : Académie des inscriptions ou Petite Académie (1663) pour les médailles et les inscriptions lapidaires sur les monuments publics, Académie de peinture et sculpture (1664), Académie des sciences (1666), Académie d’architecture (1671). Tout cela officiel, assurément, mais pas du tout contraignant, comme on l’a prétendu, ni académique, au sens figuré du terme. Car les tempéraments étaient divers, les opinions et les manières se transformaient sans cesse, fût-ce en s’attachant toujours à un idéal d’harmonie, d’équilibre et de raison.
Sans doute, les artistes ont besoin de mécènes et produisent dans l’esprit qu’on leur suggère. Mais deux faits doivent être reconnus : d’une part, à cette date, l’éclosion d’une culture élaborée depuis deux générations et qui s’exprime ; de l’autre, l’attrait exercé par le roi lui-même, dont la jeunesse et la gloire s’offrent comme des thèmes naturels d’inspiration. Il est Apollon, Alexandre, parce que sa renommée et sa présence semblent les incarnations de ces grands symboles et de ces illustres souvenirs (le cycle d’Alexandre, de Le Brun). Cela est si vrai que le plus grand sculpteur et architecte du temps, Bernin, le second Michel-Ange, comblé de commandes et d’honneurs, accepta de venir à Paris, dans l’espoir de couronner sa carrière illustre par un morceau hors pair : la reconstruction du Louvre. Et ce n’est pas du tout la querelle du classique et du baroque qui empêcha l’affaire conclue d’être réalisée ; ce fut la coïncidence de la première guerre (1667), et des économies qu’elle imposait, avec la présence à Paris d’excellents architectes, au demeurant jaloux de l’Italien, et dont les projets prouvaient qu’ils pouvaient faire aussi bien et moins cher. Parler de feu d’artifice, parce que la période, disons flamboyante, de ces réussites fut assez brève, c’est ne pas faire sentir toute son intensité qui devait nourrir les œuvres françaises au cours des décennies suivantes et consacrer la réputation universelle d’un style. Classicisme essentiel et original, mais qui n’exclut pas nombre d’aspects baroques, ni même l’existence d’un baroque français, coloré, fervent et pourtant sans outrances. Il ne faut pas seulement penser aux grandes œuvres célèbres, ou à celles que les historiens d’art avertis d’à présent remettent au jour, mais à une très nombreuse production dans les provinces, pour les églises et les demeures privées, et encore à la multitude des exécutants, des artisans pourvus d’une véritable maîtrise technique et de beaucoup de goût, à Paris et dans les villes. Assurément, Louis XIV, sa gloire, son administration et sa politique ne peuvent porter une immédiate responsabilité, mais ce qui fut accompli autour du roi ou à cause de lui donna son impulsion à toute cette civilisation, justifiant ainsi qu’on parle du siècle de Louis XIV.
En 1667, la France rompit la paix qu’elle maintenait avec l’Espagne depuis huit ans. Ce fut le commencement des guerres qui tinrent une si grande place dans le règne et dont il est plus important de comprendre le caractère et les conséquences que d’évoquer les péripéties. Ainsi se trouvent posés deux problèmes : celui de la politique étrangère du roi et celui de la force militaire du royaume.
Y eut-il dès l’origine un programme arrêté ou même une idée directrice de la politique étrangère ? Les historiens ont cru les reconnaître dans les prétentions à la succession d’Espagne ou à des fragments de cette succession, parce que la dot de la reine Marie-Thérèse, moyennant quoi celle-ci renonçait à ses droits, n’avait pas été payée et que la recherche de compensation s’était imposée, dès la mort de son père, le roi Philippe IV (1665). D’autres ont évoqué la mauvaise configuration des frontières (qui, même après la paix de Westphalie et celle des Pyrénées, laissaient le royaume vulnérable) et l’ambition d’atteindre les frontières naturelles, le Rhin sur toute sa longueur. La première interprétation est excessive, la seconde provient d’une idée fausse, étendant à l’époque de Louis XIV des desseins formés bien plus tard. On a évoqué, enfin, avec de meilleurs arguments, la passion de la gloire qui fut l’un des traits essentiels du caractère de Louis XIV. Au XVIIe siècle, un roi était, par excellence, un chef de guerre, le premier gentilhomme de son royaume et, comme tel, il devait rechercher « de grandes occasions de se signaler ». Les termes sont de Louis XIV. Mais de lui aussi cette réserve : « La grandeur de notre courage ne doit pas nous faire négliger le secours de notre raison et plus on aime chèrement la gloire, plus on doit chercher à l’acquérir avec sécurité. » Louis XIV, dont un autre trait était la prudence, ne s’est jamais jeté à l’étourdie dans une aventure guerrière. Ce qui ne signifie pas que, pesées, toutes ses décisions furent sages, car son ambition et son orgueil, attisés par plusieurs de ses conseillers, provoquèrent des résistances, et même des offensives auxquelles il ne s’attendait pas. Au début du règne, le Conseil du roi (Brienne et Lionne) n’incitait pas aux actions d’éclat et la seule raison de rechercher la guerre eût été l’humeur impatiente de la jeune noblesse. Un exutoire fut offert aux plus ardents par l’envoi de troupes en Hongrie en 1664, pour secourir l’empereur et la chrétienté lors d’une offensive ottomane, qui fut arrêtée, en partie grâce aux Français, près du couvent de Saint-Gotthard, dans la région de la Raab.
Surtout, il faut bien comprendre la nature judiciaire et chicanière de la diplomatie d’alors. Dans aucun pays elle ne s’inspirait d’un idéal philosophique ou moral et n’en mettait les principes en avant. Sur chaque territoire pesaient un nombre énorme de droits de suzeraineté, compliqués par les contrats et les successions et qui justifiaient la légitimité du détenteur actuel, contestée par d’autres prétendants à la possession. Les traités signés, leur application soulevait d’interminables débats, où naturellement le plus fort l’emportait, mais en prouvant que le droit était pour lui. Le résultat avait comporté beaucoup de complaisances et d’intrigues, afin d’obtenir les convictions ou les consentements.
Pour les territoires et les droits d’Alsace, cédés à la paix de Westphalie, pour les droits de la reine et le traité des Pyrénées, pour les terres du duché de Lorraine, les unes vassales d’Empire devenues autonomes et les autres vassales de France, la situation ne pouvait être établie que de cette manière. Aussi Louis XIV ne concevait-il la politique étrangère qu’à travers ces débats, dont la procédure, œuvre de feudistes et d’experts, était portée au secrétariat d’État aux affaires étrangères et au Conseil. La diplomatie et la représentation du roi auprès des autres souverains étaient confiées déjà à de grands commis spécialisés ou à des personnages importants. Ceux-ci employaient informateurs et espions. Une autre habitude du temps était la constitution de clientèles. Il y en avait en France. Il paraissait naturel qu’au dehors le roi, par des obligations et des cadeaux, s’attachât des seigneurs influents ou des ministres. À la fin du règne, lors des pourparlers de La Haye, il offrait encore des millions à Marlborough, général de la coalition adverse, pour l’incliner à son parti.
À son droit, à son crédit, à son influence, Louis XIV a cru, de plus en plus, comme à autant de valeurs irrésistibles. Il ne s’est probablement jamais fait une idée nette de ce que représentait l’achat d’une conscience, et, croyant chez les autres au seul intérêt et pour lui-même à son bon droit, il s’est préparé bien des désillusions et des erreurs de manœuvre. En outre, il faut citer encore, le sens et l’agrément du métier royal lui paraissant d’avoir « les yeux ouverts sur toute la terre, apprendre à toute heure les nouvelles de toutes les nations, le secret de toutes les cours, l’humeur et le faible de tous les princes et de tous les ministres étrangers », cela, pour brillant et pénétrant qu’il semble, laissait de côté la nature et les intérêts profonds des peuples, leurs traditions religieuses et leurs possibles réactions de sensibilité collective, tout ce qui pouvait rendre un jour irréductibles des adversaires ou des ennemis.
En 1661, la France disposait d’alliances : la Suède, les Provinces-Unies, l’Angleterre, depuis Cromwell et surtout la restauration de Charles II Stuart. Louis XIV était garant des traités de Westphalie, protecteur de la ligue du Rhin (alliance intérieure de plusieurs princes d’Empire) et disposait d’une clientèle en Allemagne. Mais bientôt, en pleine paix, les chicanes avec la cour d’Espagne pour la préséance des ambassadeurs, avec le pape pour la garde corse suscitèrent l’image d’un roi agressif qui entendait fonder son prestige sur l’humiliation des autres. Lui qui était doué personnellement de tant de qualités aimables se destinait à être craint au dehors, tant qu’il serait redoutable, mais à n’être jamais aimé et à devenir détesté.
Il y eut de bons résultats pourtant : l’achat, au roi Charles II, de Dunkerque, enclave anglaise sur le continent, le traité de Montmartre avec le duc de Lorraine, qui cédait son duché à la France, tout en le conservant à titre viager. Il est vrai que le duc intrigua et que Louis XIV fit occuper militairement la Lorraine, ce que l’Empire n’admit jamais. Les relations avec l’Empire et l’empereur étaient délicates. Lors de l’élection de 1658, Mazarin n’avait pas présenté la candidature de Louis XIV à l’Empire, parce qu’il ne jugeait pas l’affaire assez mûre. Léopold de Habsbourg avait été élu. Mais Louis XIV, qui jalousait la dignité impériale, espérait qu’elle lui reviendrait un jour, à lui ou au dauphin, et ce fut l’une des raisons d’entretenir une alliance avec des princes allemands, dont l’Électeur de Brandebourg. En cas de guerre avec l’Espagne, la position de l’empereur et de l’Empire serait sûrement d’une importance presque décisive.
Cette guerre devenait de plus en plus probable, à partir de la mort de Philippe IV. Il faut ici parler de l’armée. Le secrétaire d’État qui l’avait dans son ressort était le plus fidèle serviteur de la monarchie : Michel Le Tellier, excellent intendant et administrateur. Ses réformes avaient contribué à corriger les défauts d’un système qu’on ne pouvait transformer d’un coup : armée recrutée par engagements volontaires (racolage), encadrée par des officiers nobles, courageux et braves, mais peu disciplinés. Les colonels et capitaines achetaient leurs charges, entretenaient eux-mêmes leurs troupes en trafiquant sur le nombre des hommes et les marchés. Les règlements de Le Tellier mirent le plus d’ordre possible dans les questions de solde, de subsistance et d’étapes. Ils améliorèrent l’armement de l’infanterie et de la cavalerie, l’emploi de l’artillerie qui dépendait encore d’un grand maître (1 000 canons fondus de 1664 à 1666) et l’aménagement des forteresses. On disposait déjà d’excellents ingénieurs, formés par une tradition française et italienne, bons connaisseurs de la mise en défense d’une place, de la disposition des bastions, de la manœuvre de la mine. Ainsi, l’armée devint vraiment royale, dans ce sens que le roi l’eut désormais à sa disposition comme la base et l’instrument de sa politique extérieure, qu’elle fut administrée régulièrement comme les autres secteurs. Elle eut de bons généraux, à l’école des deux grands chefs dont la réputation était européenne : Turenne, ancien élève des stratèges hollandais, Condé, tacticien intrépide et entraînant. Tous deux, qui avaient été rebelles, ne respiraient que le service du roi et Louis XIV appela le premier le « père de la patrie ». Dès la guerre de 1667, l’armée française, par le nombre (72 000 hommes, dont beaucoup de régiments étrangers, suisses, allemands et italiens, selon l’usage du temps) et surtout par la capacité, était supérieure aux autres armées européennes.
Elle ne cessa de se transformer, au cours de la guerre de Hollande. Le Tellier était assisté de son fils Louvois, qui le remplaçait pratiquement. Moins réservé que son père, Louvois, parce qu’il sentait l’armée de plus en plus forte et efficace, encouragea la politique de conquêtes et d’ambition. En territoire étranger, il usa de procédés d’extermination épouvantables : le dégât, c’est-à-dire l’incendie et l’arasement du plat pays. Ses soins se portèrent vers l’armement (fusil, baïonnette), l’intendance, la solde et la sécurité des étapes. Parallèlement à son effort, celui de Colbert et de Seignelay, son fils et successeur, pourvut la France d’une marine de qualité, aussi bien par la construction des meilleurs et plus beaux navires dans les arsenaux de Brest et de Toulon (vaisseaux de haut bord pour le Ponant, galères en Méditerranée) que pour l’enrôlement des marins (inscription maritime), et cela avec d’autant plus de mérite qu’à la différence de l’Angleterre et de la Hollande, l’opinion française n’était pas celle d’un pays intéressé par les choses de la mer. Surtout, il y eut l’œuvre de Vauban. Cet ingénieur militaire, que son mérite éleva jusqu’à la dignité de maréchal de France, pourvut les villes conquises et les ports d’un système nouveau d’ouvrages fortifiés, si bien que l’invasion du royaume devenait sinon impossible, du moins très difficile.
Mais les guerres successives obligèrent à augmenter le nombre des troupes et à compléter les enrôlements militaires par la milice (tirage au sort, 1688). Bien des vices anciens subsistèrent, mais, mieux encadré, mieux ravitaillé, mieux armé, entouré de plus de soins (les Invalides), le soldat français de Louis XIV prit une figure originale et connut un destin plus digne que celui de la période précédente.
Le souci du prestige de la France au-dehors, qui se confondait alors avec la puissance et la réputation de la dynastie, a incontestablement entraîné Louis XIV à une politique belliqueuse, très lourde par ses conséquences fiscales et dont les excès ont suscité contre lui des coalitions qui finirent par mettre en péril le royaume lui-même. Une première phase, celle des succès, qu’il ne faut pas croire toujours faciles, s’étend de 1661 à 1679. Elle s’est déroulée dans l’esprit de la traditionnelle rivalité entre la France et l’Espagne, mais elle a conduit aussi au conflit avec la Hollande et l’Empire. Pendant toute cette période, l’Angleterre des Stuarts demeura plutôt favorable à Louis XIV.
La guerre de Dévolution (1667-1668) n’était pas reconnue comme telle ; Louis XIV prenait possession des villes du Nord comme part de la reine dans la succession de son père, en vertu d’un droit des Pays-Bas. Après une brillante campagne de sièges, il obtint onze places, dont Lille, au traité d’Aix-la-Chapelle. S’il avait pu s’assurer la neutralité de l’empereur, il avait été pressé de conclure la paix par la formation d’une triple alliance entre l’Angleterre, les Provinces-Unies, la veille adversaires, mais réconciliées pour lui offrir leur médiation, et la Suède. Il était relativement aisé de ramener l’Angleterre et la Suède dans l’orbite de la France, mais, pour des raisons religieuses, politiques et surtout économiques, la rivalité avec les Hollandais était difficile à surmonter. Après quatre ans de préparation diplomatique, Louis XIV ouvrit le conflit avec les Provinces-Unies et, en quelques semaines (1672), les réduisit à demander la paix. Mais les conditions qu’il proposa furent si dures qu’elles entraînèrent une révolution à La Haye, la chute du gouvernement républicain de Jean de Witt et l’arrivée au pouvoir du stathouder Guillaume d’Orange, qui devait être l’un des adversaires les plus acharnés de Louis XIV. Une coalition se forma entre les Hollandais, l’Espagne, l’empereur, l’Empire et le duc de Lorraine. Tout l’effort de la guerre se reporta de la Hollande vers les Pays-Bas espagnols, la Franche-Comté et l’Alsace. La nouveauté fut le déploiement de la force française sur mer, dans la guerre d’escadre et la guerre de course. Les flottes d’Espagne et de Hollande subirent de sérieux échecs en Méditerranée, autour de la Sicile, occupée par les soldats de Louis XIV. À l’est de l’Europe, l’Électeur de Brandebourg, qui était passé d’un camp à l’autre, battit les Suédois à Fehrbellin (1675). L’insurrection hongroise d’Imre Thököly, à laquelle la France aurait voulu procurer l’appui de la Pologne, gênait l’empereur, sans apporter de solution au conflit. Les négociations engagées à Nimègue garantirent les plus grands avantages à la France. Celle-ci obtenait de l’Espagne la Franche-Comté, des villes du Hainaut, de la Flandre maritime et de l’Artois, ce qui donna, après quelques échanges, un tracé continu à la frontière du Nord-Est. La Hollande était plus ménagée par un nouveau traité de commerce. Dans l’Empire, l’empereur cédait Fribourg-en Brisgau. La Lorraine devait être restituée à son duc, mais amputée de Nancy et traversée de quatre routes. La résistance du duc servit de prétexte pour la conserver provisoirement. Quant à l’Alsace, les circonstances avaient permis à Louis XIV de rompre les derniers liens qu’elle avait avec l’Empire et d’y asseoir son autorité directe, favorable à un relèvement économique du pays.
Les territoires cédés l’étant, selon la vieille formule, avec leurs appartenances et dépendances, Louis XIV, conseillé par Colbert, de Croissy et Louvois, étendit ses revendications. Des chambres des parlements de Metz, Besançon, Douai et un conseil à Brisach prononcèrent des arrêts de réunion. Puis, en 1681, Louis XIV obtint la capitulation de Strasbourg et il acheta Casal au duc de Mantoue.
Redouté de toute l’Europe, où commençaient à se nouer des alliances défensives, Louis XIV était au faîte de sa puissance. Les complications provinrent de l’Orient. Un vizir ambitieux, Kara Mustafa, avait reconstitué et regroupé les forces du sultan pour les lancer à l’assaut de Vienne. Les pays de l’empereur d’Allemagne, la Pologne, l’Italie même voyaient dans cette entreprise un péril pour toute la chrétienté. Aussi le pape Innocent XI souhaitait-il la formation d’une ligue dont Louis XIV, le prince le plus fort d’Europe, aurait pris la tête. Au contraire, Louis XIV voulait utiliser cette menace pour décider les autres à reconnaître définitivement ses réunions. Le résultat fut que les Turcs purent assiéger Vienne en juillet 1683 et que, sans la participation des Français, les Allemands et les Polonais de Jean III Sobieski livrèrent et gagnèrent la bataille de la délivrance. Le prestige de la France était atteint.
Néanmoins, après une courte guerre avec l’Espagne, Louis XIV put obtenir aux traités de Ratisbonne la cession de Luxembourg et la reconnaissance pour vingt ans des réunions, y compris celles de Strasbourg et Casal. Il lui fallait se garder, dès lors, de toute provocation.
À cette date, bien des transformations avaient été accomplies à l’intérieur du royaume. L’une des plus importantes fut l’aménagement du palais de Versailles, où les services des ministres se fixèrent auprès du roi, séparation entre la capitale et la résidence du gouvernement qui devait se révéler lourde de conséquences.
Sur le plan de l’art, la réussite était admirable : Hardouin-Mansart achevait le premier remaniement du palais commencé par Le Vau. À l’intérieur, la galerie des Glaces , décorée par Le Brun, reliait le salon de la Guerre à celui de la Paix, comme le symbole de la politique royale qui prétendait n’avoir fait la guerre que pour assurer la tranquillité à l’Europe. Au-dehors, le parc avec les bassins, le grand canal, les bosquets et Trianon : rien de pareil n’avait été accompli depuis les Romains. Et dans ce cadre, les fêtes, les concerts, la vie d’une cour bien réglée et servile autour du maître, dont elle attend faveurs et pensions, et la libre entrée du peuple qui, dans une surprenante cohue, prend sa part du spectacle.
Mais les difficultés du gouvernement intérieur sont nombreuses, surtout les affaires religieuses.
Louis XIV prenait appui sur l’Église, le concordat de 1516 et les indults lui donnant le droit de nommer les évêques et de pourvoir à de nombreux bénéfices. D’autre part, le clergé de France, dans ses assemblées de cinq en cinq ans, lui accordait, par le don gratuit, une solide contribution financière. Les curés avaient la charge de l’état civil. Cette religion liée aux institutions et à l’ordre social du royaume, était vécue avec plus d’intensité et de foi par les fidèles, sous l’influence de prêtres plus éclairés et formés dans les séminaires. Au début du règne personnel, Louis XIV se méfiait des dévots qui censuraient le théâtre et les divertissements auxquels il prenait le plus de plaisir, et qui, par la compagnie duSaint-Sacrement, surveillaient la vie privée.
Mais il voyait dans l’unité de foi et de doctrine une garantie d’ordre et de stabilité pour le royaume et, bien qu’attaché au Saint-Siège, il voulait marquer l’indépendance absolue de sa monarchie de droit divin à l’égard de toute puissance spirituelle. De là bien des flottements dans sa politique religieuse. Depuis l’époque de Mazarin, les jansénistes étaient persécutés comme rebelles à la doctrine officielle de la Sorbonne et aux bulles du pape. Louis XIV sévit contre le groupe de Port-Royal, religieuses et solitaires.
L’extension à tous les évêchés de France d’un droit de régale qui réservait au roi des avantages dans certains diocèses suscita un conflit avec le pape Innocent XI et la résistance d’évêques de tendance janséniste. Le roi demanda à l’assemblée du clergé, dont les attributions étaient financières, de rédiger un corps de doctrine des libertés gallicanes et de le faire enseigner dans les séminaires. Ce fut la déclaration de 1682, qu’Innocent XI et ses successeurs condamnèrent. Il semblait que l’on fût à la veille d’un schisme : pure apparence, car les évêques français, bons théologiens et canonistes, cherchaient à préserver l’harmonie des deux pouvoirs. La crise se dénoua après la révolution d’Angleterre, qui consolidait le protestantisme dans l’Europe du Nord.
Les évêques, comme le roi, souhaitaient la conversion des protestants par la persuasion (Fénelon), par la discussion (Bossuet) et par la prédication. Mais ils jugeaient licite, sinon nécessaire, le secours du bras séculier. En 1685, persuadé qu’il ne restait plus que des opiniâtres, Louis XIV révoqua l’édit de Nantes et interdit le culte réformé dans le royaume. Peut-être, par cette mesure retentissante, pensait-il atténuer les mérites qui revenaient à l’empereur d’avoir sauvé la chrétienté à Vienne. Les conséquences furent désastreuses : l’élite sociale des protestants (nobles et bourgeois) s’enfuit de France et porta dans les pays de refuge (Brandebourg et Hollande) ses capitaux et ses procédés de fabrication.
Des pays protestants, une propagande indignée dénonça la tyrannie de Louis XIV et les Soupirs de la France esclave (Pierre Jurieu).
L’esprit janséniste ou du moins augustinien, le succès d’une morale austère et d’une pratique sérieuse se trouvaient largement diffusés par les ouvrages d’écrivains religieux et combattus par d’autres. Tel le livre de l’oratorien Pasquier Quesnel : Réflexions morales sur l’Ancien et le Nouveau Testament. La querelle engagée autour de lui réveilla le jansénisme. À la fin du règne, le roi sollicita du pape la bulle Unigenitus qui condamnait cent une propositions du P. Quesnel. À l’opposé du jansénisme, une doctrine mystique, le quiétisme, opposa deux des plus grands évêques français : Bossuet et Fénelon. La soumission exemplaire de Fénelon lui prêta plus d’autorité dans la lutte qu’il menait contre le jansénisme. Ainsi les affaires religieuses, sous leur aspect politique comme sous leur aspect spirituel, avaient troublé l’opinion au lieu de l’apaiser.
On établit parfois une opposition entre une période de succès (1661-1684) et un long déclin, de 1685 à la mort du roi, le temps des deux grandes guerres de coalition : celles de la ligue d’Augsbourg (la guerre de Neuf Ans des historiens anglais, 1688-1697) et de la Succession d’Espagne. Deux guerres très longues, en effet, coïncidant avec des pointes de détresse économique (famines de 1693 et 1709) et comportant des revers militaires encore jamais vus. La politique extérieure a suscité des complications immenses et vraiment superflues pour un pays dont la vie générale était difficile, mais les deux guerres ont trop accaparé l’attention et fait oublier qu’on ne peut interpréter par un constant déclin la vie de la nation pendant ces trente ans que divise en parts égales la date charnière de 1700, passage du XVIIe au XVIIIe siècle.
La vie privée de Louis XIV avait été longtemps scandaleuse. S’il n’accordait à ses maîtresses aucun rôle politique, il les laissait paraître à la cour plus reines que la reine, surtout Mme de Montespan, et, après avoir dissimulé quelques années ses bâtards, il les fit légitimer par le parlement de Paris, dota les fils de titres princiers et maria les filles avec des princes de sang. À la mort de la reine (1683), il contracta un mariage secret avec la marquise de Maintenon, qu’il laissa prendre sur les affaires générales une influence discrète, mais efficace, de conseillère. La cour parut plus grave, malgré les contradictions entre la dévotion et le dérèglement des mœurs. Contemporains et historiens on fait porter à Mme de Maintenon la responsabilité de toutes les mesures fâcheuses : c’est exagérer de beaucoup son rôle. Si les plaisirs de Versailles ne furent plus ceux du début du règne, on ne peut parler d’un déclin de la civilisation française. Le roi continue à embellir et transformer Versailles, Trianon, Marly ; on joue les opéras de Lulli, les œuvres de musique religieuse et profane se multiplient. L’art décoratif évolue avec Bérain, la sculpture se renouvelle avec Coysevox , la peinture avec Largillière et les débats de l’Académie sur le coloris et le dessin ; l’urbanisme accomplit des réussites à Paris et en province ; on ne saurait oublier l’essor des arts provinciaux et populaires, le grand nombre de retables qui ornent les églises, mêmes les paroissiales de campagne, l’imagerie et la faïencerie. La littérature produit des chefs-d’œuvre, des Caractères de La Bruyère à l’Athalie de Racine. Mais un nouvel esprit, plus critique, apparaît. Un plus grand nombre de gens savent lire et écrire, prennent goût aux ouvrages de religion, de jurisprudence et d’histoire. C’est le temps du Dictionnaire de Bayle, du Détail de la France de Boisguillebert, du Projet d’une dîme royale de Vauban. L’intérêt augmente pour les sciences, les voyages, les peuples étrangers. À un rythme lent, mais soutenu, les promotions sociales s’accomplissent dans les familles du peuple et de bourgeoisie. L’élite s’est élargie et nuancée. Enfin, les signes ne manquent pas, à Paris et dans plusieurs provinces, d’un progrès économique, mais fragile et qui retombe, très vite, sous l’influence des guerres et des charges fiscales.
Louis XIV n’est pas vraiment populaire, à la manière des enthousiasmes modernes, mais il demeure le roi et, en dehors des polémistes, l’opinion l’identifie toujours à la France.
La guerre de la ligue d’Augsbourg est sortie de l’impatience de Louis XIV à transformer en paix définitive les trèves de Ratisbonne et de sa crainte de voir l’empereur et l’Empire se retourner contre la France dès que serait terminée la guerre contre les Turcs (reprise de Bude en 1686, de Belgrade en 1688). Crainte justifiée ou non ? Le problème n’est pas éclairci. Mais Louis XIV, en même temps, semblait saisir toutes les occasions de se montrer insatiable (exigences pour l’élection de l’archevêque de Cologne et réclamations pour l’héritage de Madame, fille de l’Électeur Palatin). Or, il était de plus en plus détesté et critiqué en Allemagne, tandis que ses rapports avec l’Angleterre se détérioraient. Parce qu’il y avait implantation des Français au Canada, progrès de la colonisation en Amérique, du commerce des Îles, établissement des comptoirs dans l’Inde, les milieux d’affaires et le Parlement anglais prenaient conscience de la rivalité économique avec la France et surveillaient le roi Jacques II, catholique et client de Louis XIV. Le 25 septembre 1688, Louis XIV lança un manifeste exigeant dans un délai de deux mois la transformation des trèves en traité définitif et il prit des gages en ordonnant l’entrée de ses troupes au Palatinat et la dévastation du pays. Cette mesure horrible, conseillée par Louvois et Chamlay, eut pour résultat le rassemblement de l’Europe contre la France. L’âme en fut le stathouder de Hollande, Guillaume d’Orange, qui suscita contre son beau-père, Jacques II, la révolution anglaise de 1688, se fit reconnaître pour roi, associé à sa femme Marie II. Une coalition à la fois formidable et hétéroclite réunit contre la France l’Angleterre, les Provinces-Unies, l’empereur, l’Empire, l’Espagne et la Savoie. Louis XIV crut qu’il la dissocierait par des victoires sur l’Angleterre. Mais sa flotte de guerre, victorieuse d’abord (Tourville au cap Beveziers, 1690) fut dispersée au désastre de la Hougue. Il y eut alternances d’avantages et de revers dans la guerre de course, les luttes au Canada et autour de Pondichéry.
Les opérations de terre se déroulèrent en Flandre (victoires de Fleurus, Steinkerque et Namur) et en Savoie (Staffarde et La Marsaille). Mais, dès 1693, la disette et le coût de la guerre inclinaient à faire la paix. Rallié à l’opinion de son ancien secrétaire aux Affaires étrangères, le marquis de Pomponne, Louis XIV comprit qu’il fallait sacrifier une partie des réunions pour garder l’essentiel. Au Congrès de Ryswick (1697) les délégués français firent preuve de sagesse. Le roi rendit les réunions, mais conserva Strasbourg et obtint la vallée de la Sarre. Il restitua la Lorraine au duc, qui épousa la fille de Monsieur. Il reconnut Guillaume III pour roi d’Angleterre. Des garnisons hollandaises occupèrent des forteresses aux Pays-Bas.
La guerre obligeait le gouvernement à trouver des ressources, alors que, par son seul déroulement, elle pesait sur la vie économique et contribuait à la détérioration de celle-ci. Pendant la guerre de la ligue d’Augsbourg le besoin d’espèces, qui explique le retentissant sacrifice de son mobilier d’argent par le roi et l’appel peu écouté à tous les détenteurs de métal précieux, obligea le deuxième successeur de Colbert, le comte de Pontchartrain, à s’engager dans le jeu compliqué des manipulations monétaires (dévaluation et réévaluation du louis et de l’écu) et à réclamer toujours davantage à la taille, au bail des fermes, à solliciter enfin des contributions plus importantes du clergé et des états provinciaux. Il prit des mesures nouvelles : un impôt par tête, la capitation de 1695, fut institué. La répartition des contribuables en classes se révéla assez arbitraire et décevante ; néanmoins l’impôt rapporta quelque 22 millions par an. Le contrôleur général multiplia les créations d’offices et de rentes, avec un certain succès au début. Les effets de la famine de 1693 paraissent avoir été très importants sur les rentrées de fonds : les arriérés de taille augmentèrent, l’industrie périclita, les rentes et les offices attirèrent moins, faute d’argent disponible. Il fallait donc emprunter à des négociants et à des munitionnaires, et des fortunes de spéculateurs s’édifiaient sur la gêne ou la misère du plus grand nombre.
Cependant, la guerre finie, le relèvement du pays fut rapide. Les enquêtes demandées aux intendants en 1697 pour fournir au duc de Bourgogne, fils aîné du dauphin, une image exacte de son futur royaume et permettre au Conseil du roi de préparer de possibles réformes nous révèlent une extrême diversité dans la condition des provinces. Le poids du passé est lourd : le mode de culture demeure routinier et peu productif. On se plaint de la baisse des biens fonds et du déclin des rentes foncières en nature ou en argent. Mais ailleurs le commerce s’anime, surtout dans les ports atlantiques. Et pour fournir des cargaisons aux vaisseaux à destination de l’Amérique espagnole, sans passer par Cadix, le textile (drap et toile) reprend un bel essor. D’où la fortune et l’autorité des grands marchands : les Legendre, les Mesnager, et des armateurs pour lesquels s’ajoute bientôt le profit de la traite des nègres. Bien que le Trésor soit de plus en plus obéré, un redressement de l’économie se dessine et, lentement, gagne de proche en proche. Les idées de mercantilisme et de colbertisme ne sont plus de saison, on croit que la liberté est nécessaire et les nouvelles compagnies des mers du Sud s’inspirent d’un esprit nouveau. Les hommes d’affaires vont être appelés à siéger au Conseil du commerce.
Tout fut remis en cause en 1700 par la mort du roi d’Espagne. Pour préserver l’intégrité de la monarchie, Charles désigna pour héritier unique le duc d’Anjou, second fils du dauphin, ou, s’il refusait, l’archiduc Charles, second fils de l’empereur. Après Ryswick, par deux traités de partage successifs avec l’Angleterre et la Hollande, Louis XIV avait prévu un partage de la succession d’Espagne, qui attribuait seulement à la France quelques territoires. Mais l’empereur n’avait jamais consenti à reconnaître ces traités.
Louis XIV prit l’avis de son conseil et de Mme de Maintenon avant de décider s’il accepterait ou non le testament. Il sentait le risque d’une guerre avec l’empereur qui venait de conclure une paix avec les Turcs. Il pensait que les puissances maritimes et l’Angleterre apprécieraient qu’il renonçât pour la France à tout bénéfice territorial. Mais il n’appliquait pas des traités qu’il avait signés et, surtout, il était moins question de provinces continentales que de commerce de mer. L’assurance que la France aurait une situation privilégiée dans l’empire espagnol et qu’elle serait capable de devenir le premier État du monde remplaça toutes les autres raisons de revenir sur la reconnaissance résignée que l’Europe (sauf l’empereur) avait paru accorder à Philippe V.
Guillaume III, avant de mourir lui-même, conclut avec Anthonie Heinsius, grand pensionnaire de Hollande, et l’empereur Léopold Ier la grande alliance de La Haye, à laquelle adhérèrent la Savoie et le Portugal. La coalition était dirigée par des chefs de très haute valeur : le prince Eugène de Savoie, prestigieux vainqueur des Turcs et véritable homme d’État, Heinsius et Marlborough, général et diplomate habile. Mais elle avait aussi ses points faibles. La France disposait de l’alliance de l’Espagne, de celle des Électeurs de Cologne et de Bavière, au ban de l’Empire, mais elles devenaient des charges autant que des secours, surtout à cause de l’extraordinaire chaos du gouvernement de l’Espagne. L’armée française (200 000 hommes) possédait encore de bons chefs : Villars, Vendôme, Berwick, à côté de très médiocres, tels Villeroy, La Feuillade, Marcin, mais elle se montra bien inférieure à ce qu’elle avait été, par la moindre qualité de l’état-major et la baisse de combativité de la troupe. On essaya, par l’Italie et la vallée du Danube, d’attaquer Vienne et de mettre mat l’empereur. La liaison ne put se faire, malgré la victoire des Français à Höchstädt (1703), et ce fut, un an après, aux mêmes lieux (Hôchstädt-Blenheim), l’écrasement d’une armée franco-bavaroise par les efforts conjugués de Marlborough et du prince Eugène. Les revers, dès lors, se suivirent d’année en année : Belgique perdue après Ramillies, citadelles du Nord tombant l’une après l’autre (Lille, 1708), le Milanais, Naples au pouvoir de l’archiduc Charles, reconnu pour roi d’Espagne par les alliés et installé lui-même à Barcelone. L’alliance de Charles XII tourna au désastre, après la brillante équipée terminée à Poltawa. Impossible d’assister utilement la révolte hongroise de François Rákóczi. Au printemps de 1709, Louis XIV se résignait à demander la paix : il renonçait à Lille et à Strasbourg. Mais les exigences des alliés, « tellement contraires à la justice et à l’honneur du nom français », le décidèrent à poursuivre la lutte ; la bataille de Malplaquet eut des résultats indécis. Et, après de nouvelles offres de paix en 1710, il fallut lutter encore, pour ne pas consentir à la honte de tourner ses armes contre Philippe V d’Espagne. Bientôt, la fortune changea : en Espagne, Vendôme remporta la victoire de Villaviciosa (1710) ; Villars, par une brillante manœuvre, barra au prince Eugène, qui la croyait ouverte, la route de Paris (Denain, 1712). Sans doute la guerre continentale avait-elle mis le royaume en danger, mais ce danger avait été écarté, grâce à la volonté du vieux roi et du ministre Torcy et, à travers des misères atroces, à la résistance morale obstinée de la nation.
Toutefois l’enjeu de la lutte, autant que le maintien des Bourbons à Madrid, était la puissance sur mer. En Amérique, les terres de colonisation française, Canada et Louisiane, enveloppaient le domaine des colonies anglaises. Dans les Antilles, les îles françaises produisaient des denrées de plus en plus recherchées par la clientèle européenne. Les Français possédaient des territoires dans l’Inde et, même pendant la guerre, les vaisseaux de commerce français avaient apporté des mers du Sud des piastres, à temps pour renflouer le Trésor. L’alliance de la France et de l’Espagne coloniales était une idée inacceptable pour les milieux d’affaires anglais.
Mais, en 1711, la mort de Joseph Ier et l’élection de l’archiduc à l’Empire firent craindre aux Anglais une trop grande puissance des Habsbourg. La paix leur parut préférable, avec des traités de commerce. À Utrecht, en 1713, la monarchie espagnole fut partagée : Philippe V, gardant l’Espagne et les colonies, accordait aux Anglais les privilèges concédés à la France et le droit d’occuper Gibraltar. Louis XIV renonçait à Terre-Neuve et à l’Acadie et aux fortifications de Dunkerque. Un beau duel de guerre se déroula en Souabe entre Villars et le prince Eugène, à l’avantage du premier. À la fin de 1713, les adversaires se retrouvèrent en négociateurs à Rastatt, où ils conclurent la paix en 1714. La France gardait Strasbourg et obtenait Landau. En faisant l’une à l’autre le sacrifice peu honorable de leurs alliés respectifs (les Catalans pour l’empereur, Rákóczi pour Louis XIV), les deux puissances se promirent amitié et alliance. La fin de leur irréductible inimitié pouvait garantir une paix durable en Europe, où la Russie avait peu d’influence encore, et neutraliser les deux régions où elles s’étaient fait si longtemps la guerre : l’Allemagne et l’Italie.
Les finances du roi s’étaient épuisées à soutenir cette lutte de dix années, malgré une nouvelle capitation (1701) et quelques innovations ingénieuses, comme les billets de monnaie. Néanmoins, très vite, dès 1714 et 1715, reparurent les signes d’une nouvelle prospérité : les ateliers se ranimèrent, on reparla de liberté pour les affaires. Mais l’un des résultats les plus concrets du règne avait été l’insensible développement d’un absolutisme administratif. L’État avait capté un pouvoir d’intervention, de décision et d’initiative qui soumettait de plus en plus tous les régnicoles à une autorité exercée au nom du roi, mais qui partait en réalité du Conseil et des bureaux et que les intendants appliquaient dans les provinces. Les institutions provinciales et municipales étaient désormais tenues en bride. Pourtant, dans la pratique, et surtout à la campagne, les anciens usages persistaient et maintenaient la diversité.
Le vieux roi conservait sa lucide attention aux affaires, plus préoccupé sans doute de prestige au-dehors que de changements à l’intérieur. Ayant livré les fortifications de Dunkerque, il pensait à en reconstruire à Mardyck. La mort du dauphin en 1711, celle du duc de Bourgogne et du fils de celui-ci en 1712 ne lui laissaient pour héritier direct qu’un arrière-petit-fils, né en 1710. Quand il mourut lui-même, le 1er septembre 1715, il mesurait les difficultés d’une régence qu’il avait cru un temps écartée de l’avenir.

     
 
1715 - 1774
 
     

LOUIS XV Le BIEN AIME

Roi France

Né à Versailles en 1710 - mort à Versailles en 1774

Arrière-petit-fils de Louis XIV

Epouse le 5 septembre 1725 Marie Lezczynska, fille d'un roi de Pologne
(6 filles et 1 fils)

Maîtresses : Mme de Pompadour, Mme du Barry, Pauline de Nesle, Marguerite Hainault, Lucie d'Estaing, Anne de Romans, Jeanne de Colleterie

Celui qui sera plus tard surnommé Louis le Bien-Aimé par ses sujets apparaît un peu, à la mort de Louis XIV, son arrière-grand-père, comme l’enfant miraculeux qui va sauver la dynastie. Le Grand Dauphin, fils du Roi-Soleil, est mort en 1711 ; en 1712, c’est le tour de son petit-fils, le duc de Bourgogne, de la femme de celui-ci, Marie-Adélaïde, et de leur fils aîné, le duc de Bretagne, âgé de cinq ans, tous trois enlevés par la rougeole pourprée et par les pratiques des médecins de la cour : la purge et la saignée. Le jeune Louis est sauvé de leurs mains par son rang infime dans la succession ; sa gouvernante, Mme de Ventadour, se borna à le tenir au chaud jusqu’à sa guérison. Héritier du trône à cinq ans, le jeune Louis commence dès lors à subir les contraintes de la vie publique et d’une étiquette minutieuse voulues par son aïeul ; mais ce qui convenait à un homme fait pétri d’orgueil et de volonté ne réussit pas à l’enfant émotif et secret. Dans une lettre destinée à Mme de Maintenon, sa gouvernante raconte que Louis aime jouer « à ne plus faire le roi ». À sept ans, il est séparé de sa gouvernante et confié à son gouverneur, le maréchal de Villeroi, un vieux courtisan vaniteux qui adore faire admirer la grâce et les talents de son élève. Celui-ci, au cours d’interminables cérémonies publiques, doit apprendre à dissimuler ses besoins comme ses sentiments, à cacher sa timidité naturelle. Il acquiert alors cet air de froideur et de majesté qu’il montrera toute sa vie en public et le goût des petits appartements, des cercles intimes, d’une vie presque bourgeoise. De Fleury, son précepteur, il reçoit une excellente instruction, un penchant pour les sciences et les techniques (fortement encouragées sous son règne), et il concevra pour cet homme ambitieux, secret lui aussi mais d’abord aimable, une admiration qui va marquer fortement sa vie. À onze ans, Louis voit arriver sa fiancée, une infante de trois ans qui ne lui inspire que de l’ennui. Déjà des pamphlets circulent contre le roi ; en 1722, l’avocat Barbier note dans son journal : « Il a un bon et beau visage, bon air, et n’a point la physionomie de ce qu’on dit de lui, morne, indifférente et bête. » L’année suivante voit la proclamation de la majorité royale (et, quelques mois après, la mort du régent Philippe d’Orléans). Louis-Henri de Bourbon-Condé, dit Monsieur le Duc, prend la tête du gouvernement et, très vite, s’inquiète de la santé du roi ; non par attachement à la dynastie, mais pour empêcher l’accession au pouvoir des Orléans qu’il considère comme ses ennemis. Or le roi est de constitution fragile, et manifeste des troubles qui font craindre pour sa vie. Monsieur le Duc décide de marier le roi au plus vite, renvoie la trop jeune infante en Espagne et, entre tous les partis d’Europe, choisit une princesse pauvre et vertueuse, mais non sans charme, qui a vingt et un ans, l’âge de procréer. Le 5 septembre 1725 fut célébrée l’union de Louis XV et de Marie Leszczynska, fille du roi détrôné de Pologne.
En 1726, le roi, qui vient d’atteindre seize ans et à qui le mariage a donné une autorité que chacun remarque à la cour, disgrâcie Monsieur le Duc devenu très impopulaire et appelle à la direction du ministère son cher Fleury, qui demeurera à ce poste jusqu’à sa mort en 1743. Ce sera la période la plus calme et la plus prospère du règne, en dépit de l’agitation parlementaire et janséniste. Il est difficile de déterminer quelle part Louis XV prend aux décisions, mais on sait qu’il soutient constamment son ministre contre les cabales de cour et les intrigues ministérielles. Malheureusement, lorsque la querelle européenne autour de la succession d’Autriche éclate, le vieux Fleury n’a plus assez d’énergie pour s’opposer à la guerre et le roi cède aux pressions du parti anti-autrichien. À la mort de son ancien précepteur, Louis a trente-trois ans ; il a connu quelques années de bonheur auprès d’une épouse qui lui voue presque autant de dévotion qu’à Dieu. Presque chaque année un enfant est né, des filles surtout, mais aussi un dauphin qui donnera le jour à Louis XVI. Mais Marie s’est lassée d’éternelles grossesses, et son époux d’une adoration sans conditions. Pour la première fois en 1734, Marie se plaint à son père des infidélités de Louis. Le roi a découvert l’amour avec Mme de Mailly, puis avec Mme de Châteauroux, la sœur de cette dernière, tandis que la reine se réfugiait dans la religion et les œuvres charitables. Ces amours n’ont pas fait oublier au souverain les devoirs de sa charge qu’il remplit scrupuleusement, mais il manque du feu sacré de son aïeul et il a pris l’habitude de se reposer sur Fleury des tâches d’exécution, de s’appuyer sur ses conseils pour les décisions. Pendant les dix-sept ans de ce long ministère, il a formé son jugement mais n’a pu forger sa volonté. C’est un an après la mort du ministre que se déroule le drame de Metz (1744) qui va laisser des cicatrices profondes dans l’âme du roi et dans la vie politique de la France. Parti aux armées, Louis XV tombe gravement malade à Metz. On le croit alors perdu. Mme de Châteauroux qui avait suivi le roi doit partir sous les huées tandis que Marie est accourue de Paris. Poussé par le parti dévôt, Mgr de Fitz-James, premier aumônier du roi, exige pour lui donner l’absolution une confession publique de ses fautes dans laquelle il déclare être indigne du nom de Roi Très Chrétien ; répandue à travers le royaume par les soins du clergé, cette confession stupéfie le peuple ; le scandale éclabousse la monarchie ; réchappé de la mort, le monarque est rejeté vers ses penchants les plus détestables. Rencontrée en 1746, Mme de Pompadour est une maîtresse plus qu’honorable ; belle, cultivée, intelligente et sincèrement attachée au roi, elle a pourtant un défaut qui la rend impopulaire aux yeux de la cour et du peuple : celui d’être une bourgeoise qui, de plus, se mêle de politique. Mais peu sensuelle et de santé fragile, la maîtresse n’est plus qu’une amie dès 1750 et Louis s’enlise dans les amours éphémères et peu reluisantes qu’il cache dans sa petite maison du Parc-aux-Cerfs, amours que la légende a démesurément grossies et dont l’objet le plus célèbre fut Louise O’Murphy.
Depuis 1743, le roi n’a plus de Premier ministre ; il a lu et relu les instructions de son aïeul : « Écoutez, consultez votre Conseil, mais décidez. » Mais, sans doute plus intelligent et plus cultivé que lui, Louis XV manque de confiance en soi ; sa correspondance politique montre sa connaissance des affaires, la justesse de ses vues ; mais il hésite à trancher, pensant que son interlocuteur peut avoir raison contre lui, et ce n’est que poussé à bout, souvent lorsqu’il est trop tard, qu’il se décide à l’action avec une brutalité qui étonne. Sa disgrâce tombe comme la foudre sur le ministre estimé coupable ; ainsi en est-il pour Maurepas, pour d’Argenson, pour Choiseul. Seul Machault qui conserve toute son estime sera remercié avec les honneurs. Cet homme si sensible à l’opinion n’ose entreprendre les réformes indispensables par crainte de perdre sa popularité ; en décembre 1756, le roi a obligé le parlement à enregistrer des édits le privant de ses moyens d’action, il est décidé à mettre fin à la rébellion des magistrats. Le coup de couteau de Damiens, le 5 janvier suivant, le persuade qu’il fait fausse route puisque son peuple le désavoue. La réforme de Machault ne sera réalisée qu’avec Maupeou en 1771.
De ses déboires politiques, Louis ne se console pas seulement avec ses maîtresses ; il aime tendrement ses enfants qui le lui rendent bien ; l’une de ses filles, Louise, prendra le voile en expiation des péchés de son père. La mort du Dauphin, en 1765, le plonge dans une douleur d’autant plus grande qu’il ne reste pour lui succéder qu’un enfant de onze ans. Peu auparavant, il écrivait à Choiseul : « Au moins avec mon fils, je suis sûr d’un successeur fait et ferme. Et c’est tout vis-à-vis de la multitude républicaine. » Louis XV était lucide sur l’état dans lequel il laisserait la France ; de ses mots : « tout cela durera bien autant que moi », les manuels d’histoire ont fait le célèbre : « Après moi le déluge ». Sa « révolution royale », il ne la réalise que trois ans avant sa mort. Depuis 1768, il a auprès de lui une nouvelle favorite, Jeanne du Barry née Bécu, encore plus détestée que la Pompadour. Il sait qu’il n’est plus le Bien-Aimé. La petite vérole l’emporte à l’âge de soixante-quatre ans au milieu de l’indifférence générale. Louis XV demeure l’une des figures les plus attachantes de sa lignée : fin, généreux, sensible, il partagera largement les goûts de son temps, ; il lui manqua sans doute l’essentiel pour un souverain : l’esprit de décision, une volonté ferme et constante. Pendant les cinquante-quatre ans que dura son règne, Louis XIV avait habitué la France à obéir, et incarné l’État. Sa grande ombre devait éclipser son successeur en proie à trop de faiblesses humaines.

     
 
1774 - 1791
 
     

LOUIS XVI

Roi France
1774 - 1791

Roi des Français
1791 - 1792

Né à versailles 1754 - mort à Paris en 1793

Petit-fils de Louis XV

En 1770, épouse Marie-Antoinette d'Autriche, fille de l'Empereur François Ier (4 enfants dont seule l'aîné, Marie-Thérèse, parvint à l'âge adulte

Petit-fils de Louis XV, devenu dauphin dès 1765, à la suite des décès successifs de son père et d’un frère aîné, il grandit dans une atmosphère familiale difficile, jalonnée de jalousies, qui renforcent les inhibitions dont il souffre. Il a du goût pour l’étude, mais peu pour les représentations sociales inhérentes au « métier de roi » auquel il est mal préparé.Son mariage en 1770 avec l’archiduchesse autrichienne, Marie-Antoinette, alors qu’il a seize ans et elle quinze, met en lumière ses incapacités. Il est aussi gauche et timide qu’elle est pétulante et charmeuse. Louis XV mourant isolé et détesté de tous, leur accession au trône, en 1774, suscite la liesse populaire mais les espoirs qui se portent sur eux sont sans réels fondements et retombent vite. La vie privée de Louis XVI est à l’image de ce revirement. Souffrant d’une légère malformation, il ne consomme son mariage qu’en 1777, délai qui en fait la risée des cours d’Europe d’abord, de ses sujets ensuite, car l’embarras du roi devient vite l’objet de multiples écrits graveleux, voire carrément pornographiques. Louis n’aura été « le Désiré » que peu de temps, en 1774.
Père d’une fille en 1778, d’un garçon en 1781, qui meurt en juin 1789 – ce qui ne sera pas sans incidences sur la politique royale au moment des États généraux –, d’un second en 1785 – le futur Louis XVII – et d’une fille en 1786 qui meurt peu après, il vit dans une cour traversée de conflits personnels et politiques, marquée par la mort, affaiblie enfin par le jeu des coteries. Louis, présenté comme cocu impuissant, est en butte aux attaques venant de tous côtés, de ses frères d’abord, le comte de Provence et le comte d’Artois, jaloux de sa situation, des partisans d’un retour aux traditions aristocratiques tuées par ses prédécesseurs, des réformateurs qui n’obtiennent du roi que des soutiens épisodiques. Ces accusations sont aggravées par la conduite de la reine, qui vit de son côté dans le palais du Trianon, au milieu d’une cour choisie ; elle acquiert une telle réputation de frivolité, que des escrocs pourront faire croire à un prince crédule, abbé de surcroît – le cardinal de Rohan –, qu’elle se livre pour un collier (1785). Cette affaire serait ridicule si elle n’attestait du profond discrédit dans lequel le couple royal est tombé à partir de 1785. La ligne de conduite politique du roi n’est guère mieux comprise.
Il commence par faire confiance au comte de Maurepas,qui rétablit les Parlements dans les pouvoirs que Louis XV avait limités, ce qui revient à mettre à mal la poursuite de la centralisation absolutiste.Parallèlement, il suit les recommandations du ministre Turgot, qui veut entreprendre une réforme radicale de l’économie et de la société françaises, en pratiquant des réductions d’impôts, une saine gestion des finances royales et en laissant la liberté de circulation aux produits de l’industrie et de l’agriculture. L’édit qu’il prend en ce sens, en 1774, provoque des troubles, appelés « guerre des farines » ; mais ils ne sont rien à côté de l’opposition qui naît des édits suivants, supprimant la corvée et les corporations. Les parlementaires y voient l’annonce de la fin de la société d’ordres, si bien que, devant leur résistance, Turgot est sacrifié par Louis XVI, en 1776, celui-ci montrant les limites de son soutien aux réformes et sa dépendance envers les tenants de la France traditionnelle. La démission concomitante de Malesherbes atteste de l’échec de cette tentative de révolution par en haut.
Alors que Beaumarchais triomphe à la cour comme à la ville, avec Le Barbier de Séville, en 1775, Louis XVI, qui redoute la liberté d’expression de Figaro, entame une politique incertaine.Il appelle Necker aux Finances pour trouver des solutions miraculeuses aux difficultés du royaume. Le financier genevois développe le système de régie pour la perception des impôts, propose la création d’assemblées provinciales. Il se heurte à la résistance des parlementaires à nouveau mobilisés contre cette atteinte à leurs pouvoirs, et démissionne en 1781, non sans en avoir appelé à la nation en divulguant les comptes du royaume, qui soulignent de façon exagérée les dépenses de la cour.
Ces tensions entre novations et permanences, pour répondre aux défis de l’époque,se retrouvent de façon exemplaire dans la participation à la guerre d’indépendance des colonies d’Amérique, dans laquelle la France s’engage à partir de 1778. La volonté de contrer l’Angleterre et de faire oublier le traité de Paris de 1763 se combine avec le courant favorable aux Insurgents. Celui-ci se répand parmi nombre de jeunes nobles partisans de libertés ; les uns sont en faveur d’une évolution parlementariste, les autres d’une évolution aristocratique qui supprimerait l’absolutisme royal. Tous cependant s’engagent dans une opération idéologique d’une dimension nouvelle, puisqu’il ne s’agit rien de moins que de délier des sujets de leur obéissance envers un souverain européen au nom de principes universels. En outre, la France participe à la guerre en subventionnant les Américains, ce qui obère lourdement son budget. Lorsque la paix est signée à Versailles en 1783, Louis XVI peut apparaître comme l’un des vainqueurs de ce conflit qu’il a arbitré, mais les gains territoriaux sont faibles, en comparaison des coûts financiers et des mutations intervenues dans les esprits. L’introduction dans le vocabulaire de mots comme « patriote » ou « convention » témoigne assez des changements qui affectent l’opinion publique, dont la puissance est en train de grandir considérablement.
Devant la persistance des difficultés financières, Louis XVI appelle Calonne qui, après avoir dénoncé son prédécesseur Maurepas et relancé une politique libérale, élabore un plan « d’amélioration des finances », dont l’essentiel est l’introduction d’impôts sur les biens fonciers, « la subvention territoriale », fixée selon une répartition effectuée par des propriétaires, élus au sein d’assemblées consultatives sans distinction d’ordres. La protestation des élites traditionnelles contre ce qui apparaît une nouvelle fois comme une contestation de l’ordre établi fait chuter Calonne en 1787, qui n’est pas non plus soutenu par les vrais réformistes, déçus de la volonté de contrôle par l’exécutif.Louis XVI fait alors appel à Loménie de Brienne, mais ce dernier échoue à son tour en convoquant une Assemblée des notables qui se déclare incompétente.Les États généraux s’imposent ainsi dans une succession de tergiversations et d’absence de culture politique.
Cette situation se révèle particulièrement criante en 1788, lorsque le roi et son entourage (Necker a été rappelé en août 1788) sont incapables de fixer les règles de fonctionnement de l’Assemblée, qui ne s’est pas réunie depuis 1614, et qu’ils laissent s’instaurer une totale liberté de parole, en même temps qu’ils manœuvrent pour ne pas dépendre des « privilégiés ». Le résultat est catastrophique. Le doublement du Tiers imposé par le roi contre la prééminence des nobles et des grands clercs n’est pas accompagné de mesures réglementaires, si bien que Louis XVI, qui n’a pas tenu compte des demandes exprimées dans les cahiers de doléances remplis dans tout le pays, déconcerte les députés dès la première séance des États généraux (5 mai 1789), ne paraissant faire aucun droit aux revendications réformatrices. Privé du soutien des « privilégiés », déconsidéré aux yeux des « patriotes » (les éléments les plus réformateurs du Tiers), le roi perd rapidement toute autorité, d’autant que la mort de son fils aîné le distrait des préoccupations politiques. Il ne sait pas faire face aux demandes du Tiers en mai-juin 1789, sauf à agiter la menace de la répression. Dans cet esprit, il renvoie à nouveau Necker le 11 juillet et accepte la concentration de troupes autour de Paris.
La prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, ruine tous ses efforts, et il se rallie à un compromis que son frère cadet, le comte d’Artois, rejette violemment en quittant le pays. Par la suite, son désir de réformer le royaume sans perdre son pouvoir, ni au profit des révolutionnaires, ni à celui des aristocrates – et encore moins des émigrés – fait qu’il est confronté à la force en octobre 1789, lorsque la foule parisienne l’oblige à accepter les décrets d’août 1789 et à s’installer à Paris avec sa famille. En 1790, il ratifie la Constitution civile du clergé, tout en marquant ses réticences ; il soudoye des agents, comme Mirabeau, pour mener une politique secrète, à l’intérieur comme à l’extérieur, en demeurant en contact direct avec les souverains étrangers.Cette duplicité, aggravée par la politique de la reine, éclate au grand jour lorsque, le 21 juin 1791, toute la famille royale quitte Paris dans l’espoir de passer sous la protection de l’empereur d’Autriche. Reconnu à Varennes, ramené à Paris, où l’Assemblée obtient que la version officielle insiste sur l’enlèvement du roi, celui-ci est véritablement en liberté surveillée.
Il n’a pas perdu toute initiative cependant. Correspondant avec les autres souverains européens, menant une politique étrangère secrète, manipulant les factions révolutionnaires opposées les unes aux autres,il peut, en avril 1792, engager la France dans la guerre contre l’Autriche et la Prusse espérant que la défaite, prévisible, des armées françaises lui permettra de reprendre le pouvoir. Le calcul est déjoué par la force du nationalisme populaire qui défend la Révolution et par la maladresse et la division de ses partisans. La journée d’émeute du 20 juin 1792 montre l’opposition radicale du roi et de son entourage à la Révolution, le roi refusant tout compromis, notamment sur le plan religieux. Le 10 août est l’occasion d’un affrontement armé entre l’aile radicale de la Révolution et les défenseurs du roi, regroupés aux Tuileries, qui préparent un coup de force. Leur défaite, donc celle du roi, marque la fin de la monarchie.Incarcéré au Temple avec sa famille dans un premier temps, le roi est traduit devant la Convention, transformée en tribunal, en décembre 1792. Accusé de trahison, le roi refuse de reconnaître la légitimité de ses juges, dont la partie la plus extrémiste réclame la mort, pour empêcher tout retour en arrière de la Révolution.
La condamnation du roi est acquise à une faible majorité ; il est exécuté le 21 janvier 1793. Sa mort courageuse fait oublier ses faiblesses passées en même temps qu’elle frappe de stupeur les élites européennes, nombreuses à se détourner de la Révolution, dont la violence dérange. Elle sert aussi les émigrés, jusque-là tenus en lisière par les souverains étrangers, et qui doivent reconnaître le comte de Provence comme régent, puis comme roi en exil. Elle ne permet pas à la Révolution de se stabiliser, car les luttes internes demeurent considérables. Aucun chef politique ne réussit à imposer une légitimité durable, si bien que l’idéal de la monarchie, aussi mis à mal qu’il ait été, ne disparaît pas avec la mort de Louis XVI.

     
     
Ière REPUBLIQUE
     
PAS DE PRESIDENT
     
     
 
1792 - 1795
 
     

CONVENTION NATIONALE

Assemblée représentative nationale formée le 20 septembre 1792, à la suite de l’Assemblée législative, et dissoute le 26 octobre 1795 pour laisser place au Directoire.

L’histoire de la Convention nationale, ainsi nommée à l’exemple des États-Unis d’Amérique, peut être divisée en trois périodes distinctes, séparées entre elles par des coups de force : d’abord une Convention girondine (jusqu’au 31 mai 1793, date de la proscription des Girondins), puis une Convention montagnarde (jusqu’au 27 juillet 1794, date de la chute de Maximilien de Robespierre) et enfin une Convention thermidorienne. Durant toute la période, la France — pourtant républicaine pour la première fois — a vécu une sorte de dictature de l’Assemblée dominée par ses membres successivement les plus forts.
Le 10 août 1792, les députés de la Législative, confrontés à la prise des Tuileries par le peuple parisien insurgé, recueillent le roi Louis XVI réfugié à l’Assemblée, entérinent sa déchéance et promettent la réunion d’une Convention nationale destinée à donner à la France une nouvelle constitution. Le principe fondamental du suffrage universel masculin est immédiatement adopté.
Les élections ont lieu les 26 août et 2 septembre 1792, dans le contexte infiniment troublé des « massacres » dans les prisons (à Paris, 1 100 à 1 400 détenus sont exécutés après un jugement sommaire). La participation électorale est extrêmement faible, à peu près 10 p. 100 du corps électoral, soit 700 000 votants. Le scrutin a lieu à deux degrés : les assemblées électorales issues du suffrage des assemblées primaires choisissent à haute voix les députés, les uns après les autres, sur la liste des candidats du département à la majorité relative.
La Convention comprend 749 députés, pour la plupart issus des élites cultivées de la nation : gens de justice (Maximilien de Robespierre, Pierre Vergniaud), gens de lettres (Camille Desmoulins, Jean-Louis Carra), gens de la finance ou du négoce (Joseph Cambon), savants ou médecins (Jean-Paul Marat), quelques nobles (Philippe d’Orléans, dit Philippe Égalité) et une cinquantaine d’ecclésiastiques (dont l’abbé Grégoire). Les députés, qui se répartissent dans l’Assemblée par affinité politique, se relaient successivement le pouvoir : quelque 250 Girondins, libéraux modérés se rassemblant derrière Brissot de Warville, s’imposent dès l’ouverture des débats ; une minorité de Montagnards, patriotes radicaux qui assujettissent progressivement les membres de l’hémicycle et détrônent les Girondins en mai-juin 1793 (Georges Danton, Maximilien de Robespierre et Jean-Paul Marat en sont les têtes de file) ; enfin, environ 400 modérés constituant la Plaine (ou Marais), faction d’indécis oscillant entre Gironde et Montagne, s’imposent à leur tour avec la réaction thermidorienne.
Au cours de la première période de la Convention nationale, dite Convention girondine, l’Assemblée est sous l’influence des « brissotins » ou Girondins, révolutionnaires modérés opposés à la centralisation parisienne du pouvoir. Dès sa première réunion, le 21 septembre 1792, la Convention abolit la monarchie et décide le lendemain de dater ses décrets de l’an I de la République ; ainsi est créée la Ire République française. En décembre s’ouvre le procès du roi Louis XVI qui est condamné à mort pour trahison le 20 janvier 1793 et exécuté le lendemain. Sous l’influence des Montagnards de Robespierre, la Convention institue le Tribunal révolutionnaire (10 mars) et le Comité de salut public (6 avril) bientôt revêtu de pouvoirs dictatoriaux. Confrontée aux difficultés économiques et financières, elle instaure le cours forcé de l’assignat (11 avril) et vote la loi du maximum sur le prix du grain (4 mai).
Cette activité intense est menée dans un contexte politique et militaire extrêmement troublé. Sur le plan militaire, après les victoires de Valmy (20 septembre 1792) et de Jemmapes (6 novembre), les armées françaises peuvent durant l’hiver desserrer l’étau des armées coalisées et le général Dumouriez porte la contre-offensive jusqu’aux Pays-Bas autrichiens. La Savoie accueille le général Montesquiou en libérateur. Mais le printemps 1793 est catastrophique : vaincue à Neerwinden (18 mars), l’armée française doit se replier et, en Vendée, une insurrection éclate en mars 1793 contre le gouvernement révolutionnaire (voir guerre de Vendée).
Sur le plan politique, la Gironde est très rapidement confrontée à l’hostilité non seulement des révolutionnaires jacobins, très présents sur les bancs de la Montagne, mais également à celle des sections parisiennes de la Commune et à celle d’une partie croissante de la Plaine — Lazare Carnot se rapproche ainsi des Montagnards dans l’hiver 1792. À plusieurs reprises, les Girondins sont mis en cause soit pour leur excessif modérantisme — ils auraient souhaité ne pas exécuter le roi — soit pour trahison avérée — le général Dumouriez passe à l’ennemi en avril 1793. Fédéralistes, ils ont affirmé dès septembre 1792 vouloir « réduire Paris à 1/83 d’influence » : l’hostilité des Parisiens, entretenue par une presse jacobine déchaînée, leur est fatale. Les 31 mai-2 juin 1793, la Garde nationale parisienne fait pression sur la Convention qu’elle encercle de canons, et obtient la proscription de la plupart des dirigeants girondins (voir journées des 12 et 14 prairial an I).
En réponse à la menace extérieure ainsi qu’aux mouvements contre-révolutionnaires et à ceux des fédéralistes girondins, la Convention passée sous l’influence des Montagnards — d’où son nom de Convention montagnarde — adopte le 24 juin 1793 une nouvelle Constitution faisant une large place à la démocratie directe, ainsi qu’une deuxième Déclaration des droits de l’homme. Provisoirement reportée jusqu’à la paix, elle n’a jamais été appliquée. Parallèlement, sous l’influence des plus radicaux, elle institue le régime de la Terreur (5 septembre 1793) et vote la loi des suspects (17 septembre), sous l’autorité du Comité de salut public dominé par Maximilien de Robespierre depuis le mois de juillet. Immédiatement, la Terreur s’abat sur des personnages de premières importances : la reine Marie-Antoinette, les Girondins proscrits et le prince de sang Philippe Égalité. En octobre 1793 est adopté le calendrier républicain.
Pendant l’année où ils sont au pouvoir, les Montagnards doivent mener de constants combats à la fois sur les fronts de la guerre à l’extérieur et à l’intérieur et sur le front des luttes sociales et politiques.
Sur le plan militaire, le Comité de salut public — dont les membres sont chaque mois renouvelés par la Convention — confie pour l’essentiel les choix stratégiques à Lazare Carnot, qui devient pour la postérité l’« organisateur de la victoire ». En effet, des victoires comme celle de Fleurus (26 juin 1794) permettent aux soldats de l’an II de vaincre les puissances coalisées de l’Europe et de porter la guerre jusqu’en Allemagne et en Hollande.
Sur le plan politique, la Convention montagnarde, au sein de laquelle une minorité radicale domine l’ensemble des députés de la Plaine, doit combiner les exigences de la défense de la patrie avec la transformation à la fois économique, politique et sociale du pays. Selon les comités dirigeants — Comité de salut public, Comité de sûreté général —, la révolution doit être totale ; la chasse aux suspects, aspect le plus dramatique de la Terreur, associe la peur du complot intérieur et le désir de régénérer la société en l’épurant. Les excès de la Terreur (élimination systématique des adversaires de Robespierre : « dantonistes » ou « indulgents », « hébertistes », « enragés ») ainsi que des mesures économiques très dirigistes (lois sur l’accaparement, sur le maximum général et sur l’emprunt forcé) qui menacent le libéralisme auquel la majeure partie des députés est attachée, et un anticléricalisme exacerbé (institution du culte de la Raison, du culte de l’Être suprême), amènent ces derniers à organiser la mise en accusation de Maximilien de Robespierre et des membres du Comité de salut public devant la Convention : les 9 et 10 thermidor an II (27-28 juillet 1794), plus de cent responsables jacobins sont condamnés à mort et exécutés.
La chute de Robespierre ouvre une période de réactions, menées par les « thermidoriens », contre les sans-culottes et les Jacobins. Tandis que les profiteurs et les agioteurs s’enrichissent, qu’une jeunesse dorée s’affiche dans un luxe éhonté (muscadins, incroyables et merveilleuses), la Convention thermidorienne doit faire face aux insurrections d’un peuple qui a faim (1er avril et 20-22 mai 1795) et à la menace royaliste lors du débarquement d’une armée d’émigrés à Quiberon, le 15 juillet 1795. Dans le midi de la France, une Terreur blanche (réactionnaire) succède à la Grande Terreur « robespierriste ».
Dominée par la bourgeoisie conservatrice, la Convention thermidorienne marque la fin de l’élan révolutionnaire. Son œuvre principale est le retour à la liberté économique (abrogation de la loi sur le maximum, le 24 décembre 1794), la confirmation de la séparation de l’Église et de l’État (21 février 1795) et la rédaction d’une nouvelle Constitution, instaurant un suffrage censitaire.
Sur le plan militaire, la Convention thermidorienne poursuit l’élan de l’an II et révèle la personnalité de généraux brillants, souvent très jeunes et sortis du rang comme Jean-Baptiste Jourdan, Jean Victor Moreau, Lazare Hoche ou Napoléon Bonaparte ; imprégnés des idéaux révolutionnaires de 1789, ils participent à la création, dans les territoires qu’ils conquièrent, du thème de la « Grande Nation » française, qui apporte la lumière et libère les peuples. La Convention est finalement dissoute le 26 octobre 1795, lors de l’instauration du Directoire.
La Convention nationale est ainsi la première assemblée élue au suffrage universel, la première assemblée républicaine en France. Elle exerce un contrôle constant sur le pouvoir exécutif et montre une exceptionnelle capacité d’innovations en matière sociale, politique, économique et militaire ; le travail des députés envoyés en mission dans les départements ou aux armées permet de donner une cohérence à l’action de défense de la France et de la Révolution. Si la Terreur, le procès de Louis XVI ou la guerre de Vendée restent aujourd’hui encore objet de débats politiques et historiques houleux, il n’en demeure pas moins que la Convention a su sauver, avec la Révolution, les acquis de 1789 et exporter dans toute l’Europe ce que Saint-Just définissait comme une « idée neuve » : le bonheur.

     
 
1795 - 1799
 
     

LE DIRECTOIRE

Régime institué par la Constitution de l'an III qui a géré la France du 26 octobre 1795 (4 brumaire an IV) au 10 novembre 1799 (19 brumaire an VIII). Le Directoire désigne également l'organe du pouvoir exécutif durant cette période.

Dernière phase de la Révolution française, le Directoire correspond à ce que l’on peut appeler la République bourgeoise. Tiraillé entre un peuple affamé, muselé et une réaction recrudescente, le régime a dû chercher appui auprès d’une troisième force, celle de l’armée — qui a finalement provoqué sa chute.

Rétablissant le suffrage censitaire, la Constitution promulguée par la Convention thermidorienne le 22 août 1795 institue un Directoire composé de cinq membres, nommés par les assemblées, et renouvelable par cinquième tous les ans. La présidence du Directoire est occupée par roulement de trois mois. Constitué d'anciens Conventionnels, en vertu du « décret des deux tiers » (30 août), il a notamment pour membres Paul Barras, Lazare Carnot, Emmanuel Sieyès et Merlin de Douai. Ses principales fonctions sont la nomination des ministres et des généraux en chef.

Le corps législatif est pour sa part constitué du Conseil des Cinq-Cents (qui a l’initiative des propositions de loi) et du Conseil des Anciens (qui vote les lois). Sa mise en place introduit pour la première fois en France la notion de bicamérisme.

Durant toute la période, le Directoire est confronté à une grave crise financière et doit parallèlement faire face à de constantes menaces, sur sa droite comme sur sa gauche.
La dépréciation de l'assignat et l'échec des mandats territoriaux mettant le régime au bord de la banqueroute, le Directoire se résout au retour de la monnaie métallique, le 17 mars 1797. L’action est tardive et insuffisante ; le 30 septembre 1797, l’État doit annuler purement et simplement 66 p. 100 de sa dette (banqueroute des « deux tiers »), ce qui permet une relative stabilisation financière au détriment des porteurs. La période du Directoire voit cependant le triomphe de la bourgeoisie. Le fossé entre riches et pauvres s'accroît sensiblement, provoquant de nombreuses agitations populaires, notamment celle animée par le révolutionnaire Gracchus Babeuf. Le Directoire réplique en réprimant sévèrement la conjuration des Égaux (mai 1796) et le mouvement jacobin renaissant.
La contre-révolution royaliste profite de la fragilisation du pouvoir pour accroître son influence et remporte les élections de mai 1797 (germinal an V) mais sa poussée est arrêtée par l'annulation du scrutin, qui constitue le coup d'État du 18 fructidor an V (4 septembre 1797). Le Directoire est bientôt confronté à une nouvelle crise politique. Les élections d’avril 1798 (germinal an VI), qui voient la victoire des néo-jacobins, sont cassées le mois suivant (22 floréal). Les jacobins prennent leur revanche lors du coup de force de prairial an VII (18 juin 1799), quand les conseils contraignent à la démission trois des cinq directeurs.

À l'extérieur, le Directoire tente de compenser ses échecs par l'exploitation économique des Républiques sœurs (batave, helvète, etc.) et par de nouvelles conquêtes, comme en Italie et en Égypte, où les campagnes militaires sont confiées à Napoléon Bonaparte, respectivement en 1796-1797 et en 1798-1799. Les puissances européennes répliquent par la création de la deuxième coalition (1798-1802).
En 1799, les revers militaires et les soulèvements contre-révolutionnaires affaiblissent le Directoire. Le 9 novembre, il est renversé par Napoléon Bonaparte (coup d'État du 18 brumaire an VIII), qui institue le Consulat.

     
 
1799 - 1804
 
     

LE CONSULAT

Marqué par la prise du pouvoir du général Napoléon Bonaparte, le Consulat met un terme à la Révolution et conduit, en 1804, à l’élaboration de la monarchie impériale, inaugurée par le sacre de Napoléon Ier.

En 1799, le régime du Directoire est usé. Menacés à droite par l’opposition monarchiste et à gauche par l’opposition jacobine, les directeurs ne se sont maintenus au pouvoir que par une série de coups de force. Au cours de l’été 1799, les directeurs Paul Barras et surtout Emmanuel Joseph Sieyès craignent d’être éliminés par la nouvelle majorité jacobine. Sieyès songe alors à un nouveau coup de force. Il fait appel au général Bonaparte, tout juste débarqué d’Égypte.
Le 18 brumaire (9 octobre 1799), Bonaparte est nommé commandant des troupes à Paris. Les deux assemblées — le Conseil des Cinq-Cents présidé par son propre frère Lucien, et le Conseil des Anciens — sont transférés à Saint-Cloud. Le 19 brumaire, grâce à l’action énergique de Lucien Bonaparte, les députés, sous la menace de l’armée, votent la suppression du Directoire et son remplacement par trois consuls : Sieyès, Roger Ducos et le général Bonaparte, qui est nommé Premier consul — les deux autres sont rapidement remplacés par Jean-Jacques Cambacérès et Charles-François Lebrun. Enfin, le 13 décembre 1799, la Constitution de l’an VIII est soumise pour ratification aux Français, qui approuvent le fait accompli par un plébiscite en faveur du coup d’État.
Dès son arrivée au pouvoir, Bonaparte annonce son intention de mettre un terme aux troubles révolutionnaires : « Je ne serai pas l’homme d’un parti », annonce-t-il au lendemain du coup d’État. Son premier souci est de donner au pays des institutions fortes et stables.
Le pouvoir législatif est partagé entre deux assemblées : un Tribunat de cent membres et un corps législatif de trois cents membres. Mais ces chambres n’ont guère de pouvoir. L’initiative des lois revient au gouvernement et les députés n’ont pas le droit d’amender les projets gouvernementaux. Une troisième assemblée, le Sénat, nomme les membres des deux autres assemblées et joue le rôle de gardien de la Constitution.
Le pouvoir exécutif, apparemment réparti entre les trois consuls nommés pour dix ans, revient en fait au Premier consul, qui décide de la paix et de la guerre, propose et promulgue les lois, nomme les ministres et les fonctionnaires.
L’organisation du gouvernement et de l’administration renforce encore la puissance du Premier consul. Bonaparte crée en effet un Conseil d’État chargé de préparer les lois. À la tête des administrations, les conseillers d’État deviennent les agents directs du Premier consul, qui rétablit par ailleurs la centralisation administrative en créant dans chaque département un délégué du gouvernement, le préfet.
Ainsi, malgré le caractère autoritaire du nouveau régime, la surveillance étroite de l’opposition et la censure, l’efficacité de cette nouvelle administration se traduit surtout par le retour à l’ordre après des années de troubles.
Dès le lendemain du coup d’État, Bonaparte affirme sa volonté d’être au-dessus des partis. Il accueille dans son gouvernement d’anciens terroristes comme Joseph Fouché, aussi bien que d’anciens royalistes. Les proscrits, les prêtres réfractaires et les émigrés sont invités à rentrer en France. Il obtient enfin la fin du soulèvement vendéen et rétablit ainsi la paix civile.
Dans le même temps, il entreprend de restaurer la confiance des milieux d’affaires en assainissant le Trésor et l’administration fiscale. En 1800, il favorise la création de la Banque de France qui obtient, en 1803, le monopole de l’émission des billets de banque. Enfin, le 7 germinal an XI (27 mars 1803), est créé le franc-germinal, une monnaie stable, dont la valeur (5 grammes d’argent pour un franc) ne change plus jusqu’à la Première Guerre mondiale.
Dans le domaine religieux, Bonaparte choisit également le retour à la conciliation : « J’ai été mahométan en Égypte, dit-il, je serai catholique ici pour le bien du peuple. » Le Concordat, signé le 15 juillet 1801 avec le pape, reconnaît la religion catholique comme celle de la majorité des Français. Évêques et curés sont désormais rémunérés par l’État. En revanche, les ventes de biens du clergé pendant la Révolution sont déclarées irrévocables.
Le rétablissement de la paix intérieure s’accompagne enfin d’un retour à la paix avec l’Europe coalisée. Bonaparte poursuit en 1800 ses campagnes en Italie et en Autriche. Après une succession de victoires françaises, les Autrichiens demandent la paix. Le 9 février 1801, le traité de Lunéville confirme les conquêtes révolutionnaires en Belgique, sur le Rhin et en Italie. À la fin de l’année, le tsar de Russie signe la paix avec la France. Le 25 mars 1802, la paix est enfin signée avec l’Angleterre, à Amiens.

Cette politique extérieure assure à Bonaparte une immense popularité, dont il profite pour renforcer son pouvoir. Le 2 août 1802, les Français consultés pour un nouveau plébiscite soulignent cette réussite en approuvant massivement la nomination de Bonaparte comme Premier consul à vie.
Malgré le réveil des oppositions républicaine et royalistes, Bonaparte s’est attiré en effet l’attachement de la majorité de la population. Il n’a pas remis en cause les acquis de la Révolution, il a rassuré les paysans, les catholiques et la bourgeoisie confortée dans son souci d’ordre public par l’établissement du Code civil achevé en 1804. Depuis 1802, il a jeté les bases d’une nouvelle élite attachée au régime, formée dans les lycées, récompensée par la création de l’ordre de la Légion d’honneur. C’est donc sans difficulté qu’il fait adopter par le Sénat, en mai 1804, une nouvelle constitution qui établit l’Empire. Le 6 novembre 1804, les Français consultés par plébiscite approuvent par 3 572 319 voix contre 2 519 la création de l’Empire. Le 2 décembre 1804 enfin, Napoléon est sacré empereur par le pape à Notre-Dame.

     
 
1804 - 1815
 
     

NAPOLEON Ier

Sacré Empereur le 2 décembre 1804

Abdique le 6 avril 1814

20 - 22 juin 1815 : Les Cent-Jours

Né à Ajaccio en 1769 - mort à Saint-Hélène en 1821

Deuxième fils de Charles-Marie Bonaparte et de Letizia Ramolino

Marié deux fois : en 1796, épouse Joséphine de Beauharnais dont il fera dissoudre le mariage car pas d'enfant ; épouse en secondes noces, Marie-Louise de Hasbourg, fille de l'empereur d'Autriche (1 fils)

Premier consul (1800-1804), puis empereur des Français, général et génie militaire, figure de proue de l’histoire de France. Despote éclairé, il a institutionnalisé de nombreuses réformes élaborées pendant la Révolution française, conquis pratiquement toute l’Europe et contribué à la modernisation des nations qu’il a dominées. Mythe vivant, ce personnage au destin exceptionnel se confond avec l’histoire de l’Europe qu’il a façonnée en un Empire (voir Empire, premier).
Né le 15 août 1769 à Ajaccio, un an après l’achat de la Corse par Louis XV à la république de Gênes, Louis Napoléon Bonaparte est le deuxième fils de Carlo Maria Buonaparte et de Maria Letizia Ramonilo. Issu d’une famille de treize enfants (huit atteignent l’âge adulte), il appartient à la petite noblesse corse d’origine génoise : son père, avocat, a lutté pour l’indépendance de la Corse contre les troupes royales au côté de Pasquale Paoli. Enfant turbulent, querelleur et orgueilleux, « corse de caractère et de nation », il est élevé dans le ressentiment vis-à-vis de la France.
Afin de récompenser la noblesse corse ralliée à la France, le roi accorde des bourses d’études aux enfants des anciens paolistes. Napoléon et son frère Joseph partent alors étudier au collège d’Autun (1778). L’année suivante, Napoléon est admis à l’école militaire de Brienne (1779-1784), puis à l’école royale militaire de Paris. En 1785, à l’âge de seize ans, il est reçu en qualité de lieutenant en second dans l’artillerie et affecté en garnison à Valence. La même année, la mort de son père le contraint à prendre la défense des intérêts familiaux et à sacrifier sa solde pour l’entretien de ses frères et sœurs. Doué pour les mathématiques, il n’en dévore pas moins des traités d’art militaire, lit les philosophes (particulièrement Montesquieu, Rousseau et Voltaire) et les grands penseurs politiques (dont Mirabeau et Necker). Son caractère farouche d’insulaire le rend insociable, frondeur, sauvage et silencieux avec ses condisciples, dans une métropole où il se sent longtemps étranger.
Bonaparte s’enthousiasme pour la Révolution, d’autant que le mouvement révolutionnaire peut servir ses ambitions : l’abolition des privilèges, la nuit du 4 août 1789, annule le décret cantonnant les petits nobles au rang de cadre inférieur de l’armée, lui ouvrant ainsi toutes grandes les portes de la carrière militaire. Mais dans un premier temps, ses ambitions se concentrent seulement sur son île natale. Pour échapper à l’ennui des nominations de garnison en garnison (Lyon 1786, Douai 1787, Auxonne 1788, Valence 1791), il séjourne souvent en Corse et s’engage dans les luttes politiques de l’île. Il commande d’abord un bataillon de volontaires et se bat contre les troupes du roi.
Réintégré néanmoins dans l’armée royale et nommé capitaine, il reprend bientôt la lutte en tant que lieutenant-colonel de la Garde nationale d’Ajaccio et s’oppose alors aux paolistes qui cherchent à établir l’indépendance de l’île avec l’appui des Anglais. En juin 1793, lors de la déclaration de l’indépendance de la Corse, le « traître », en déroute, se réfugie avec sa famille à Marseille et se rallie définitivement à la France et à la république.
Durant l’été 1793, la France est menacée par l’Europe des rois coalisés. Bonaparte, en publiant le Souper de Beaucaire, prend cause pour les Jacobins, se défiant des masses populaires qu’il a vues à l’œuvre à Paris en 1792. Il est nommé chef d’artillerie et affecté au siège de la ville de Toulon qui s’est livrée aux Anglais ; par sa science, sa bravoure et son sens stratégique, il fait judicieusement tonner ses canons, contribuant à la prise de Toulon le 17 décembre 1793. En récompense, à l’âge de vingt-quatre ans, il est nommé général de brigade par le Comité de salut public, puis commandant d’artillerie de l’armée d’Italie en mars 1794 et devient le protégé de Robespierre. Après la chute de ce dernier, le 9 Thermidor, il est mis en état d’arrestation avant d’être rapidement innocenté et libéré. Le 13 vendémiaire an IV (5 octobre 1795), il est chargé par Barras de réprimer l’insurrection royaliste de Paris dirigée contre le Directoire. En récompense, il est nommé général de division et commandant de l’armée de l’Intérieur. À cette même époque, il rencontre Joséphine de Beauharnais, une créole veuve d’un général guillotiné et mère de deux enfants, qu’il épouse le 8 mars 1796.

Promu le 2 mars 1796 commandant en chef de l’armée d’Italie, il est chargé de mener une guerre de diversion et de pillage dans le Piémont et en Lombardie, alors que l’offensive principale doit passer par l’Allemagne pour menacer Vienne. Il mène une campagne foudroyante contre les troupes austro-piémontaises. Grâce à son génie militaire, il remporte victoire sur victoire entre 1796 et 1797 (Millesimo, Mondovi, Arcole et Rivoli). En prenant Venise, il s’ouvre les portes de Vienne et contraint l’Autriche et ses alliés à conclure la paix (traité de Campoformio, 17 octobre 1797), par laquelle il fonde les républiques sœurs dans le Nord de l’Italie. Avec son butin de guerre, il renforce son aura auprès du gouvernement français et sert sa propre propagande en publiant bulletins et journaux glorifiant ses exploits.

Les membres du Directoire, inquiets de la renommée croissante du jeune général et des menées anglaises, cherchent à éloigner Bonaparte de Paris tout en utilisant ses talents militaires pour couper la route des Indes britanniques. Ils le nomment alors à la tête de l’expédition d’Égypte (mai 1798). Sur les traces de son rêve oriental, bercé par le souvenir d’Alexandre le Grand, Bonaparte s’assure le contrôle du pays à la bataille des Pyramides (21 juillet 1798). Libérateur du joug mamelouk, il s’applique à apparaître comme un administrateur consciencieux, s’associant aux notables locaux, désireux de redonner à l’Égypte l’image de son histoire, celle que redécouvre l’expédition scientifique qu’il entraîne avec lui. Mais le général anglais Nelson, en détruisant la flotte française à la bataille d’Aboukir (août 1798), contraint Bonaparte à faire route vers la Syrie. Une épidémie de peste l’arrête devant Saint-Jean d’Acre et, apprenant les revers du Directoire en Italie et la confusion qui règne en France, Bonaparte débarque à Fréjus le 8 octobre 1799 et regagne Paris.
Dans la capitale, les Jacobins (Sieyès, Talleyrand, Fouché, Murat et Lucien Bonaparte, son frère) cherchent à sauvegarder les principes de la Révolution de 1789. Pour cela, ces conjurés s’apprêtent à commettre un coup d’État : il ne leur manque qu’un sabre pour assurer avec autorité le retour au calme.
Le 9 novembre 1799 (18 brumaire an VIII), dans la confusion, Bonaparte pénètre avec ses troupes au Conseil des Cinq-Cents. Voyant son frère menacé d’être mis hors-la-loi, Lucien retourne la situation et accuse les députés d’être soumis à l’Angleterre. Les conjurés profitent alors de la confusion pour désigner un Consulat provisoire à la tête duquel ils nomment le général Bonaparte assisté de Ducos et Sieyès, qu’ils pensent pouvoir tous trois manipuler. Mais Bonaparte montre vite sa personnalité : en dictant la Constitution autoritaire de l’an VIII, il renforce à son profit le pouvoir exécutif, se réservant l’initiative des lois et la possibilité d’avoir recours au plébiscite. Sous ce nouveau régime inaugurant une forme de gouvernement direct, il devient Premier consul (assisté de Cambacérès et Lebrun, dont le rôle n’est que consultatif) et émiette le pouvoir législatif en assemblées dénuées de prérogatives. Déjà assuré de tous les pouvoirs, le plébiscite de 1802 confirme sa popularité et la Constitution de l’an X le désigne consul à vie.
Face à la désorganisation générale à laquelle il est confronté, Napoléon exige union, discipline et obéissance. En France, il contraint les chouans à déposer les armes (janvier et février 1800). Pour ôter aux royalistes leur soutien religieux, il conclut avec le pape Pie VII le Concordat de 1801, s’arrogeant un droit de veto sur les nominations ecclésiastiques. Au rétablissement de l’Église et du culte catholique succède l’amnistie des émigrés, le 26 avril 1802. Ces événements favorisent le retour des émigrés et imposent la politique de réconciliation nationale.
À l’extérieur, Bonaparte décide de nouvelles campagnes, pour contrer la deuxième coalition. Il triomphe à Marengo en Italie (14 juin 1800), de même que Moreau à Hohenlinden en Allemagne (3 décembre 1800), ce qui contraint l’Autriche à confirmer la paix de Campoformio par celle signée à Lunéville le 9 février 1801 et garantit le Rhin comme frontière orientale de la France. Avec l’Angleterre, Bonaparte signe la courte paix d’Amiens, le 25 mars 1802. Après dix ans de guerre en Europe, le Premier consul parvient à établir une paix fragile mais essentielle, puisque, déjà, elle est la reconnaissance de sa puissance. Parallèlement, il donne une constitution à la Hollande, devient médiateur de la Confédération des cantons suisses (19 février 1803), président de la République italienne après avoir annexé Parme et le Piémont, et, s’il développe des projets d’expansion coloniale vers Saint-Domingue, la Louisiane et l’Inde, c’est que sa puissance tend encore à s’étendre.
Afin d’organiser la paix napoléonienne, Bonaparte met en place de nombreuses réformes. Il rassure la bourgeoisie en réaffirmant la liberté d’entreprise et en renonçant au concept aristocratique de la propriété. En créant la Banque de France, en assurant une monnaie stable (le franc germinal) et grâce aux butins de ses conquêtes, il réorganise les finances de l’État. Au niveau économique, pour redonner confiance aux entrepreneurs, il interdit les grèves et, pour l’ouvrier, réintroduit l’obligation du livret de travail, le soumettant à la surveillance. En créant l’ordre de la Légion d’honneur (18 mai 1802), il cherche à fonder une nouvelle élite fondée non plus sur les privilèges, mais sur le mérite civil et militaire. De même, en 1802, il développe l’enseignement public avec la création des lycées, dispensant une instruction à la fois scientifique et classique ; ainsi favorise-t-il cette bourgeoisie dont il cherche à obtenir le soutien. Cependant, il prolonge la confiscation des libertés politiques, rétablit la censure à l’encontre de la presse et réduit l’opposition en développant une surveillance policière efficace et continue. Il réorganise la sécurité intérieure du pays, en confiant la Sûreté à Fouché.
En échange des libertés confisquées, il entreprend une réorganisation de l’ensemble de l’appareil administratif et juridique. En créant, dans le cadre du département, la fonction de préfet, relais direct de son autorité chapeautant les collectivités locales existantes, il contribue à perpétuer la centralisation administrative commencée sous l’Ancien Régime et prolongée par la Révolution. Dans le domaine administratif, il promulgue le Code civil (appelé également Code Napoléon) le 21 mars 1804. Cette unification de la législation lui permet d’assurer la libre entreprise, de garantir l’inviolabilité de la propriété privée et de réaliser, une fois encore, un audacieux compromis qu’il n’a de cesse de prolonger (par le Code des procédures civiles en 1806, du commerce en 1807, d’instruction criminelle en 1808 et le Code pénal en 1810), modifiant durablement et profondément les structures juridiques de la France.
Face aux complots qui se multiplient à l’égard de Bonaparte (il échappe à une machine infernale rue Saint-Nicaise le 24 décembre 1800, puis à une tentative d’enlèvement fomentée par le même chouan, Cadoudal, soutenu par les Anglais et certainement le duc d’Enghien, l’un des chefs de l’armée des émigrés) et afin de rallier les hésitants et de gagner les opposants, Fouché pousse le Sénat à inviter le Premier consul à « achever son ouvrage en le rendant immortel comme la gloire ». Le 18 mai 1804, le Sénat vote à l’unanimité l’instauration du gouvernement impérial, proclamant Napoléon empereur héréditaire des Français. Le 2 décembre 1804, après avoir épousé religieusement Joséphine, celui qui s’appelle désormais Napoléon Ier est sacré empereur par le pape Pie VII à Notre-Dame de Paris.
Même s’il est proclamé empereur (représentant ultime du peuple) et non roi, Bonaparte laisse planer un doute que l’historiographie n’a encore pu lever : en se faisant sacrer, Napoléon clôt-il ou trahit-il la Révolution ? En fait, l’aspect provisoire du Consulat a jusqu’alors laissé supposer un semblant de continuité avec la Révolution. Mais avec l’instauration de l’Empire est consacré un nouveau type de régime qui est sans doute en rupture avec les principes de la Révolution.
D’ailleurs, Bonaparte lui-même insiste sur ce point lorsqu’il déclare à la fin des travaux du Consulat provisoire : « Citoyens, la Révolution est fixée aux principes qui l’ont commencée ; elle est finie. »
En avril 1803, l’Angleterre rompt la fragile paix d’Amiens. Deux ans plus tard, l’Autriche, la Russie, la Suède et Naples la rejoignent dans la troisième coalition. Napoléon arme alors une flotte à Boulogne, avec l’idée d’envahir l’Angleterre. Mais la cinglante défaite navale que lui inflige Nelson à Trafalgar, le 21 octobre 1805, le conduit à oublier l’épine anglaise et à retourner ses troupes contre les Autrichiens et les forces austro-russes. Les premiers sont défaits à Ulm le 20 octobre 1805, les secondes mises en déroute lors de la bataille d’Austerlitz le 2 décembre. Le traité de Presbourg, signé le 26 décembre 1805, clôt la coalition. L’Autriche cède la Vénétie, le Tyrol, le Trentin, l’Istrie et la Dalmatie. Napoléon offre le royaume de Hollande à son frère Louis, regroupe seize états allemands dans la Confédération du Rhin (12 juillet 1806), enlève le royaume de Naples aux Bourbons et y couronne son frère Joseph.
La Prusse forme alors une nouvelle coalition avec l’Angleterre et la Russie. Elle est battue à Iéna et à Auerstedt (14 octobre 1806). En Pologne, Napoléon affronte l’armée russe et la vainc à Friedland (14 juin 1807). En juillet, il signe avec le tsar Alexandre Ier le traité de Tilsit, lequel ébauche une alliance salvatrice avec la Russie, émiette la Prusse et donne à Jérôme Bonaparte le royaume de Westphalie et le grand-duché de Varsovie.
En novembre 1806, il instaure le blocus continental dans l’espoir de conduire l’Angleterre à la faillite commerciale. Pour s’assurer l’étanchéité du blocus, il s’empare du Portugal en novembre 1807, annexe l’Étrurie en 1807, occupe les États du pape et prend Rome en 1808. En Espagne, il fait abdiquer en sa faveur Charles IV et place son frère Joseph sur le trône. C’est compter sans le mécontentement des Espagnols. Madrid se soulève, et malgré quelques victoires, la guérilla espagnole se prolonge, entretenue par les Britanniques. Coûteuse en hommes et en mobilisations, la campagne d’Espagne qui perdure est le premier revers de l’Empire napoléonien.
En 1809, Napoléon bat à nouveau les Autrichiens à Wagram (6 juillet) et occupe Vienne, où il signe une nouvelle paix, le 14 octobre. Il annexe l’Illyrie et les États pontificaux, puis Brême, Lübeck, et plusieurs régions au nord de l’Allemagne ainsi que la totalité du royaume de Hollande, à la suite de l’abdication qu’il impose à son frère, l’indocile Louis Bonaparte qui a refusé l’application du blocus continental dans son royaume.
Cette époque marque l’apogée de l’Empire napoléonien qui s’étend sur 130 départements et 750 000 km², gouvernant 70 millions d’habitants.
Napoléon organise une cour impériale digne des fastes de l’Ancien Régime. Il crée une noblesse d’empire pour récompenser ses plus grands généraux, maillons essentiels et fidèles de ses victoires. Il fonde des royaumes en Europe, États satellites adossés à l’Empire, à la tête desquels il place les membres de sa famille, et particulièrement ses frères et sœurs devenus princes et altesses : Joseph, roi de Naples puis d’Espagne ; Maria-Anna, grande-duchesse de Toscane ; Louis, roi de Hollande ; Marie-Paulette, duchesse de Guastalla ; Marie-Annonciade, reine de Naples ; Jérôme, roi de Westphalie. En 1805, il désigne son beau-fils, Eugène de Beauharnais, comme son héritier en le nommant vice-roi de la défunte République italienne, dont il se proclame lui-même roi. En avril 1810, après avoir divorcé de l’impératrice Joséphine qui ne lui a pas donné d’enfant, il épouse la fille de l’empereur d’Autriche, Marie-Louise. En s’alliant ainsi aux Habsbourg, il espère légitimer sa dynastie et particulièrement son fils, François Charles Joseph, le jeune roi de Rome qui naît en 1811 (voir Napoléon II). Malgré les dérives de grandeur imitées de l’Empire romain, Napoléon Ier réussit, par cette habile politique, à faire disparaître toute opposition intérieure.
Le prolongement de l’œuvre réformatrice commencée sous le Consulat contribue, par sa diffusion dans toute l’Europe, à abolir la féodalité de l’Ancien Régime et à dessiner les prémices d’une unité européenne. Chaque État dépendant de l’Empire reçoit une constitution établissant le suffrage universel, créant un Parlement et intégrant une déclaration des droits sur le modèle révolutionnaire. Le Code Napoléon est introduit partout, et la justice est réformée sur le modèle français. Napoléon propage le système administratif centralisateur et l’enseignement public, ouvrant à tous l’enseignement supérieur. La liberté religieuse est partout instaurée (sauf en Espagne). Dans chaque État sont créés un conservatoire et des académies consacrées à la promotion des arts et des lettres. Pourtant, la présence française, et les bouleversements qu’elle apporte, contribuent à faire éclore les nationalismes et est à l’origine de profonds déchirements.
Durant cette période de « croissance dans la guerre », comme l’a défini l’historien Ernest Labrousse, Napoléon initie bien d’autres réformes, comme l’établissement de cadastres au niveau communal. Il apporte son soutien aux innovations techniques, développe une politique de grands travaux et favorise le développement du monde des affaires, grâce à la stabilité du franc germinal et à la confiance que sa gloire inspire. Néanmoins, le besoin de fonds, nécessaires pour asseoir sans cesse la stabilité de son Empire, le pousse à continuer la guerre.
De 1811 à 1812, Napoléon réunit à nouveau la Grande Armée et, en mai, en représailles envers le tsar qui s’apprête à s’unir aux aristocraties coalisées, Napoléon prend le commandement de la campagne de Russie. Le 14 septembre, il pénètre à Moscou, mais l’incendie qui ravage la ville détruit le ravitaillement de ses troupes. Avec l’hiver qui commence, il lui est impossible de poursuivre l’armée du tsar. La retraite de Russie est une longue marche de retour, désastreuse, où une grande partie des troupes se perd dans les eaux glacées de la Berezina.
Malgré la montée du mécontentement intérieur, la défection de certains de ses proches (comme Bernadotte et Murat, qui rejoignent la coalition), la saignée démographique masculine due à la multiplication des conscriptions et la conspiration du général Malet à Paris, Napoléon réunit une armée de jeunes conscrits, les « Marie-Louise ». Alors que la Russie prend la tête de l’opposition — réaction antinapoléonienne contre-révolutionnaire, liguant la Prusse, l’Allemagne, l’Autriche et l’Angleterre contre lui —, Napoléon parvient à remporter de nouvelles victoires à Lützen et à Bautzen en mai 1813. L’armistice conclu par le chancelier autrichien Metternich est de courte durée ; Napoléon est battu à Leipzig en octobre et se replie en France. L’Allemagne est abandonnée, la Hollande s’insurge, et Joseph, défait à Vitoria en juin, quitte la péninsule Ibérique. La France est envahie. Malgré les désertions, Napoléon parvient à lever encore 60 000 hommes. Mais la campagne de France se solde par la chute de Paris le 31 mars 1814. Les maréchaux d’empire refusent alors de continuer le combat ; Napoléon est déchu par le Sénat le 3 avril. Le traité de Fontainebleau, signé le 11, confirme son abdication sans conditions.
Les Alliés lui concèdent alors, comme seul royaume, l’île d’Elbe en Méditerranée, où il s’exile avec quelques fidèles. Marie-Louise et son fils, l’Aiglon, sont confiés à la garde de l’empereur d’Autriche.
Alors qu’en France une opposition bonapartiste s’organise contre le fragile régime du roi Louis XVIII, Napoléon s’échappe de l’île d’Elbe et débarque à Golfe-Juan. Il marche alors sur Paris, remontant d’un vol d’aigle la route qui prend bientôt son nom, gagnant à sa cause les troupes envoyées pour le capturer, soutenu par le peuple fidèle et rejoint par les combattants qui ont servi au cours de ses campagnes. Quand il arrive aux Tuileries, Louis XVIII a déjà fui. Contenant l’élan révolutionnaire, Napoléon promulgue une nouvelle constitution, proche de la Charte de Louis XVIII. Pour éviter que les armées coalisées ne se rejoignent en Belgique, l’Empereur prend l’initiative de l’attaque et bat les Prussiens à Ligny le 16 juin. Mais à Waterloo, le 18 juin 1815, il est vaincu par les armées de Wellington, rejointes par celles de Blücher que le marquis de Grouchy n’a pu contenir. Napoléon souhaite continuer la lutte, mais l’hostilité des députés le pousse à abdiquer une nouvelle fois, le 22 juin.
Ayant perdu tout appui politique et n’ayant pas réussi à retrouver l’alliance déterminante des notables, dont il a pourtant assis la situation, Napoléon se réfugie à Rochefort. Il embarque sur le navire britannique Bellerophon et est exilé à Sainte-Hélène, île rocheuse désolée et battue par les vents au sud de l’océan Atlantique. Il y passe les six dernières années de sa captivité avec quelques fidèles, tel Emmanuel de Las Cases auquel il dicte le Mémorial de Sainte-Hélène. Durant son exil, il construit sa légende, devient le martyr de la Sainte-Alliance des « rois oppresseurs des peuples ». L’Empereur doit subir les brimades du gouverneur de l’île, Hudson Lowe, effrayé à l’idée d’une possible évasion. Le 5 mai 1821, il meurt des suites d’un douloureux cancer de l’estomac — qui le pousse depuis longtemps à porter sa main sur son ventre pour soulager sa douleur.

 
1814
 
     

NAPOLEON II (François Charles Joseph Napoléon Bonaparte)

proclamé Empereur, mais ne règne pas

Né à Paris en 1811 - mort à Schönbrunn en 1832

Fils de Napoléon Ier et Marie-Louise

La vie et la personnalité de Napoléon II, duc de Reichstadt, l’« Aiglon », fils de Napoléon, roi de Rome, prince de Parme, ont été tout à la fois obscurcies et embellies par la légende. Barthélemy et Méry créent en effet, sous la Restauration, un mythe bonapartiste : François Joseph Napoléon est « le fils de l’Homme » (c’est aussi le titre de leur ouvrage paru en 1829), tenu volontairement par son entourage autrichien dans l’ignorance de la gloire passée de son père. Pour Victor Hugo et les romantiques, il devient la victime d’un destin implacable : « Tous deux sont morts. — Seigneur, votre droite est terrible. » Après 1870 et la perte de l’Alsace-Lorraine, alors que s’impose l’idée de la revanche contre l’Allemagne, Edmond Rostand s’empare du personnage. Il en fait un captif de Metternich comme sont captives les provinces perdues. L’Aiglon est avant tout une exaltation des sentiments germanophobes que la tirade de Metternich devant le chapeau du vainqueur d’Iéna et de Wagram vise à exacerber.
Et Napoléon II ? Il a fallu attendre 1957 pour qu’un ensemble exceptionnel de documents concernant Marie-Louise soit retrouvé, dont 119 lettres du duc de Reichstadt à sa mère et 870 missives de son gouverneur, le comte Moritz von Dietrichstein. Alors se précise le vrai visage du fils de Napoléon. Né le 20 mars 1811, au moment où se dessinent les premiers craquements de l’Empire (malaise religieux, crise économique, guerre d’Espagne), le roi de Rome retient si peu l’attention qu’on l’oublie au moment de l’affaire Malet. Napoléon a échoué dans son effort pour créer « la quatrième dynastie ». En 1814, Napoléon abdique une première fois en faveur de son fils, puis sans conditions. Marie-Louise et le roi de Rome, retenus en Autriche depuis la chute de l’Empire, ne le rejoindront pas au retour de l’île d’Elbe. L’abdication de l’Empereur en faveur de Napoléon II, le 22 juin 1815, est sans effet. Dès lors commence le deuxième acte de la vie de l’Aiglon. Éducation à l’autrichienne, mais nullement, comme le montrent les lettres retrouvées, la cage dorée imaginée par certains historiens. À Schönbrunn, il a pour précepteur Dietrichstein. Loin de sa mère, alors à Parme avec Neipperg, il ne peut compter que sur l’affection de son grand-père, le vaincu d’Austerlitz, l’empereur François. Il grandit, découvre l’histoire de son père, mène quelques intrigues amoureuses. Son nom est acclamé dans plusieurs pays, dont la France, lors des révolutions de 1830, mais il ne sera pas même roi des Belges ou de Pologne : Metternich et son conseiller Gentz veillent. Son élévation eût remis en cause les principes de la Sainte-Alliance. Il sera simple lieutenant-colonel d’un régiment d’infanterie à Brünn. Ayant pris froid au cours d’une parade, il meurt quelques mois plus tard, le 22 juillet 1832. Napoléon III demanda vainement le retour de ses cendres en France. C’est Hitler qui devait les restituer en décembre 1940 comme gage de la collaboration franco-allemande. Jusqu’au bout, le destin se sera acharné sur l’infortuné fils de Napoléon Ier.

 
     
     
LES BOURBONS
     
     
 
1815 - 1824
 
     

LOUIS XVIII

Roi des Français

Né à Versailles en 1755 - mort à Paris en 1824

Frère cadet de Louis XVI donc petit-fils de Louis XV

En 1771, épouse Marie-Josèphe de Savoie, fille de Victor-Amédée III, roi de Sardaigne

Né à Versailles, troisième fils du dauphin Louis et de Marie-Josèphe de Saxe, Louis Stanislas Xavier reçut le titre de comte de Provence. Intelligent et ambitieux, il se composa le personnage du prince éclairé et lettré, tout en frondant sournoisement le gouvernement de son frère Louis XVI, notamment à l’Assemblée des notables en 1787. En juin 1791, alors que le roi échouait, à Varennes, dans sa tentative de fuite, il réussissait à passer la frontière belge. Assumant le rôle de régent de la couronne pour son frère captif, il s’efforça de mobiliser contre la France révolutionnaire les monarques européens. La mort de son neveu Louis XVII, en juin 1795, lui permit de se proclamer roi de France sous le titre de Louis XVIII. Il résidait alors à Vérone. L’irruption des Français en Italie l’obligea de se réfugier d’abord en Allemagne puis dans les États du tsar, à Varsovie et à Mittau (Courlande), enfin, en Angleterre, au château de Hartwell (1807). Il se faisait appeler alors le comte de Lille. Après le 18-Brumaire, croyant faire jouer à Bonaparte le rôle de Monk, il lui écrivit, dès le 20 février 1800, pour lui demander de restaurer tout bonnement la monarchie légitime. Bonaparte ne songea à lui répondre que le 7 septembre : « Vous ne devez pas souhaiter votre retour en France ; il vous faudrait marcher sur 100 000 cadavres. » Louis XVIII attendit donc. La chute de Napoléon amena la restauration de la monarchie bourbonienne ; Louis XVIII rentra à Paris le 3 mai 1814, accueilli avec soulagement par une grande part de la nation comme garant d’un retour à la paix avec l’Europe et de la fin de la dictature militaire. Restauré par les victoires des ennemis de la nation, mal vu de tous ceux que leur conviction, leur fidélité ou leur intérêt liaient à la Révolution ou à l’Empire, il avait une partie difficile à jouer et la débuta fort mal. Il consentit à octroyer, en la datant de la dix-neuvième année de son règne, une charte constitutionnelle, puis laissa son gouvernement accumuler les maladresses dans une totale méconnaissance de la France nouvelle qui était née depuis vingt-cinq ans. Que Napoléon ait pu reconquérir la France en vingt jours sans tirer un coup de feu, lors du retour de l’île d’Elbe, fait assez mesurer l’échec de la première Restauration. Louis XVIII dut alors se réfugier à Gand, où il demeura pendant les Cent-Jours, soutenant la fiction d’une alliance avec les autres souverains contre la seule personne de Napoléon et non contre la France ; ce qui devait lui permettre, après son second retour à Paris (8 juill. 1815), d’atténuer quelque peu les conséquences de la défaite de Waterloo. Il sut alors tirer les leçons des sottises et des fautes de son premier rétablissement ; il s’efforça de limiter les représailles que voulaient exercer les royalistes exaspérés contre les partisans de Napoléon et de promouvoir une réconciliation nationale. L’assassinat de son neveu, le duc de Berry, le 13 février 1820, compromit ces efforts, amenant la chute du ministre Decazes, son favori, qui avait incarné cette politique libérale. Affaibli par ses infirmités, adroitement circonvenu par une nouvelle favorite, Mme du Cayla, le roi laissa son frère et héritier, le futur Charles X, prendre une influence croissante sur le gouvernement ; le duc de Richelieu, qui avait été rappelé au pouvoir après la chute de Decazes, fut obligé de se retirer ; le nouveau ministère, investi en décembre 1821, fut composé d’ultraroyalistes décidés à consolider la réaction ; leur chef, le comte de Villèle, devait garder le pouvoir jusqu’à la fin de 1827. Le fait marquant de la fin du règne fut l’intervention de la France en Espagne pour y écraser le régime libéral, issu du pronunciamiento de janvier 1820.

     
 
1824 - 1830
 
     

CHARLES X

Roi des Français

Né à Versailles en 1757 - mort à Goritz, Yougoslavie, en 1836

Frère benjamin de Louis XVI et de Louis XVIII

En 1773, épouse Marie-Thérèse de Savoie, soeur de Marie-Josèphe, mariée à son frère Louis XVIII (2 filles qui mourrurent jeunes et 2 fils : Louis-Antoine et Charles-Ferdinand)

Charles était le quatrième fils du dauphin Louis (fils de Louis XV, mort en 1765 sans avoir régné). À la cour de Versailles, la vie du jeune comte d’Artois (tel était son titre) fut celle d’un écervelé aimable et libertin, fort empressé auprès des dames qui se plaisaient à le surnommer chevaleresquement Galaor. Dans la crise de 1789, Artois soutint le parti de la réaction, ce qui lui attira tant d’impopularité qu’après le 14 juillet son frère Louis XVI lui conseilla de quitter le pays. En émigration, il fut le centre de ralliement des éléments les plus agités et les plus contre-révolutionnaires, gênant parfois l’action plus prudente de son frère, le comte de Provence. Au printemps de 1814, il rentra en France à la suite des armées alliées en Lorraine, cherchant à provoquer, sans grand succès, un mouvement en faveur des Bourbons. Après l’abdication de Napoléon, et sans attendre l’invitation du gouvernement provisoire présidé par Talleyrand, il se présenta à Paris, où il fut reçu par les notables avec grand enthousiasme (12 avr.). Après quelque hésitation, le Sénat se résigna à le reconnaître comme lieutenant général du royaume en attendant l’arrivée de Louis XVIII. Au cours de la première Restauration, son rôle fut négligeable. Mais, après le second retour du roi, Monsieur, frère du roi, étant l’héritier du trône, devint le chef et l’espoir du parti ultraroyaliste qui combattait la politique conciliante et modérée de Louis XVIII. Toutefois, lorsqu’il succéda à son frère le 24 septembre 1824, Charles X connut quelques mois d’une véritable popularité. À soixante-sept ans, il présentait une allure élégante ; ses manières, son langage, toujours pleins de courtoisie et de bienveillance, lui conciliaient les cœurs. Depuis la mort en 1805 de la dernière de ses maîtresses, Louise de Polastron, sa conduite morale était irréprochable ; sa piété donnait à croire qu’il était un instrument du clergé. Mais, bien qu’il eût déclaré accepter la Charte, il ne pouvait se résigner au rôle d’un roi constitutionnel, et sa politique donna l’impression d’un retour à l’Ancien Régime. En politique extérieure, il voulut donner à la France une attitude plus active, d’où l’intervention en faveur de la Grèce et l’expédition d’Alger. En mars 1830, il entra en conflit avec la majorité de la Chambre élue qui refusait de collaborer avec le ministère Polignac investi de sa confiance. Une tentative malencontreuse de coup d’État (25 juill.) provoqua le soulèvement de la population parisienne. Après trois jours de combats, qu’il ne sut pas diriger, Charles X fut contraint d’abdiquer ; il se résigna à quitter une troisième fois la France en montrant une dignité exemplaire. Après un séjour en Angleterre, il trouva un asile à Prague, où il passa le reste de ses jours. Il mourut à Gorizia, le 6 novembre 1836.

     
     
LES ORLEANS
     

La branche des orléans est la dernière de la dynastie des Capétiens.

Elle accède au trône de France en 1830 et son unique représentantest Louis-Philippe Ier.

Elle est issue de Philippe, duc d'Orléans et frère du roi Louis XVI, ascendant en cinquième génération du roi Louis-Philippe Ier.

Le règne de celui-ci dure dix-huit ans, de 1830 à 1848 et est connu sous le nom de la Monarchie de Juillet.

La révolution de 1848 et l'abdication du roi mettent fin à la monarchie et à la dynastie des Capétiens.

le descendant du roi Louis-Philippe Ier, Henri, comte de Paris, né en 1908, était le chef de la maison d'Orléans et le prétendant au trône de France.

     
 
1830 -1848
 
     

LOUIS-PHILIPPE Ier

Roi des Français

Né à Paris en 1773 - mort à Claremont, Grande-Bretagne, en 1850

Fils de Philippe d'Orléans

En 1809, épouse Marie-Amélie de Bourbon-Sicile, fille de Ferdinand Ier, roi des Deux-Sicile (10 enfants)

Installé au pouvoir à la faveur de la Révolution de juillet 1830, Louis-Philippe Ier a instauré un régime constitutionnel, monarchique et censitaire favorable aux intérêts de la grande bourgeoisie d’affaires. Si le règne de Louis-Philippe a incontestablement été profitable sur le plan de la modernisation économique de la France, en revanche, le roi et ses ministères n’ont pas su — puis voulu — satisfaire les attentes de la majorité d’une population aspirant principalement à obtenir une réelle représentation politique. Parce que le règne de Louis-Philippe a correspondu à celui des notables, le pouvoir et la popularité du roi ont été immolés sur l’autel d’une vague de mécontentement populaire qui a entraîné son abdication en 1848.
À l’origine pourtant, le futur Louis-Philippe est loin d’être un conservateur. Né à Paris le 6 octobre 1773, il est le fils aîné de Louis Philippe Joseph, duc et chef de la maison d’Orléans (descendant direct du Régent) et de sa cousine, Adélaïde de Bourbon-Penthièvre, elle-même descendante du comte de Toulouse (fils légitimé de Louis XIV). Le jeune prince, qui porte d’abord le titre de duc de Valois puis celui de duc de Chartres (1785), est élevé au sein de la société cosmopolite, brillante et irreligieuse qui entoure son père. Sa préceptrice, la comtesse de Genlis (dame d’honneur de sa mère), lui donne une éducation libérale, imprégnée d’encyclopédisme et de principes rousseauistes.
Comme son père — seigneur libéral et anglophile, dignitaire de la franc-maçonnerie, spéculateur audacieux (depuis longtemps brouillé avec la cour et, pour cette raison, très populaire à Paris) —, le duc de Chartres se lance dans l’aventure révolutionnaire en s’inscrivant au club des Jacobins (1790). Tandis que son père renonce à son titre et prend le nom de Philippe-Égalité, il choisit pour sa part de rejoindre la Garde nationale et de s’engager ainsi dans l’armée révolutionnaire.
Titulaire d’un commandement dans l’armée du Nord et promu lieutenant général, le duc de Chartres participe aux batailles de Valmy et de Jemmapes. Mais, lassé des excès de la Terreur et à l’issue de la défaite de Neerwinden (mars 1793), il déserte et passe à l’ennemi avec le général Dumouriez — dont il est l’aide de camp. Cette traîtrise rejaillit sur sa famille et Philippe-Égalité est aussitôt mis en accusation et guillotiné, en novembre 1793.
Renié par les légitimistes, celui qui porte désormais le titre de duc d’Orléans commence alors une errance de plusieurs années. Elle le mène d’abord en Suisse — où il professe quelques temps sous le nom de Chabeau-Latour —, puis à Hambourg (1795) et aux États-Unis (1796). En 1800, il s’installe en Angleterre et tente de se réconcilier avec le légitimiste détrôné Louis XVIII, en dépit de son passé révolutionnaire. Puis en 1809, il épouse en Sicile la princesse Marie-Amélie de Bourbon, fille du très conservateur Ferdinand Ier, roi de Naples. De ce mariage naissent huit enfants : les ducs d’Orléans, de Nemours, de Montpensier et d’Aumale, le prince de Joinville, Louise-Marie (future épouse de Léopold Ier, roi des Belges), Marie (future reine de Wurtemberg) et Clémentine (future duchesse de Saxe-Cobourg-Gotha).
La deuxième tentative de réconciliation avec Louis XVIII s’avère plus fructueuse. En 1814, au lendemain de la première Restauration, le souverain nouvellement installé sur le trône l’autorise à quitter Palerme pour la France et lui rend les biens de son père. Néanmoins tenu à l’écart de la cour, le duc d’Orléans ne suit pas son illustre cousin dans son exil à Gand lors du dernier épisode napoléonien, les Cent-Jours (1815) ; il préfère gagner l’Angleterre, qu’il quitte en 1817 après que Louis XVIII a mis un terme à ce second exil. Fort de la possession de la considérable fortune des Orléans, encore accrue des 17 millions obtenus après le vote sur le « milliard des émigrés » (1825), le duc d’Orléans prend de nouveau le contre-pied du roi. Sa résidence parisienne, le Palais-Royal, devient un des centres de l’opposition libérale sous la Restauration. On y croise des hommes tels Adolphe Thiers ou le banquier Jacques Laffitte, porte-parole des milieux d’affaires. Jouissant à la fois d’une ascendance prestigieuse et d’un passé révolutionnaire qui l’éloigne des représentations absolutistes, le duc d’Orléans mène une vie simple et familiale qui se déroule entre Paris et ses châteaux d’Eu et de Neuilly. Ses relations étroites avec la bourgeoisie parisienne — il envoie ses fils au collège royal plutôt que de leur offrir une éducation privée —, finissent de favoriser sa popularité.
Lorsqu’éclate la Révolution de juillet 1830, la bourgeoisie d’affaires qui a souhaité le renversement des Bourbons nourrit la plus grande méfiance à l’égard d’une solution républicaine. Aussi s’emploie-t-elle habilement à prendre de vitesse les insurgés parisiens et cherche-t-elle une option pour le futur. L’homme de la situation leur apparaît être le duc d’Orléans. Celui-ci semble susceptible de garantir au mieux un compromis écartant tant le spectre de la monarchie absolue d’Ancien Régime que l’ombre sanglante des excès révolutionnaires. Dès le départ précipité du roi Charles X, les républicains proposent au duc d’Orléans la lieutenance générale du royaume le 30 juillet 1830. Louis-Philippe l’accepte et, le 31, est solennellement présenté au peuple de Paris depuis le balcon de l’Hôtel de Ville, en une sorte de « couronnement populaire ». Le 7 août enfin, après un vote favorable des Chambres, le duc d’Orléans devient Louis-Philippe Ier.
Fidèle à son image justifiée de roi-citoyen et afin de marquer la rupture avec le droit dynastique, il refuse le titre de roi de France (qui en aurait fait Philippe VII) et prête serment à la Charte constitutionnelle de 1814, révisée pour consacrer symboles (drapeau tricolore) et décisions politiques (abaissement du cens, abolition de la censure, liberté de la presse).
Dans un premier temps, soucieux de ne pas décevoir les espoirs des républicains, des bonapartistes et de la majorité de la classe politique, Louis-Philippe opte pour une direction libérale du régime. Il nomme donc Laffitte, l’homme du parti du Mouvement, au poste de président du Conseil. Mais dès 1830-1831, l’agitation républicaine se fait menaçante. Aussi Louis-Philippe se tourne-t-il vers les conservateurs et appelle-t-il Casimir Perier à la tête du gouvernement (mars 1831). Ainsi porté aux affaires, le parti de la Résistance fait insensiblement basculer le régime dans l’ère des persécutions politiques contre les bonapartistes, les républicains, les légitimistes et les émeutiers, tels les Canuts de Lyon, sévèrement réprimés en novembre 1831.
La mort de Casimir Perier en 1832 ne modifie pas l’orientation politique de la monarchie de Juillet désormais garantie par Soult, étroitement surveillé par le roi (1832-1834). Entouré d’hommes comme le comte de Molé, le duc de Broglie, Guizot ou Thiers, Louis-Philippe s’implique de plus en plus dans la gestion des affaires. Tandis que la monarchie s’engage dans les voies d’un conservatisme toujours plus prononcé, les oppositionnels s’affichent et manifestent : les légitimistes, regroupés derrière la duchesse de Berry et son fils, le comte de Chambord, contestent à Louis-Philippe son titre royal ; de leur côté, les républicains déclenchent des insurrections à partir de 1832 dont les plus violentes, en avril 1834 à Lyon et Paris, débouchent sur la sanglante répression de la rue Transnonain (15 avril). La popularité de Louis-Philippe est alors laminée. Plusieurs attentats menacent alors la vie du souverain dont les plus importants restent ceux de Fieschi le 28 juillet 1835, puis de Meunier et d’Alibaud en 1846. Après deux brefs passages de Thiers à la présidence du Conseil (1836 et 1840) et deux intermèdes dirigés par Molé et Soult — auxquels succèdent plusieurs crises ministérielles —, Guizot accède au pouvoir. Huit années durant, il se fait le fidèle porte-parole du roi, en imprimant la marque grandissante d’un ultra-conservatisme. Il fait fi des aspirations des classes défavorisées, en particulier les ouvriers qui manifestent sporadiquement, mais également de la petite bourgeoisie trop peu fortunée pour accéder au droit de vote.
En dépit de la fermeté de Louis-Philippe, certains événements fissurent progressivement la stabilité de la monarchie de Juillet. En 1842, la mort de l’héritier de la couronne, le duc d’Orléans, très populaire en raison de ses opinions libérales, porte un premier coup au régime. De surcroît, le vieillissement du monarque accentue la critique des oppositionnels contre l’État et les journaux, régulièrement saisis, le croquent en retour sous les traits fameux d’une poire. La crise économique qui frappe le pays à partir du milieu des années 1840 finit de déstabiliser l’autorité d’un Louis-Philippe apparemment inconscient de la ruine qui menace son trône.
Lancée le 9 juillet 1847, la « campagne des Banquets » rassemble bientôt l’ensemble de l’opposition. L’interdiction et la répression d’un banquet radical le 21 février 1848 déclenche l’agonie du régime. Malgré la démission de Guizot le 23, la fusillade du boulevard des Capucines, le jour même, lance dans la capitale un vaste mouvement révolutionnaire. Pour ne pas faire tirer sur le peuple, Louis-Philippe choisit vainement d’abdiquer en faveur de son petit-fils, le comte de Paris (24 février). Il quitte aussitôt le territoire, s’exilant en Grande-Bretagne. La reine Victoria met à sa disposition le château de Claremont (dans le Surrey) où il meurt deux ans plus tard, le 26 août 1850. Avec l’abdication de Louis-Philippe, le régime monarchique s’éteint au profit des aspirations républicaines.

     
     
IIème REPUBLIQUE
     

Proclamée suite à l'abdication de Louis Philippe le 24 février 1848.

La Constitution sera promulguée le 4 novembre 1848.

Elle sera modifiée après le coup d'état du 2 décembre 1851, qui donne les pouvoirs constituants à Louis Napoléon Bonaparte.

La Constitution du 14 janvier 1848 proclame que le chef de l'Etat (le prince-président) est élu pour 10 ans.

Elle sera largement modifiée sous le Second Empire.

     
 
1848 - 1870
 
     

LOUIS NAPOLEON BONAPARTE

Né à Paris le 24 avril 1808 - mort à Chislehurt, Kent, Angleterre, le 9 janvier 1873

Né à Paris, Charles Louis Napoléon Bonaparte est le neveu de Napoléon Ier et le troisième fils de Louis Bonaparte et d’Hortense de Beauharnais (née du premier mariage de l’impératrice Joséphine). Son père, un personnage assez inconsistant, a occupé quatre années durant le trône de Hollande grâce à la faveur de Napoléon Ier, mais a été déchu du fait de sa médiocre gestion. Enfant d’un couple désuni — son père doute de sa paternité —, Louis Napoléon est élevé par sa mère, devenue duchesse de Saint-Leu après la chute du premier Empire, et passe sa jeunesse en Suisse, au château d’Arenenberg. Son principal précepteur, fils du conventionnel montagnard Philippe Lebas, est un futur disciple d’Auguste Comte. Quant à sa mère, elle développe chez lui le culte de la légende napoléonienne en le préparant à l’idée d’en assumer un jour l’héritage. Élève au collège militaire d’Augsbourg puis à l’École militaire de Thoune — d’où il sort officier d’artillerie de l’armée helvétique —, Louis Napoléon possède déjà à vingt ans certaines des convictions qui sont propres à sa future politique : Napoléon Ier est le continuateur de la Révolution française dont il a contribué à asseoir les principes, tandis que le congrès de Vienne, œuvre des vieilles puissances réactionnaires et absolutistes, n’a fait que consacrer des idées héritées du passé.
Sur la base de ces principes, il participe en 1831, aux côtés de son frère Napoléon Louis (membre de la Charbonnerie), au soulèvement des libéraux italiens en Romagne, soulèvement au cours duquel son frère meurt subitement d’une rougeole. Échappant à la police autrichienne, Louis Napoléon gagne ensuite Londres, où il participe à la préparation d’un coup de force sans suite contre la monarchie de Juillet. Revenu à Arenenberg, il devient, après la mort du duc de Reichstadt en 1832, le véritable chef du parti bonapartiste alors que son père et son oncle, nostalgiques des heures brillantes de l’Empire, ont depuis longtemps sombré dans le défaitisme et l’inaction.
S’assurant de quelques appuis au sein de l’armée, celui qui fait désormais figure de prétendant tente, en octobre 1836, de soulever la garnison de Strasbourg. Mal préparé, le coup de force échoue et Louis Napoléon, arrêté, est envoyé aux États-Unis. Il en revient en octobre 1837, trop tard pour assister sa mère au seuil de la mort. Interdit de séjour en Suisse sur pression du gouvernement français, il retourne à Londres où il rédige un ouvrage de réflexion politique, les Idées napoléoniennes, tout en préparant un nouveau coup de force.
En août 1840, il débarque à Boulogne-sur-Mer avec cinquante conjurés. Mais Louis Napoléon est arrêté quelques heures plus tard, condamné à la réclusion perpétuelle et interné au fort de Ham. Il met à profit son incarcération pour rédiger une Histoire de l’artillerie ainsi qu’un essai au titre demeuré fameux : l’Extinction du paupérisme ; il y fait fidèlement référence aux préoccupations sociales du moment.
En mai 1846, après six ans de captivité, Louis Napoléon emprunte les vêtements d’un maçon surnommé Badinguet (nom dont l’affublent ironiquement ses adversaires sous l’Empire) et parvient à s’échapper. Il se rend de nouveau à Londres où il se lie avec miss Howard qui lui apporte une aide financière importante et l’accompagne lorsqu’il rejoint Paris, à la faveur de la Révolution de 1848.
Prié de s’éloigner de la capitale sur ordre de Lamartine (membre du gouvernement provisoire), Louis Napoléon est cependant sur son seul nom élu à l’Assemblée constituante par quatre départements. Mais il préfère démissionner pour éviter que ne soit votée une loi d’exil l’éloignant encore du territoire national. Une nouvelle fois élu en septembre par cinq départements à l’Assemblée législative, il ne tarde pas à apparaître comme l’homme de la réconciliation, soutenu à la fois par les notables qui craignent l’installation du désordre et par le peuple pour lequel il incarne la promesse d’un retour à la gloire passée.
Soutenu enfin par le parti de l’Ordre, notamment par Thiers, et bénéficiant de la peur du péril rouge qui paralyse les campagnes depuis les journées de juin 1848, Louis Napoléon est élu président de la République le 10 décembre 1848, devançant largement Cavaignac, Ledru-Rollin et Lamartine. Ce triomphe est pourtant assombri par la victoire des royalistes à l’Assemblée législative en 1849, puis par la promulgation de la Constitution de la IIe République limitant son mandat à quatre ans.
Habile tacticien politique, il réduit d’abord à néant l’opposition républicaine puis laisse les conservateurs se discréditer par une politique réactionnaire et impopulaire (expédition de Rome en 1849, loi Falloux sur l’éducation en 1850 et suppression du suffrage universel en 1850), tout en se présentant comme le défenseur de la démocratie et du suffrage universel, et en travaillant à s’attirer le soutien du monde ouvrier.
Pour autant, Louis Napoléon ne réussit pas à faire modifier la Constitution, à dessein de se faire réélire en 1852. Jouissant cependant d’une grande popularité, il décide, avec l’aide de son frère utérin Morny et d’hommes tels que Persigny, Maupas et Saint-Arnaud, de perpétrer un coup d’État, le 2 décembre 1851, date anniversaire du sacre de Napoléon Ier et de la victoire d’Austerlitz. Au matin du 2 décembre, Louis Napoléon fait afficher une proclamation annonçant la dissolution de l’Assemblée, le rétablissement du suffrage universel et l’organisation prochaine d’un plébiscite sur les nouvelles institutions.
Malgré des mouvements de contestation, qui provoquent l’arrestation de quelque 27 000 personnes et l’exil de nombreux opposants, le plébiscite du 21 décembre 1851 donne une majorité écrasante aux partisans du coup d’État. Dès le 14 janvier 1852, une nouvelle Constitution est promulguée. Elle accorde à celui que Victor Hugo a surnommé « Napoléon le Petit » dix ans de pouvoirs étendus, qui en font à la fois le chef de l’État et le chef du gouvernement. Le pouvoir législatif, partagé entre le Conseil d’État et le Corps législatif, se réduit en fait à un pouvoir d’approbation. Quant au Sénat, composé sur une base exclusivement honorifique, il est le gardien de la Constitution.
Du reste, dans l’esprit de son initiateur, cette Constitution n’est pas destinée à durer. Après avoir préparé l’opinion durant l’année 1852 et fait lever l’état de siège en mars, Louis Napoléon organise un nouveau plébiscite (21 novembre) et proclame l’Empire le 2 décembre 1852, prenant le titre de Napoléon III. Dépourvu d’héritier, il fait de la branche cadette de la maison Bonaparte, celle de Jérôme, l’héritière de la Couronne impériale.
En 1853, Napoléon III épouse une jeune fille de la grande noblesse espagnole, Eugénie de Montijo, fille du comte de Teba. Ensemble, ils ont un fils : Eugène Louis Napoléon, « prince impérial » né en 1856 et tué en Afrique australe par les Zoulou en 1879. L’impératrice, à laquelle Napoléon III n’est pas fidèle tout en lui témoignant du respect, exerce une influence importante sur les affaires politiques. Très catholique, favorable à une politique conservatrice, elle contribue sans doute à favoriser la pratique autoritaire du pouvoir napoléonien jusqu’aux années 1860. Nourri d’influences contradictoires et bien qu’il a cultivé dans sa jeunesse des aspirations romantiques et un amour sincère de la liberté, Napoléon III est en effet convaincu qu’un régime autoritaire doit favoriser le développement économique et social du pays. Par ailleurs, le bonapartisme, mélange de paternalisme et d’autorité, s’appuie sur la conviction que tous les corps intermédiaires ne font que déformer la voix du peuple et que ce dernier, épris d’ordre et de paix, s’exprime de manière authentique par le biais du plébiscite.
Pour autant, Napoléon III ne gouverne pas avec le peuple. Favorable, dans son principe même, aux notables et aux grands capitalistes, sa politique ambiguë est menée en grande partie avec un personnel politique issu de l’opposition dynastique à la monarchie de Juillet (tel Eugène Rouher, avocat républicain qui compte parmi les pères de la Constitution). Il s’appuie également sur les préfets, l’armée et la police pour museler toute velléité d’opposition, exigeant des fonctionnaires un serment de fidélité, supprimant la liberté de la presse et, de fait, la liberté d’opinion.
Au delà de cet autoritarisme, le régime de Napoléon III accomplit en quelques années une œuvre économique considérable. L’industrie et le commerce connaissent un développement important, fruit d’une politique volontariste, largement teintée de saint-simonisme. Durant cette période, le réseau ferroviaire passe de 3 000 km (1852) à 18 000 km (1870) — les axes essentiels du réseau actuel sont déjà mis en place. L’expansion de certains secteurs industriels (textile, chimie, sidérurgie, métallurgie), la rationalisation et la modernisation de l’agriculture, la création des structures du capitalisme moderne (notamment de grandes banques capables de financer l’industrie grâce au crédit) permettent un fort essor économique et industriel, bien qu’il ne concerne pas l’ensemble du territoire. On assiste au passage progressif du protectionnisme au libre-échange, consacré par le traité de commerce du 23 janvier 1860 avec la Grande-Bretagne.
L’État lui-même donne une impulsion considérable aux travaux publics. Exemple emblématique, le programme d’aménagement de Paris, confié au baron Haussmann, transforme la physionomie de la capitale, tout en doublant la ségrégation sociale d’une ségrégation spatiale. Période d’expansion économique, et donc d’argent facile, d’affairisme, la première partie du règne de Napoléon III laisse donc le souvenir d’une « fête impériale » dont la cour, aux Tuileries comme à Compiègne, donne bien le ton. Pour le reste, l’expansion ne profite pas également à tous les Français. Ainsi, les années 1852-1870 ne marquent pas une amélioration du niveau de vie des ouvriers, contrairement à celui des notables, soutiens du régime impérial.
En politique étrangère, Napoléon III est confronté à l’hostilité des grandes puissances européennes en raison de la tradition belliciste, voire expansionniste, dont on l’imagine dépositaire. Mais Napoléon III se révèle être un fin tacticien de l’arme diplomatique et militaire. Avec la guerre de Crimée, engagée en 1854 pour contrer l’expansionnisme russe vers la Méditerranée, il voit le moyen de se rapprocher de la Grande-Bretagne et de séparer la Russie de l’Autriche (alliées depuis 1815). La chute de Sébastopol et le traité de Paris de 1856 réintroduisent la France dans le concert des nations européennes tout en consacrant, avec l’autonomie accordée à la Serbie et au Monténégro, une ébauche de reconnaissance du principe des nationalités.
C’est au nom de ce principe que Napoléon III, peu après l’attentat d’Orsini (janvier 1858) — attentat qui débouche sur l’instauration momentanée de la « loi de sûreté générale » et sur un durcissement du régime —, se penche sur la question de l’unification italienne. Favorable à une confédération italienne, il promet à Cavour son soutien lors de l’entrevue de Plombières (juillet 1858), en échange du rattachement de Nice et de la Savoie à la France. Peu après la défaite des Autrichiens au terme de la campagne d’Italie, la France annexe les deux territoires convoités, mais elle voit se créer à sa porte un puissant royaume qui ne cesse de s’agrandir aux dépens des anciens États italiens. En outre, la question de Rome, dont beaucoup d’Italiens veulent faire leur capitale, est en France une cause de dissensions politiques : les catholiques, attachés à la stabilité du statut de la papauté, reprochent en effet à l’empereur son manque de fermeté à ce sujet (Rome est définitivement évacuée en 1866).
Pour l’Empire, le début des années 1860 marque un double tournant. Un tournant politique d’abord, puisque l’opposition républicaine fait son entrée au Corps législatif, de façon timide en 1857 puis plus franchement aux élections de 1863 ; d’autre part, l’hostilité d’une partie des catholiques à la politique romaine de l’empereur crée une opposition sur sa droite. Un tournant économique ensuite, symbolisé par le mécontentement d’une partie du monde industriel après la conclusion du traité de libre-échange de 1860.
À ces difficultés s’ajoutent certains revers, notamment en Algérie où la politique arabe, favorable aux indigènes, provoque l’incompréhension des colons mais aussi au Mexique où l’expédition envoyée pour soutenir l’empereur Maximilien, en 1862, se termine tragiquement en 1867.
Confronté à ce réveil des oppositions, Napoléon III, soutenu par Morny et Walewski, entreprend de libéraliser le régime par une politique de concession, cherchant en particulier à gagner le soutien du monde ouvrier, dont il encourage le courant réformiste, dominé par les ouvriers les plus qualifiés, et dont il favorise l’expression collective en faisant abolir en mai 1864 le délit de coalition (droit de grève). Enfin, malgré l’opposition manifestée par les bonapartistes autoritaires, il assouplit en 1868 le régime de la liberté de la presse (mai), et introduit le droit d’interpellation au Corps législatif.
Au terme des élections de 1869, la réduction de représentation à l’Assemblée entre bonapartistes et républicains fait comprendre à Napoléon III qu’il est temps de modifier radicalement l’orientation du régime. Ne pas tenir compte du reclassement politique équivaudrait à un suicide. Napoléon III décide alors de former « un cabinet homogène, représentant fidèlement la majorité du Corps législatif ». Le 2 janvier 1870, Émile Ollivier forme un cabinet comprenant bien sûr de fervent bonapartistes mais également des représentants du centre droit et du centre gauche. Au mois de mai, une nouvelle modification des institutions transforme l’Empire en une monarchie constitutionnelle — même si les ministres restent exclusivement responsables devant l’empereur. La victoire écrasante du « oui » (7,3 millions contre 1,5 million de « non ») lors du plébiscite du 8 mai 1870 semble conforter définitivement le camp de la réforme. Il ne s’agit pourtant pas d’un virement démocrate ; le ministère Ollivier est dirigé par un homme d’abord préoccupé de satisfaire les milieux conservateurs, d’affaire et les milieux cléricaux. Il s’affirme d’emblée prêt à réprimer tout mouvement social d’opposition au régime. Lors des manifestations hostiles à ce dernier, il n’hésite pas à faire donner la troupe et à emprisonner des figures de l’opposition, tel Rochefort. À ce facteur de déstabilisation du régime dans un contexte intérieur tendu s’ajoute la maladie de l’empereur.
Fatigué, de plus en plus souffrant (il est atteint de la maladie de la pierre), l’empereur ne sait pas distinguer les dangers qui menacent la sécurité du pays. En particulier, il commet l’erreur de sous-estimer la puissance prussienne et le fait que, pour des raisons de politique intérieure, le chancelier Bismarck souhaite ardemment la guerre contre la France. En 1866 pourtant, la victoire de la Prusse sur l’Autriche à Sadowa a fait apparaître les ambitions des Hohenzollern, qui depuis longtemps aspirent à être les artisans de l’unification allemande. Bien que mis en garde par ses conseillers les plus proches et malgré l’opposition de la gauche républicaine, Napoléon III cède donc à la provocation contenue dans la dépêche d’Ems et déclare la guerre à la Prusse le 19 juillet 1870 (voir guerre franco-allemande de 1870).
Mal préparée et moins nombreuse en effectifs que les Prussiens, l’armée française accumule les défaites. Dès le 2 septembre 1870, Napoléon III, retranché à Sedan, doit capituler. Le 4 septembre, la République est proclamée à Paris, comme si le régime était finalement trop fragile pour supporter l’absence de son chef. Napoléon III est interné au château de Wilhelmshöhe, près de Kassel, puis il s’exile à Chislehurst (Grande-Bretagne) où il meurt des suites d’une intervention chirurgicale.
La défaite de 1870 a contribué à discréditer la figure de Napoléon III, déjà en proie de son vivant aux sarcasmes féroces de Victor Hugo, aux critiques de Marx et d’Engels, et au mépris de l’opposition républicaine, qui l’ont considéré comme un fossoyeur des libertés. Pourtant, l’historiographie contemporaine a fini par reconnaître le rôle décisif qu’il a joué dans le développement de la révolution industrielle en France, même s’il n’a pas su, simultanément, donner une réponse satisfaisante à la question sociale.
Prince secret, en proie à des aspirations contradictoires, Napoléon III a été, bien involontairement, celui qui a contribué à définitivement tourner la page du modèle impérial en France : si, entre la monarchie réactionnaire et la république radicale, le bonapartisme — version rénovée du despotisme éclairé — a pu s’interposer, il est apparu après 1870 que seule la République pouvait réconcilier les Français et fonder un régime durable. Avec la fin du second Empire, la France a quitté le siècle de la recherche du meilleur régime possible pour entrer dans celui de la stabilité institutionnelle et républicaine.

     
     
IIIème REPUBLIQUE
     
     

Après la destitution de l'empereur Napoléon III suite à la défaite de Sedan (2 septembre 1870), l'Assemblée donne à Thiers le titre du chef du pouvoir par la loi du 31 août 1871.

La Constitution, révisée en 1875, sera suspendue "jusqu'à la paix" par un vote en 1940.

     
     
 
1870 - 1871
 
     

Général LOUIS TROCHU

Né à Belle-Ile-en-Mer en 1815 - mort à Tours en 1896.

Officier, Louis Jules Trochu sert en Algérie, en Crimée, en Italie et obtient le grade de général en 1866. Son livre L’Armée française en 1867, où il dénonce la désorganisation de l’armée impériale, entraîne sa disgrâce. Mais la popularité qu’il en acquiert le fait nommer gouverneur de Paris le 17 août 1870. Le 4 septembre, il devient président du gouvernement de la Défense nationale. Le 31 octobre 1870, le peuple de Paris, se rendant compte de son inconsistance, manifeste contre Trochu et son gouvernement. Il réussit à se maintenir et proclame : « Le gouverneur de Paris ne capitulera pas. » Le 19 janvier 1871 a lieu la désastreuse sortie de Buzenval où l’incapacité (ou la duplicité) de Trochu apparaît. Sa destitution est demandée. Il démissionne de lui-même le 22 janvier après une fracassante déclaration dans laquelle il préconise en réalité la capitulation. Remplacé par Vinoy, il est élu député en février. Mais, dès 1872, il quitte la scène politique. Victor Hugo l’a marqué d’une définition cinglante : « Trochu, participe passé du verbe Trop Choir. » Sous les apparences d’un chef courageux et dévoué, c’était un caractère ambitieux, dissimulé et irrésolu. Répétant sans cesse « j’ai mon plan », il était convaincu que toute résistance et toute défense de Paris étaient vaines. Il cherche à gagner du temps, joue et se joue son propre jeu. Il se révèle, aux yeux de l’histoire, comme la fausse idole d’un moment.

     
 
1871 - 1873
 
     

ADOLPHE THIERS

Né à Marseille en 1797 - mort à Saint-Germain-en-Laye en 1877.

Après desétudes au lycée de Marseille, il étudie le droit à Aix, est lauréat de l’académie d’Aix. En septembre 1821 il « monte » à Paris où il rejoint Mignet auquel le liera une amitié de près de soixante ans. Thiers se lance dans le journalisme libéral ; il écrit dans Le Constitutionnel, est le correspondant de La Gazette d’Augsbourg, et ces derniers articles attestent une intelligence aussi remarquable de la finance que de la politique ; en 1823, il publie les deux premiers volumes de son Histoire de la Révolution ; dès 1827, il envisage une histoire du Consulat.
Dès ce moment, il est connu dans les salons libéraux de Jacques Laffitte et de La Fayette. Talleyrand l’apprécie. C’est le « dauphin de la Révolution ». Le grand rôle de Thiers commence avec sa collaboration au journal Le National, au titre significatif. Aux côtés d’Auguste Mignet et d’Armand Carrel, Thiers dénonce le ministère Polignac, cherche à enfermer les Bourbons dans la Charte pour les conduire à un coup d’État, propose un changement de dynastie : il faut s’inspirer de la révolution anglaise de 1688 et, comme Guillaume d’Orange a pris la place de Jacques II, substituer les Orléans aux Bourbons. La promulgation des quatre ordonnances fait de Thiers un des auteurs de la révolution de Juillet. Il rédige la protestation des journalistes particulièrement menacés par la politique royale, convainc le duc d’Orléans d’accepter la couronne. La révolution triomphe : dès le 12 août, Thiers est admis au Conseil d’État, attaché à la commission des Finances, adjoint du ministre des Finances, le baron Louis.
Au service de la monarchie de Juillet
Dans les Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand distingue Thiers de l’ensemble du personnel politique de la monarchie citoyenne : « Sans jalousie, sans petitesse, sans morgue et sans préjugés, il se détache sur le fond terne et obscur des médiocrités du temps. » Effectivement, sa carrière est rapide : député des Bouches-du-Rhône, ministre de l’Intérieur du cabinet Soult, puis ministre de l’Agriculture et du Commerce, à nouveau ministre de l’Intérieur. Par l’entremise de Simon Deutz, il assure l’arrestation de la duchesse de Berry, mène la lutte contre les émeutes républicaines d’avril 1835, contribue à faire voter les lois de répression dites lois de septembre. Il y gagne la haine des républicains, que Daumier exprime en caricatures vengeresses, mais il a le pouvoir et la fortune. En 1838, il épouse Mlle Dosne, mariage sur lequel courent des bruits fâcheux, qui lui donne une aisance qu’il apprécie. En 1834, il est reçu à l’Académie française. « Il n’est point parvenu, dit Talleyrand, il est arrivé. »
En 1836, Thiers est pour la première fois président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, mais il échoue dans sa tentative de marier le duc d’Orléans à une archiduchesse d’Autriche ; en outre, le roi, séduit par les ressources de l’esprit de Thiers, mais plus soucieux encore de « conduire son fiacre » comme il l’entend, s’inquiète de la politique espagnole de son Premier ministre, qui doit donner sa démission. Thiers retourne à l’opposition parlementaire et conduit contre le comte Molé un combat finalement heureux.
En 1840, Thiers retrouve la présidence du Conseil et le ministère des Affaires étrangères. Il veut, comme lors de sa précédente présidence, que la France ne se laisse pas dominer par les intérêts matériels, ne « s’accroupisse pas sur sa chaufferette ». Il désire l’achèvement de la conquête algérienne ; il fait décider le retour des cendres de Napoléon. Toutefois, il entend maintenir l’Entente cordiale avec l’Angleterre et, pour preuve de ses bons sentiments, liquide, au mieux des intérêts anglais, l’affaire des soufres de Sicile. La crise égyptienne l’oppose cependant à lord Palmerston et à la diplomatie des grandes puissances européennes : ayant souhaité réconcilier sans y mêler ces dernières le sultan et le pacha d’Égypte, Thiers se voit proposer un règlement négocié en dehors de la France et peu favorable au client de celle-ci, Méhémet-Ali. Il procède à des armements militaires et laisse entendre qu’il ne refusera pas la guerre. Mais, pour la seconde fois, le roi le désavoue et Thiers démissionne. Politique d’audace proche de la témérité et qui a des suites fâcheuses : l’Allemagne s’est réveillée et accuse la France de troubler l’ordre européen.
À nouveau Thiers est ramené à l’opposition contre le ministère Soult-Guizot qui s’éternise. Il lui reproche sa politique étrangère, sa politique universitaire, son refus de la réforme électorale. Toutefois, il accepte en 1842 que la régence soit confiée au duc de Nemours et non à la duchesse d’Orléans, il ne participe pas à la campagne des banquets (1847-1848). On peut le situer à la gauche de l’orléanisme, mais fidèle aux Orléans, quand la monarchie de Juillet est emportée. En fait, s’il dira sa peine à la mort de Louis-Philippe, il n’a jamais pardonné à la monarchie de ne pas lui avoir donné toute sa chance.
La révolution de février 1848 n’écarte pas Thiers de la politique comme elle écarte Guizot. Au contraire, le péril social surexcite l’ardeur combative de l’homme d’État. Thiers appuie la candidature de Louis-Napoléon à la présidence, moins par fidélité à la mémoire de Napoléon, qu’il a d’ailleurs toujours exaltée, que parce qu’il a pensé, comme les autres chefs conservateurs, que Louis-Napoléon l’emporterait de toute manière ; il publie un ouvrage sur La Propriété, défend l’Église contre l’Université, contribue à faire voter la loi électorale et antidémocratique du 31 mai 1850. Dans le fond, il admet pourtant la république, pourvu qu’elle soit conservatrice et que, dans un avenir plus ou moins proche, elle lui assure la première place. Le coup d’État du 2 décembre 1851, qu’il a annoncé, l’exile d’abord en Belgique puis en Angleterre. Il revient en France en 1852. Durant les premières années du second Empire, il s’abandonne à sa passion des voyages et mène à bien son Histoire du Consulat et de l’Empire, dont le succès est considérable. En 1857, Napoléon le traite d’historien national ; en 1862, l’Académie française lui décerne le prix biennal de littérature.
Cependant, la politique le tente toujours. Aux élections législatives de 1863, il est battu à Aix mais élu à Paris. Sa rentrée politique est un événement : Thiers s’impose non seulement à l’opposition mais à la majorité du corps législatif qui, au fond du cœur, lui donne souvent raison. Comme il l’a toujours fait, il défend le protectionnisme et conteste les résultats du traité de janvier 1860 ; il demande les « libertés nécessaires », il dénonce l’unité italienne et, plus encore, l’unité allemande. La Prusse, à l’entendre, est en train de reconstituer l’Empire de Charles Quint avec pour capitale Berlin et pour satellite l’Italie. En 1869, Thiers est réélu député de Paris. Lorsque se forme, le 2 janvier 1870, le cabinet Émile Ollivier, il reste sur la réserve, à la différence de Guizot et de la plupart des anciens orléanistes : il n’a pas confiance. Clairvoyance rare, qui cependant n’a jamais été aussi grande que lorsqu’il essaie en vain d’empêcher la guerre entre la France et la Prusse. La défaite ainsi que la tournée des capitales européennes qu’il entreprend malgré son âge, à la demande du gouvernement de la Défense nationale, pour rompre l’isolement de la France confirment son prestige, qui est alors à son apogée.
En 1871, Thiers, partisan de la paix, est élu dans vingt-six départements, tandis que Gambetta, partisan de la lutte à outrance, ne l’est que dans neuf. Aussi, le 17 février, l’Assemblée nationale, réunie à Bordeaux, le nomme-t-elle chef du pouvoir exécutif et le charge-t-elle des négociations avec le vainqueur. Thiers signe les préliminaires de la paix, arrache à Bismarck Belfort en échange de l’entrée des Allemands à Paris, entrée limitée dans l’espace et le temps. Cette entrée des ennemis est considérée comme une insulte à l’honneur de Paris qui n’a pas capitulé. Thiers se heurte à la Commune de Paris, patriote, républicaine, désireuse d’une transformation sociale : la Commune ne reconnaît pas l’Assemblée nationale conservatrice qui siège à Versailles. Thiers est, lui aussi, favorable à la république, mais à une république modérée, respectueuse des fortunes ; il entend gouverner en accord avec l’Assemblée. Après le 18 mars, il réalise le projet d’abandonner Paris, qu’il avait déjà conseillé à Louis-Philippe en février 1848, et, grâce au retour des soldats prisonniers, engage contre la Commune une lutte impitoyable et finalement victorieuse. La guerre civile terminée dans des conditions atroces, Thiers se préoccupe de payer l’indemnité de guerre exigée par l’Allemagne et d’assurer ainsi la libération du territoire. Le 18 septembre 1873, les troupes allemandes quittent la France, dix-huit mois avant le terme prévu ; Thiers est parvenu à cela grâce au lancement de deux emprunts très favorables à leurs souscripteurs, et grâce à une œuvre financière classique (refus de l’impôt sur le revenu, augmentation des impôts indirects, monopole des allumettes). Il fait preuve de la même prudence dans la réorganisation administrative (la centralisation n’est pas atteinte) et militaire (le service obligatoire est momentanément écarté).
À l’étranger au moins, Thiers passe pour avoir restauré la puissance de la France. Cependant les sympathies républicaines de Thiers se précisent : la république a le mérite d’être ; elle est le gouvernement qui divise le moins. D’où son désaccord de plus en plus net avec l’Assemblée qui, le 24 mai 1873, obtient sa démission. Espoir des républicains que menace la politique de réaction, Thiers condamne le duc de Broglie au lendemain du 16 mai 1877. Quand il meurt à Saint-Germain-en-Laye, il sert encore la république. Sa famille refuse les obsèques officielles, mais trois cent quatre-vingt-quatre villes sont représentées et peut-être un million de personnes assistent à ses funérailles : l’émotion nationale atteste que Thiers a acclimaté la république. « La république, avait-il dit dans son dernier message, c’est la nécessité », mais la nécessité a besoin d’un intercesseur.

     
 
1873 - 1879
 
     

Maréchal EDME PATRICE, Comte de MAC-MAHON

Né à Sully-sur-Loire en 1808 - mort à Chaâteau-la-Forêt (Loiret) en 1893.

D’origine irlandaise, sa famille suivit Jacques II Stuart dans son exil en France à la fin du XVIIe siècle. Fils d’un émigré qui servit l’Ancien Régime, puis le premier Empire, en qualité de lieutenant général, neveu d’un pair de France sous la Restauration, Mac-Mahon fut élevé en effet dans les traditions de la noblesse française au château de Sully en Saône-et-Loire. Il se destina tout naturellement à la carrière des armes et sortit de Saint-Cyr comme sous-lieutenant en 1827. Il participa à l’expédition d’Alger en 1830 et montra au cours des combats une bravoure, qui sera sa qualité première. Légitimiste, mais partisan du pouvoir légal, il sert les orléanistes sans que cela lui crée un cas de conscience. Il se trouve déjà au siège d’Anvers en 1832, et c’est en Algérie que, pendant vingt années, il fera carrière, en participant à la conquête et à la « pacification » du pays. Promu capitaine en 1833, fait chevalier de la Légion d’honneur la même année, blessé plusieurs fois, il est de tous les grands combats et montre un courage exemplaire, en particulier lors de la prise de Constantine en 1837. Bien noté par ses chefs, il est général de division en 1852, à quarante-quatre ans. Militaire avant tout, il se rallie au second Empire, sans enthousiasme, mais sans trop de scrupule. Il se fait remarquer au cours de la guerre de Crimée, en 1855, par la prise du bastion de Malakoff qui oblige les Russes à abandonner Sébastopol, et il reçoit la grand-croix de la Légion d’honneur. Ces états de service exceptionnels lui valent d’entrer au Sénat en 1856. Cet homme, conservateur, sans idées ni expériences politiques, s’oppose alors — et il est un des très rares parlementaires à la faire — à la loi de sûreté générale qui restreint les libertés publiques et qui a été proposée par l’empereur après l’attentat d’Orsini. Cette prise de position libérale éclaire pour l’avenir la carrière politique de Mac-Mahon qui se montrera toujours soucieux de respecter les formes légales et constitutionnelles du pouvoir. Peu au fait des subtilités parlementaires, Mac-Mahon préfère reprendre du service dans l’armée et il regagne l’Algérie en qualité de commandant en chef en 1858. On le retrouve à Magenta le 4 juin 1859 où il sauve l’empereur de l’encerclement, et il est fait duc de Magenta et maréchal de France ; il participe à la bataille de Solférino en 1859, commande à Nancy en 1862, devient gouverneur général de l’Algérie en 1864 et il est chargé de mettre en œuvre la politique arabe libérale de Napoléon III. Mais il entre en conflit avec le cardinal Lavigerie qui entend accélérer l’assimilation des indigènes en les convertissant au christianisme. En 1869, il doit s’opposer à l’insurrection des Ouled sidi Cheikh. Rappelé en France au moment de la guerre contre la Prusse, ce militaire courageux apparaît comme un bien médiocre stratège et il essuie deux défaites à Wissembourg et à Reichshoffen en août 1870. Il est finalement fait prisonnier à Sedan le 1er septembre 1870. Libéré en mars 1871, lors des préliminaires d’armistice, il commande l’armée des versaillais contre la Commune et il tente de veiller au respect de la justice, tâche rendue impossible par les circonstances. C’est alors que commence sa carrière politique. Partisan de l’ordre, ennemi du « péril social » que représente à ses yeux la République, il est poussé par les monarchistes à la présidence de la République, après la démission de Thiers en 1873. Il accepte cette fonction plus par devoir que par goût du pouvoir, et reste étranger aux luttes intestines entre légitimistes, orléanistes et impérialistes ; de même qu’il est hostile au rétablissement de la royauté et du drapeau blanc devant lequel, prophétise-t-il, « les chassepots partiraient d’eux-mêmes ». Mais son principal conseiller, le duc Albert de Broglie, qui a pour but de restaurer la monarchie, l’oblige finalement à envoyer une lettre très dure qui provoque la démission du ministère Jules Simon, républicain, et à faire appel à lui le 16 mai 1877. Cet acte irréfléchi est considéré comme une provocation par la majorité républicaine de l’Assemblée. La crise constitutionnelle ainsi ouverte qui oppose le président de la République à l’Assemblée peut déboucher sur une crise de régime. La dissolution de l’Assemblée et le renvoi des députés devant les électeurs sont décidés par Mac-Mahon qui parcourt la France en faisant une propagande intensive pour un régime « d’ordre moral ». C’est alors que Gambetta prononce la phrase célèbre selon laquelle une fois que « la France se sera prononcée en faveur des républicains, Mac-Mahon devra se soumettre ou se démettre ». C’est la soumission que choisit d’abord Mac-Mahon qui, après les élections de l’automne 1877, reconnaît que la France veut la République et appelle un ministère Dufaure. Mais en janvier 1879, il démissionne, après avoir refusé de signer la révocation de plusieurs généraux proposée par le Conseil des ministres. Mac-Mahon ne fut pas le personnage falot et dénué d’intelligence que l’histoire a retenu. Il faut mettre à son actif le courage militaire, le désintéres.

     
 
1879 - 1887
 
     

JULES GREVY

Né à Mont-sous-Vaudrey (Jura) en 1807 - mort à Mont-sous-Vaudrey en 1891.

Le sang-froid de Grévy, avocat, théoricien du droit, n’avait d’égal que sa maîtrise du langage : « Ses mots sont frappés en médaille » disait-on. La finesse d’esprit était réelle dans ce corps de grenadier. La fermeté de ses convictions républicaines ne se démentit jamais. Il avait débuté en 1848 en proposant un amendement fameux contre l’élection du président de la République au suffrage universel. Tenté par le gouvernement d’assemblée, il allait s’attacher à dépersonnaliser la fonction politique. Élu député du Jura en 1863 et 1869 au Corps législatif, il est à la tête de l’opposition républicaine. Il s’oppose, avec Thiers et Gambetta, à la déclaration de guerre en 1870. Élu président de l’Assemblée nationale (1871-1873), puis de la Chambre des députés à partir de 1876, il joua un rôle important dans la crise du 16 mai 1876. Le 30 janvier 1879, le maréchal président Mac-Mahon démissionna et le Congrès, réuni à Versailles, élut Jules Grévy président de la République. L’influence de celui-ci a été capitale pour l’avenir de la fonction et de l’exécutif face au législatif. Les prérogatives constitutionnelles du président de la République, compromises par Mac-Mahon (révocation des ministres, ajournement des Chambres et surtout dissolution) allaient être mises en sommeil. Pourtant il allait apporter un soin tout particulier au choix des ministres et particulièrement au choix de celui chargé de constituer le ministère, qui deviendra le président du Conseil, sur lequel la Constitution de 1875 était muette. C’est ainsi qu’il s’efforça, non sans complicité parmi les républicains, d’écarter Gambetta de la présidence du Conseil, puis, avec l’aide de Clemenceau, de miner le « grand ministère » que Gambetta ne dirigea que soixante-treize jours à partir de novembre 1881. Le choix du président du Conseil, effectué par Grévy, chef de l’État, a entraîné un affaiblissement de l’institution du président de la République et de celle même de président du Conseil, en dissociant les notions de chef de l’exécutif et de leader parlementaire ; car, s’il était peu imaginable, après l’expérience Mac-Mahon, de retrouver un pouvoir présidentiel fort, le Conseil des ministres aurait pu devenir un organe moteur et responsable : ce pouvoir ministériel fort et stable fera défaut à la IIIe République dans son ensemble, sauf à de rares exceptions. C’est à ce titre qu’on a pu parler de « Constitution Grévy » pour qualifier l’influence du nouveau président de la République. En politique extérieure, il était très attaché à la paix, ce qui lui valut l’hostilité des partisans de la revanche au moment de la crise boulangiste. Il fut réélu à la présidence en 1885 à la fin de son septennat. En 1887, son gendre le député Daniel Wilson ayant été convaincu de trafic d’influence, les Chambres obligèrent Grévy à donner sa démission. La République opportuniste dévoilait un début d’affairisme parlementaire dont s’emparait l’agitation nationaliste.

     
 
1887 - 1894
 
     

MARIE FRANCOIS SADI CARNOT

Né à Limoges en 1837 - assassiné à Lyon en 1894.

Dans un climat politique troublé notamment par la crise du boulangisme, le président Carnot, tout en restant dans les limites de son rôle constitutionnel, sut symboliser la pérennité des institutions.
Né à Limoges, Marie François Sadi Carnot était issu d'une illustre famille républicaine : petit fils de Lazare Carnot, l'« Organisateur de la victoire » et fils d'Hyppolite Carnot, ministre de l'Instruction publique en 1848, il fut élève de l'École polytechnique puis entra dans l'administration des Ponts et Chaussées. Nommé par Gambetta préfet de l'actuel département de la Seine-Maritime en 1871, pendant la guerre franco-allemande, il tenta d'organiser la résistance à l'avancée ennemie en Normandie. Élu député de la Côte-d'Or la même année, il siégea sur les bancs de la gauche républicaine et entama une carrière ministérielle féconde : plusieurs fois ministre des Travaux publics, ministre des Finances dans les cabinets Brisson (1885) et Freycinet (1886), il fut, servi par son nom et par sa réputation de modération, confortablement élu à la présidence de la République en décembre 1887, après que Jules Grévy eut été acculé à la démission par le scandale des décorations.
Parfaitement représentatif du courant opportuniste qui l'avait porté à la tête de l'État, il vit son mandat coïncider avec une période d'instabilité politique (le coup d'État manqué du général Boulanger, l'affaire de Panamá) et d'agitation sociale soulignant la relative fragilité des institutions. Dans l'exercice de ses fonctions, Carnot s'attacha principalement à obtenir le ralliement des catholiques au régime et à favoriser la conclusion de l'alliance franco-russe.
En voyage à Lyon, il fut assassiné par un anarchiste italien, Caserio, qui entendait protester contre les « lois scélérates » restreignant la liberté syndicale, que la Chambre venait d'adopter.

     
 
1894 - 1895
 
     

JEAN CASIMIR-PERIER

Né à Paris en 1847 - mort à paris en 1907.

Riche négociant, industriel du Dauphiné et cofondateur de la Banque de France, Claude Perier eut huit fils qui tous ont tenu une place marquante dans la politique et dans la vie économique. Casimir, le quatrième, vient à Paris, en 1801, fonder une banque qui gagne le contrôle de la Compagnie des mines d’Anzin, entre autres affaires industrielles ; il devient régent de la Banque de France. Élu député de Paris (1817), il s’affirme un redoutable orateur de l’opposition libérale, surtout dans les débats financiers où il met souvent Villèle dans l’embarras. Toutefois, il souhaite préserver la monarchie avec la charte ; il blâme l’insurrection de juillet 1830, mais, comme député de Paris et animateur de la résistance légale de la Chambre lors du ministère Polignac, il se trouve engagé d’honneur et fait partie de la commission municipale constituée le 29 juillet. La révolution accomplie, Perier soutient que tout devrait se borner à un simple changement de dynastie et qu’il faut résister au mouvement démocratique. Appelé à la tête du gouvernement en mars 1831, il galvanise les partisans de l’ordre par son impulsion autoritaire et impose sa volonté au roi lui-même. Il réprime vigoureusement les émeutes parisiennes et la première grande révolte sociale des canuts de Lyon. En quelques mois, il consolide le régime chancelant par le vote des lois organisant la garde nationale et le nouveau régime électoral. En politique extérieure, il refuse d’engager la France dans le soutien aux révoltés de Pologne et d’Italie mais collabore avec les Anglais pour sauvegarder la Belgique indépendante. Il flatte l’amour-propre national par l’envoi d’une expédition à Ancône et par une démonstration navale à Lisbonne. Casimir Perier succombe au choléra, contracté en allant visiter à l’Hôtel-Dieu les victimes de l’épidémie. En une année de gouvernement, il a donné au régime une assise durable et fixé aussi sa physionomie politique au service de la grande bourgeoisie capitaliste.
Son petit-fils, Jean Casimir-Perier sera président de la République.

     
 
1895 - 1899
 
     

FELIX FAURE

Né à Paris en 1841 - mort à paris en 1899

Riche négociant en cuirs du Havre, libéral et membre de la Ligue française de l’enseignement, Félix Faure se distingua comme chef des mobiles de Seine-Inférieure en novembre 1870. Adjoint au maire du Havre, membre de la chambre de commerce, il fut élu en 1881 député républicain modéré. À la Chambre, il fit partie du groupe de l’Union républicaine et fut un spécialiste des affaires commerciales. Gambetta fit de lui, en 1881-1882, un sous-secrétaire d’État au Commerce ; il fut sous-secrétaire d’État à la Marine, chargé particulièrement des colonies, sous Jules Ferry (1883-1885) et dans le premier cabinet Tirard (1887-1888). Il créa le Conseil supérieur des colonies. Le 17 janvier 1895, il fut élu président de la République par la coalition des voix monarchistes et modérées contre les voix radicales et socialistes ; il sut s’imposer par sa modération, sa finesse et son sens de la représentation. La France étant alors déchirée par l’affaire Dreyfus, il fit confiance à des gouvernements modérés (Méline, Dupuy) et se montra hostile à la révision du procès. Attaché à l’expansion coloniale, il a peut-être inspiré l’évacuation de Fachoda. Le renforcement de l’alliance franco-russe fut en partie son œuvre ; il reçut le tsar Nicolas II à Paris en 1896 et il se rendit lui-même à Cronstadt en 1897. Ses funérailles nationales provoquèrent, le 23 février 1899, de violentes manifestations au cours desquelles Déroulède tenta d’inciter le général Roget à marcher sur l’Élysée, où était mort le président, au cours d’une intimité amoureuse avec la belle Mme Steinheil.

     
 
1899 - 1906
 
     

EMILE LOUBET

Né à Marsanne en 1838 - mort à Marsanne en 1929

D’origine modeste — il est fils d’un paysan de la Drôme —, Émile Loubet réussit à devenir avocat et à se faire progressivement une place dans le chœur de l’opposition républicaine au second Empire. La première étape de sa carrière politique est la conquête de la mairie de Montélimar en 1870. Élu député de la Drôme en 1876, il siège parmi les républicains modérés, avant de rejoindre un autre hémicycle, le Sénat, en 1885.
En 1892, après qu’il a connu l’expérience d’une charge ministérielle (les Travaux Publics, 1887), le président Sadi Carnot le sollicite pour former le gouvernement qui est constitué le 27 février. Mais les dix mois qu’Émile Loubet passe aux Affaires sont agitées ; il doit gérer une épidémie de choléra au Havre, des troubles dans les régions minières du Nord ; surtout, il affronte le scandale de Panamá que l’opposition l’accuse de vouloir étouffer. Son ministère chute finalement le 6 décembre.
Devenu une des cibles des courants nationalistes qui dénoncent la corruption du régime, Émile Loubet retourne néanmoins au Sénat, puis en assure la présidence (1896), avant d’endosser une fonction plus importante encore puisqu’en 1899 il succède à Félix Faure à la présidence de la République. Dès le début de son mandat, il est plus que jamais brocardé par l’opposition nationaliste et antidreyfusarde, parce qu’il doit son élection à des voix de gauche, mais plus encore parce qu’il gracie le capitaine Alfred Dreyfus en septembre 1899.
Ainsi celui qu’on tient pour une figure terne de la politique s’affirme comme une forte personnalité — personnalité qui s’exprime encore en 1902, lorsqu’il signifie son désaccord avec la politique anticléricale du gouvernement d’Émile Combes (laquelle aboutit à la séparation de l’Église et de l’État en 1905). Pour le reste, son séjour à l’Élysée est marqué par une diplomatie très active. Émile Loubet reçoit de nombreux chefs d’État (Russie, Grande-Bretagne, Italie). Ces rencontres annoncent l’Entente cordiale. En 1906, à la fin de son mandat, il se retire définitivement de l’échiquier politique.

     
 
1906 - 1913
 
     

ARMAND FALLIERES

Né à Mézin (Lot-et-Garonne) en 1841 - mort à Mézin en 1931.

Armand Fallières fut élu député de la gauche républicaine en 1876 avant d'entrer au gouvernement comme ministre de l'Intérieur (1882-1883). Président du Conseil en 1883, il fut ensuite nommé plusieurs fois ministre entre 1883 et 1892, à l'Instruction publique, à l'Intérieur et à la Justice. Sénateur du Lot-et-Garonne à partir de 1890, président du Sénat en 1899, il fut le candidat de la gauche à l’élection présidentielle de 1906. À la tête de l'État, il joua un rôle politique plutôt effacé. Sa présidence fut néanmoins marquée par l'application de la loi de séparation de l'Église et de l'État, votée en 1905 et par la fin de l'affaire Dreyfus. Il fut remplacé à la présidence par Raymond Poincaré en 1913.

     
 
1913 - 1920
 
     

RAYMOND POINCARE

Né à Bar-le-Duc en 1860 - mort à paris en 1934.

Issu d’un milieu bourgeois et intellectuel, Raymond Poincaré est élu conseiller général, puis député du département de la Meuse en 1887. Au Parlement, il est très rapidement un des hommes dont l’autorité égale la compétence. À trente-six ans, il a été déjà trois fois ministre : aux Finances en 1893 et en 1894, à l’Instruction publique en 1895. Il est ambitieux et sait être prudent. L’affaire Dreyfus divisant l’opinion, il se réserve et attend. La lutte anticléricale divisant les Français (1902-1905), il s’abstient de prendre parti. Avocat célèbre à Paris, on forge autour de lui l’image du patriote lorrain et du politique désintéressé. Il est d’une parfaite honnêteté, son prestige intellectuel est grand. Sincèrement laïque et rationaliste, il est accepté par la gauche ; partisan d’une orthodoxie économique et financière, il est adversaire de l’impôt sur le revenu et plaît aux modérés. Timide et froid a-t-on dit, pourtant il aime convaincre. Dès 1899, on lui avait offert la direction du gouvernement. En 1903, il préférait le Sénat à la Chambre des députés et allait y représenter la Meuse jusqu’en 1913. En 1906, il est élu à l’Académie française. En janvier 1912, Fallières le nomme président du Conseil. Il succède à Caillaux, qui dit de lui : « Il est armé pour exercer le pouvoir [...]. De haute culture, supérieur par le savoir à la plupart des politiques de sa génération, sinon à tous. Formidable puissance de travail... » À la politique pacifique de ce dernier Poincaré oppose une politique de fermeté à l’égard de l’Allemagne et, s’attribuant le portefeuille des Affaires étrangères, resserre les alliances françaises : l’Entente cordiale et l’alliance franco-russe. À l’intérieur, il fait aboutir une réforme électorale complexe comportant le scrutin de liste avec représentation proportionnelle. Homme d’autorité partisan d’un renforcement de l’influence du président de la République, il est élu le 17 janvier 1913 par le Congrès à la succession de Fallières. Barthou lui succède à la présidence du Conseil et Poincaré s’attache à poursuivre sa politique étrangère. Il est un des partisans de la loi sur le service militaire de trois ans. Les élections de 1914 amènent un succès de la gauche. Poincaré choisit Viviani pour la présidence du Conseil. En juillet 1914, au cours d’un voyage en Russie, il apprend que l’Autriche-Hongrie a adressé à la Serbie un ultimatum. Il revient en France, où il est le symbole de l’Union sacrée ; mais c’est son vieil adversaire Clemenceau qui sera le « Père la Victoire » . Impatient de jouer de nouveau un rôle politique, il renonce à solliciter un second mandat présidentiel en 1920. Réélu sénateur de la Meuse, il devient président de la commission des Réparations, dont il démissionnera par intransigeance à l’égard de l’Allemagne. En 1921, président de la commission des Affaires étrangères du Sénat, il provoque la démission de Briand, soupçonné de mollesse lors de la conférence de Cannes sur les réparations de guerre. Il redevient président du Conseil de janvier 1922 à juin 1924 et se présente comme l’homme de « l’exécution intégrale du traité de Versailles ». En janvier 1923, il décide l’occupation de la Ruhr par les troupes françaises , ce qui isole la France sur le plan international. À l’intérieur, la crise financière amène Poincaré à utiliser pour la première fois la procédure des décrets-lois à la place de mesures normalement adoptées par les Chambres. En 1924, le Cartel des gauches lui enlève le pouvoir, mais la question financière lui redonne en 1926 la possibilité de se présenter comme l’homme de l’union nécessaire. Il est solide, certes, mais habile ; André Siegfried a écrit de lui que « les propriétaires pouvaient lui confier la clef de la caisse et les purs la garde de la République ». Il reste à la tête d’un gouvernement d’union nationale (de juillet 1926 à juillet 1929) sans les socialistes, rétablit la confiance et obtient des élections législatives triomphales pour lui en 1928. La loi monétaire du 25 juin 1928 définit le franc à un cinquième de sa valeur de 1914. Abandonné des radicaux, il reforme un cabinet de centre droit qui verra l’élaboration du plan Young et le refus des Américains de lier les dettes de guerres aux réparations. En juillet 1929, malade, Poincaré démissionne et se consacre à la publication de ses souvenirs : Au service de la France.

     
 
1920
 
     

PAUL DESCHANEL

Né à Schaerbeek-lès-Bruselles en 1855 - mort à Paris en 1922

Né à Shaerbeeck, près de Bruxelles, où son père, Émile Deschanel (1819-1904), professeur de littérature et ardent opposant à Napoléon III, vivait en exil, Paul Deschanel, filleul de Victor Hugo, fut élevé à Paris, sa famille ayant pu rentrer en France après l’amnistie de 1859. À l’issue de ses études de lettres et de droit, il devint secrétaire du ministre de l’Intérieur (1876) puis du président du Conseil (1877), ce qui facilita son entrée dans la carrière préfectorale à vingt-deux ans : sous-préfet de Dreux, où il noua d’utiles amitiés politiques, il fut ensuite en poste à Brest et à Meaux.

Élu député républicain d’Eure-et-Loir à partir de 1885, il siégea parmi les modérés, s’opposant aux excès du boulangisme mais combattant également la montée en puissance du radicalisme et du socialisme. Président de la Chambre des députés de 1898 à 1902, puis de 1912 à 1920, il fut préféré à Georges Clemenceau par la majorité du Bloc national, regroupant des modérés et des conservateurs, pour succéder à Raymond Poincaré à l’élection présidentielle de janvier 1920.

Cependant, dès le mois de mai suivant, divers signes, dont une chute de train en pleine nuit, qui fit la joie des chansonniers, révélèrent que le chef de l’État était atteint de troubles mentaux ; de plus en plus manifestes, ceux-ci amenèrent Paul Deschanel à présenter sa démission le 21 septembre 1920. Remplacé deux jours plus tard par Alexandre Millerand, l’ancien président fut élu sénateur d’Eure-et-Loir en 1921, après avoir suivi un traitement dans une maison de santé.

     
 
1920 - 1924
 
     

ALEXANDRE MILLERAND

Né à Paris en 1859 - mort à Versailles en 1943

Avocat à Paris, Millerand collabore au journal La Justice de Georges Clemenceau ; élu député de la Seine en 1885, il évolue rapidement vers le socialisme. Il refuse cependant de s’affilier à l’un des partis se réclamant de lui et anime le groupe des socialistes indépendants. Millerand développe un programme qui va servir de charte au socialisme réformiste, dans son discours de Saint-Mandé (1896), appelant à l’unité de tous les socialistes, il met en avant les trois points suivants : substitution progressive de la propriété sociale à la propriété capitaliste ; conquête des pouvoirs publics par le seul suffrage universel ; nécessité de ne pas sacrifier la patrie à l’internationalisme.
Millerand est le premier socialiste à participer à un ministère bourgeois, celui formé par Waldeck-Rousseau (1899-1901) : ministre du Commerce, de l’Industrie et du Travail, il met en place une Direction du travail et contribue à faire réduire la durée quotidienne de travail. Condamné par la IIe Internationale, dénoncé par l’ensemble du mouvement ouvrier français pour sa politique d’intégration des organisations syndicales, il rompt avec ce dernier.
Ministre des Travaux publics (1909-1910) puis de la Guerre (1912-1913), il est en 1914-1915 le défenseur de l’état-major contre les commissions parlementaires qui voudraient contrôler l’armée. Commissaire général en Alsace-Lorraine (mars-septembre 1919), il s’affirme comme un des chefs de la coalition de droite, le Bloc national. Président du Conseil en 1920, il est, à ce titre, l’artisan de la répression du vaste mouvement de grèves qui secoue le pays et l’initiateur de l’occupation de Francfort (« l’Allemagne doit payer ») et de l’intervention militaire en Pologne contre la Russie des soviets. Élu à la tête de la République en 1920, Millerand tente de rehausser le prestige de la fonction présidentielle, et intervient activement dans la vie politique : en 1922, il renvoie Briand, qui a fait selon lui de trop importantes concessions à l’Angleterre, et soutient Poincaré lors de l’occupation de la Ruhr (1923). Envisageant de proposer une révision de la Constitution, en vue de renforcer les pouvoirs du président, il se heurte au cartel des gauches, sorti victorieux des élections de 1924 et il est contraint de se retirer. Sénateur de 1925 à 1940, il ne jouera plus qu’un rôle effacé.

     
 
1924 - 1931
 
     

GASTON DOUMERGUE

Né à Aigues-Vides (Gard) en 1863 - mort à Aigues-Vives en 1937

Président du Conseil qui tenta vainement de renforcer les prérogatives du gouvernement face aux assemblées parlementaires dans le cadre des institutions de la IIIe République.
Issu d'une famille de propriétaires terriens de confession protestante, Gaston Doumergue fut avocat au barreau de Nîmes, puis magistrat colonial en Indochine et en Algérie (1890-1893). Élu député du Gard en 1893, il siégea à la Chambre dans les rangs du groupe radical. Entre 1902 et 1910, il fut plusieurs fois ministre, successivement des Colonies, du Commerce, puis de l'Instruction publique. Sénateur du Gard à partir de 1910, éphémère président du Conseil et ministre des Affaires étrangères entre décembre 1913 et juin 1914, il retrouva de 1914 à 1917 le portefeuille des Colonies, où il organisa la protection des territoires d'outre-mer et le recrutement des armées indigènes. Président du Sénat en 1923, il fut, après la victoire du Cartel des Gauches, en 1924, et la démission d'Alexandre Millerand, élu président de la République avec le soutien de la droite modéré.
Retiré de la vie politique à l'issue de son mandat en 1931, il fut rappelé à la présidence du Conseil par le président Albert Lebrun après les émeutes du 6 février 1934, qui avaient provoqué la démission de Daladier. Il forma alors un gouvernement d'union nationale pour surmonter la crise politique et financière qui menaçait de se transformer en crise de régime, et s'entoura notamment d'Édouard Herriot, d'André Tardieu, de Louis Barthou et du maréchal Pétain. Désireux de combattre la toute-puissance du Parlement qui paralysait toute initiative gouvernementale, il élabora un projet conférant au gouvernement le droit de dissoudre la Chambre des députés sans l'autorisation du Sénat, et donnant à l'exécutif des pouvoirs plus importants en matière financière. Abandonné par ses ministres radicaux qui l'accusaient de tentations autoritaires, il dut présenter sa démission dès novembre 1934.

     
 
1931 - 1932
 
     

PAUL DOUMER

Né à Aurillace en 1857 - assassiné à Paris en 1932.

Il s'illustra comme gouverneur général de l'Indochine, fut élu président de la République en 1931, et mourut assassiné un an après le début de son mandat.
Né au sein d'un milieu modeste, fils de cheminot, Paul Doumer devint professeur puis journaliste, fut élu député radical de l'Aisne en 1888, puis de l'Yonne en 1890. Ministre des Finances dans le cabinet Léon Bourgeois, il présenta, sans succès, le premier projet d'impôt sur le revenu.
De 1897 à 1902, il occupa le poste de gouverneur général de l'Indochine. Dans le cadre de ses fonctions, où il se signala par la rigueur de sa politique de colonisation, il renforça le système d'administration directe au détriment de l'ancienne classe dirigeante indigène, mit en place un véritable système fiscal et lança une politique de grands travaux. À nouveau député à partir de 1902, élu président de la Chambre en 1905, il se présenta, sans succès, à la présidence de la République en 1906 contre Armand Fallières. Sénateur de la Corse à partir de 1912, il fut appelé au ministère des Finances, en 1921, par le président du Conseil Aristide Briand. Après un second passage aux Finances en 1925, il fut porté à la présidence du Sénat en 1927.
Paul Doumer, modéré, d'un patriotisme intransigeant (il avait perdu quatre fils au combat pendant la Première Guerre mondiale), fut préféré à Briand lors de l'élection présidentielle de 1931. Moins d'un an plus tard, le 6 mai 1932, il fut assassiné par Gorgulov, un Russe blanc souffrant de troubles mentaux, qui l'accusait de collusion avec les communistes. Il eut pour successeur Albert Lebrun.

     
 
1932 - 1940
 
     

ALBERT LEBRUN

Né à Mery-le-Haut (Meurthe-et-Moselle) en 1871 - mort à Paris en 1950

Issu d'une famille de paysans, il fait des études très brillantes qui le conduisent à l'École polytechnique et à l'École des mines, dont il sort à chaque fois major. Ingénieur à Nancy, Albert Lebrun se lance très tôt dans la politique, sur les conseils d'un autre Lorrain, Raymond Poincaré, et devient conseiller général dès 1892, puis en 1900, député de Meurthe-et-Moselle. Modéré, se définissant comme un « républicain de gauche », il défend surtout des positions républicaines avancées, comme en témoigne sa victoire sur l'industriel François de Wendel, lors des législatives de 1906. Il adhère d'ailleurs, en 1910, à l'Alliance démocratique, une formation du centre, dont il sera un des dirigeants après-guerre. Le président du Conseil, Joseph Caillaux, le nomme ministre des Colonies en 1911, poste qu'il occupe sous les ministères Poincaré et Doumergue, jusqu'en 1914, et apparaît comme un défenseur de l'accord signé avec l'Allemagne au lendemain d'Agadir. Mobilisé en 1914, il est appelé par Clemenceau au ministère du Blocus, puis des Régions libérées. Il démissionne cependant en 1919, pour s'être présenté aux élections sur une liste comprenant des adversaires du traité de Versailles. Sénateur à partir de 1920, il devient président du Sénat en 1931, puis est élu le 10 mai 1932 à la présidence de la République, trois jours après l'assassinat de Paul Doumer.
Les fonctions de chef de l'État étant très limitées par la Constitution de la IIIe République, il se cantonne dans un rôle de représentation et d'arbitrage. Ainsi, soucieux de réconciliation nationale, il appelle Doumergue à la présidence du Conseil au lendemain du 6 février 1934. Bien qu'hostile au Front populaire, il demande cependant à Léon Blum de former un ministère. Il est réélu en mai 1939, ce qui constitue un fait unique sous la IIIe République. Sa réélection apparaît due à la fois aux manœuvres de Daladier, ainsi qu'à la volonté d'assurer une continuité républicaine à la tête de l'État, dans une période de guerre. Il n'exerce cependant qu'une très faible influence et fait appel, en juin 1940, à Pétain, qu'il suit à Vichy.
Pressé de démissionner le 7 juillet, il refuse, mais doit s'effacer après le vote des Chambres qui, le 10 juillet 1940, à l'instigation de Pierre Laval, remet par 569 voix contre 80 tous les pouvoirs, y compris les pouvoirs constituants, entre les main du maréchal Pétain.
Arrêté par les autorités allemandes le 27 août 1943, il est déporté quelques mois à Kufstein au Tyrol (1944-1945). Après la Libération, il se tient en marge de la vie politique.

     
     
ETAT FRANCAIS
     
     
 
1940 - 1944
 
     

Maréchal PHILIPPE PETAIN

Né à Cauchy-à-la-Tour le 24 avril 1856 - mort à l'île d'Yeu le 23 juillet 1951.

Maréchal de France et homme politique français ; comptant au nombre des artisans de la victoire française durant la Première Guerre mondiale, il devient, après la défaite de 1940, le chef de l’« État français » de Vichy, à la tête duquel il tente de promouvoir une véritable révolution conservatrice tout en laissant son gouvernement s’enfoncer dans la collaboration avec l’Allemagne. Son destin, qui est associé aux heures de gloire comme aux épisodes les plus sombres de l’histoire du XXe siècle, explique que, près de cinquante ans après sa disparition, son action continue de faire l’objet de vives controverses.
Iissu d’une vieille famille d’agriculteurs, Philippe Pétain, élevé dans un collège religieux à Saint-Omer, marqué comme toute sa génération par la défaite française lors de la guerre de 1870, entre en 1876 à l’école militaire de Saint-Cyr. Sous-lieutenant de chasseurs à pied à sa sortie, en 1878, lieutenant en 1883, il entre en 1888 à l’École supérieure de guerre, dont il sort breveté d’état-major en 1890.
Capitaine la même année, il entre en 1901 comme professeur à l’École de guerre, d’abord en qualité d’adjoint, puis de titulaire, mais voit son avancement retardé en raison de son enseignement, opposé à la doctrine militaire de l’état-major général : contre l’offensive à outrance, Pétain, instruit des leçons de la guerre russo-japonaise, propose en effet de privilégier une position défensive s’appuyant sur la puissance de feu. Son indépendance d’esprit lui vaut de n’être promu colonel qu’en 1910 et, après le commandement du 33e régiment d’infanterie à Arras, il s’apprête à prendre sa retraite comme commandant de la 4e brigade d’infanterie à Saint-Omer, lorsque la Première Guerre mondiale éclate.
Il connaît dès lors une ascension fulgurante ; après sa brillante conduite dans la Meuse, il reçoit ses étoiles de général de brigade dès le 31 août 1914. Général de division en septembre, commandant du 33e corps d’armée en octobre, de la IIe armée en juin 1915, il acquiert la réputation d’un chef soucieux de la vie de ses hommes. Nommé à la tête du front de Verdun en février 1916, il sait faire la preuve de sa ténacité, et gagne la bataille d’usure face au Kronprinz, le fils de l’empereur Guillaume II.
Jouissant d’un immense prestige, devenu l’un des chefs les plus populaires de l’armée française, il est nommé chef d’état-major à la fin du mois d’avril 1917, en remplacement de Nivelle, alors que l’échec de l’offensive du Chemin des Dames et la lassitude des combattants commencent à provoquer une vague de mutineries. Préférant mettre en œuvre des solutions de bon sens plutôt que des mesures répressives, il limite autant que possible le nombre d’exécutions et fait en sorte d’améliorer l’ordinaire du soldat, assouplissant notamment le régime des permissions.
Bien que s’étant vu préférer Foch, qui prône une stratégie offensive, pour mener la dernière contre-offensive qui conduit à la victoire, il est élevé à la dignité de maréchal de France en novembre 1918, et est élu à l’Académie des sciences morales et politiques en 1919.
Vice-président du Conseil supérieur de la guerre à partir de 1920 — fonction qu’il conserve jusqu’en 1931 —, nommé inspecteur général de l’armée en 1922, il est envoyé au Maroc en 1925, pour venir à bout de la révolte nationaliste d’Abd el-Krim, dans le Rif. Élu à l’Académie française en 1929, au fauteuil du maréchal Foch, il est, au début des années trente, le dernier survivant des grands chefs militaires de la guerre de 1914-1918.
Durant cette période, il prend une part déterminante dans la définition de la politique de défense de la France ; favorable à la réduction de la durée du service militaire, ramené à un an en 1928, il encourage la construction de la ligne Maginot, restant fidèle à sa traditionnelle option défensive. Confiant dans les capacités de l’infanterie, peu convaincu du succès de l’emploi de l’aviation et de celui des chars d’assaut, il est amené à s’opposer aux conceptions de l’un de ses anciens subordonnés, qui avait été son protégé dans les années vingt, le colonel de Gaulle.
Abandonnant en 1931 ses fonctions de vice-président du Conseil supérieur de la guerre et son titre d’inspecteur de l’armée au profit de Maxime Weygand, il est nommé inspecteur général de la Défense aérienne du territoire. Appelé au gouvernement après les émeutes du 6 février 1934 par Gaston Doumergue, en qualité de ministre de la Guerre, il cautionne, pour des raisons budgétaires, la réduction des crédits militaires qu’il reprochera plus tard aux gouvernements de Front populaire. Considéré comme une irréprochable caution républicaine par l’ensemble de la classe politique, il accepte, en 1939, le poste d’ambassadeur en Espagne que lui propose le président du Conseil, Édouard Daladier, afin de négocier la neutralité du régime de Franco en cas de guerre, mission dont il s’acquitte avec succès.
Rappelé en France, le 17 mai 1940, pour occuper la fonction de vice-président du Conseil auprès de Paul Reynaud, il appuie la position du général Weygand, qui souhaite mettre fin aux hostilités et réclame un armistice, contre beaucoup d’hommes politiques, dont Édouard Daladier et Georges Mandel, qui prônent la seule capitulation militaire afin de poursuivre le combat depuis l’Afrique du Nord.
Convaincu que la Grande-Bretagne sera rapidement vaincue, peu attaché au régime républicain, dont il considère la défaite comme une conséquence de ses erreurs passées, persuadé, enfin, que cette période troublée ouvre la voie à une régénération morale de la France, Pétain remplace Paul Reynaud, démissionnaire le 16 juin, à la tête du gouvernement, et propose de conclure l’armistice, qui est signé le 22 juin, aux conditions imposées par l’Allemagne.
La convention, prévoyant l’occupation d’une partie de la France par l’armée allemande et des conditions économiques très sévères, traduit le souhait du Reich qu’un gouvernement français continue d’exercer ses prérogatives sur une partie du sol national, afin de laisser l’Allemagne se consacrer à l’attaque contre l’Angleterre. En outre, l’Allemagne n’exige aucune cession de territoires appartenant à l’Empire colonial, ce qui aura ultérieurement une grande importance stratégique.
Dans une France traumatisée par la défaite, Pétain entreprend de mettre en œuvre le projet qu’il mûrit depuis longtemps. Déclarant faire « don à la France de [sa] personne pour atténuer son malheur », il laisse, à Vichy où les Chambres sont repliées, deux de ses ministres — Pierre Laval et Raphaël Allibert — multiplier les pressions sur les parlementaires et préparer la mise à mort de la IIIe République. Le 10 juillet 1940, enfin, le maréchal Pétain reçoit de l’Assemblée nationale, par 569 voix contre 80 et 17 abstentions, « tous pouvoirs [...] à l’effet de promulguer une nouvelle Constitution de l’État français », garantissant « les droits du Travail, de la Famille et de la Patrie » (voir Travail, Famille, Patrie). Le lendemain, les Actes constitutionnels reconnaissent le maréchal Pétain comme chef de l’État français, investi du pouvoir législatif jusqu’à la formation des nouvelles Assemblées, qui n’ont jamais vu le jour.
Profondément conservateur, imprégné de l’image passéiste d’une France paysanne et patriarcale, Pétain rassemble autour de lui, dans le gouvernement de Vichy, des hommes venus de divers horizons (des parlementaires classiques, comme Laval, aux syndicalistes pacifistes, comme René Belin, en passant par des technocrates, tels Yves Bouthillier ou Paul Baudouin), profitant des très larges pouvoirs qui lui sont conférés pour mettre en œuvre la Révolution nationale.
Son immense prestige, son grand âge, le maniement adroit d’une rhétorique culpabilisante (expliquant la défaite par la victoire passée de « l’esprit de jouissance sur l’esprit de sacrifice ») sont mis, grâce à un art consommé de la propagande, au service d’un culte de la personnalité qui, malgré quelques contestations alors marginales, comme celle du général de Gaulle, assurent au vainqueur de Verdun une grande popularité durant les débuts du régime.
Handicapé par son grand âge (certains témoins assureront qu’à la fin le maréchal n’avait plus que quelques heures de lucidité par jour), entouré par un cercle de fidèles (dont le général Laure, le docteur Méténier, le commandant de Gorostarzu) qui entrent fréquemment en conflit avec le gouvernement, le maréchal Pétain, surtout préoccupé par sa volonté de mettre en pratique le programme de la Révolution nationale et par celle d’obtenir la libération des prisonniers de guerre, se laisse convaincre de rencontrer Hitler, à Montoire, le 24 octobre 1940. Si Pétain accepte de prononcer le mot de collaboration, il semble que, à la différence de Hitler, il lui ait donné un sens restreint, concevant cette politique comme un moyen d’éviter à la France le sort des autres pays occupés et de limiter autant que possible les prélèvements économiques qui pèsent lourdement sur la population française.
Décidé à ne pas aller trop loin dans la voie des concessions, il entreprend parallèlement de nouer des contacts avec les États-Unis, par l’entremise de l’amiral Leahy, qui reste ambassadeur à Vichy pendant toute la durée de la guerre. Cette volonté de modération, de plus en plus critiquée par Laval, aboutit d’ailleurs au renvoi de ce dernier, le 13 décembre 1940.
Avec Flandin, remplacé dès février 1941 par Darlan, la Révolution nationale est poursuivie ; déjà marquée par la promulgation du statut des juifs, en octobre 1940, qui anticipe les exigences allemandes (voir lois antisémites), la politique fondamentalement réactionnaire du gouvernement de Vichy prend une nouvelle dimension ; la lutte contre les communistes, l’interdiction de la franc-maçonnerie, la suppression des organisations syndicales remplacées par des corporations, la promulgation d’un statut de la famille coexistent avec des mesures beaucoup plus politiques, comme l’ouverture du procès de Riom, pour juger les anciens dirigeants de la IIIe République, en février 1942.
Marquée par d’incessants atermoiements, cette politique, qui donne aux Allemands le sentiment d’une dangereuse duplicité, n’améliore en rien les rapports avec l’occupant qui, jugeant Pétain trop indocile, lui imposent le retour de Laval au gouvernement, le 18 avril 1942. Privé de la plupart de ses prérogatives, Pétain assiste alors, impuissant, à l’invasion de la zone libre, après le débarquement allié en Afrique du Nord (novembre 1942), suivie, le lendemain, de l’arrestation de Weygand ; il doit ainsi couvrir de son autorité vacillante des actes comme la création de la Milice (30 janvier 1943), alors que Laval le contraint à lui reconnaître la totalité des pouvoirs exécutifs et législatifs (novembre 1942).
Arrêté par les Allemands après le débarquement d’août 1944, tandis que son envoyé, l’amiral Auphan, tente vainement de négocier une passation de pouvoirs avec de Gaulle, Pétain, qui se considère désormais comme un prisonnier de guerre, est contraint de suivre les Allemands dans leur retraite à Sigmaringen, où il se refuse à cautionner les activités de la délégation française mise en place par Fernand de Brinon. Réfugié en Suisse après la chute du IIIe Reich, il se livre aux autorités françaises en avril 1945, alors que son procès s’ouvre à Paris.
Inculpé d’intelligence avec l’ennemi, jugé par la Haute Cour du 23 juillet au 15 août 1945, Pétain, qui ne prononce qu’une courte déclaration, faisant valoir que le pouvoir lui avait été confié légitimement, et qu’il en avait usé comme d’un bouclier pour protéger le peuple français, est condamné à la peine de mort, à l’indignité nationale et à la confiscation de ses biens. Gracié par de Gaulle, il est emprisonné à l’île d’Yeu où il meurt en 1951.

     
     
FRANCE LIBRE
     
     
 
1944 - 1945
 
     

Général CHARLES DE GAULLE

Né à Lille le 23 novembre 1890 - mort à Colombey-les-Deux-Eglises le 9 novembre 1970.

C’est dans le milieu le plus traditionaliste et même le plus conservateur que Charles André Marie Joseph, troisième des cinq enfants d’Henri et de Jeanne de Gaulle, est né.
Du côté paternel, la famille issue de la petite noblesse normande (d’épée) et bourguignonne (de robe) était parisienne depuis plus d’un siècle. Du côté maternel, les Maillot étaient d’assez importants industriels (dentelles et tabac) du Nord, alliés à des familles irlandaise et badoise. De part et d’autre, on vénère le trône, l’autel et la patrie. De part et d’autre aussi, on a beaucoup écrit et publié – surtout la grand-mère de Charles, Joséphine.
Henri de Gaulle, père du futur général, professeur d’école libre, enseignant de vaste culture et de grande distinction, dévot et patriote (mais qui a refusé de se laisser entraîner dans la campagne contre Dreyfus), joue un rôle capital dans la formation de son fils – qu’il confie aux jésuites – et probablement dans sa vocation militaire, déclarée dès la quatorzième année. Admis en octobre 1908 à Saint-Cyr d’où il sort avec le numéro 13, affecté au 33e R.I. d’Arras où il a pour chef le colonel Philippe Pétain. Charles de Gaulle est lieutenant quand éclate la guerre. Il affronte très vite l’épreuve du feu : le 15 août 1914, il est blessé sur la Meuse, à Dinant (Belgique).
De nouveau atteint dix mois plus tard en Champagne, promu capitaine, il est envoyé à Verdun en février 1916 : c’est là qu’il sera le plus grièvement blessé, devant le fort de Douaumont, le 2 mars. Fait prisonnier, il est dirigé tour à tour sur les camps de représailles de Szuchzyn, Ingoldstadt, Rosenberg et Wülzbourg, tentant cinq fois de s’évader et toujours repris, vouant à l’étude ses longs mois de captivité et prononçant de nombreuses conférences devant ses camarades.
Il émerge de la guerre humilié de cette longue inaction et impatient de se « racheter ». Il en trouve l’occasion en Pologne ; menacé par l’Armée rouge, le nouvel État fait appel à des instructeurs français. C’est au retour des quelque vingt mois qu’il passe à l’école militaire de Rambertow puis à l’état-major de Varsovie que le capitaine de Gaulle rencontre et épouse (le 7 avril 1921) Yvonne Vendroux, fille d’industriels de Calais. Il enseigne alors l’histoire à Saint-Cyr, y manifestant des dons éclatants de pédagogue.
Il sera moins heureux à l’École de guerre, où les idées qu’il affiche et ose soutenir face à un corps professoral verrouillé dans l’esprit de conservation lui valent des notes relativement médiocres. Il n’est pas admis dans le premier tiers des candidats où sont recrutés les futurs enseignants de l’école. Confiné dans un emploi médiocre à l’état-major de Mayence, il en est tiré par une décision de son ancien colonel d’Arras devenu le maréchal Pétain, chef alors prestigieux entre tous, qui l’appelle en 1925 à son cabinet comme officier rédacteur, chargé d’écrire une histoire du soldat français. L’avenir du capitaine de Gaulle, dans la mouvance du tout-puissant « patron » de l’armée française, paraît soudain assuré. D’autant que Pétain, affichant avec éclat sa protection, impose au commandant de l’École de guerre d’organiser en 1927 trois conférences de Charles de Gaulle sur la philosophie de la guerre. Mais un différend sépare le maréchal du capitaine à propos de la paternité du texte que de Gaulle a reçu mission d’écrire.
Le maréchal obtient encore un beau commandement pour son « protégé », celui du 19e bataillon de chasseurs à Trèves, mais le charme est rompu : de Gaulle, en disgrâce dans la « maison Pétain », ne peut obtenir la chaire d’enseignement qu’il brigue à l’École de guerre. Faute de quoi il doit partir pour le Liban où il devient de 1929 à 1931 chef des 2e et 3e bureaux de l’état-major – poste d’observation et d’étude où il acquiert une expérience de l’Orient qui ne lui sera pas, dans l’avenir, inutile.
Dès son retour à Paris, il est affecté au secrétariat général de la Défense nationale, où il va pendant près de six ans participer à tous les débats à propos de la refonte de l’armée française, aux côtés des plus grands chefs et des hommes politiques responsables : formation incomparable en vue du rôle politico-stratégique qu’il lui faudra remplir à partir de 1940. Il trouve alors l’occasion de publier ses deux ouvrages les plus célèbres, Le Fil de l’épée, version rénovée de ses conférences de 1927, dans lequel il trace un autoportrait du chef, et Vers l’armée de métier, où il plaide pour la refonte totale de la stratégie française et la création d’unités de « moteurs cuirassés » aptes à la surprise et à la rupture, confiées à 100 000 professionnels.
La campagne qu’il mène, dans la presse et au Parlement (avec l’appui notamment de Paul Reynaud, à droite, et de Philippe Serre, à gauche), ne reste pas sans écho et contribue aux quelques progrès faits de 1933 à 1939 dans l’équipement de l’armée française en blindés, mais aggrave la méfiance qu’il suscite dans les milieux militaires, et fait de lui la cible de campagnes virulentes menées dans l’entourage des trois principaux personnages de l’armée, Pétain, Weygand et Gamelin .
Avocat du « char papier », on lui donne tout de même en 1937 l’occasion de s’affirmer à la tête d’une grande unité de « chars acier », le 507e régiment basé à Metz – où, affublé du sobriquet de « colonel Motor », il réussira encore à s’aliéner un autre chef prestigieux, le général Giraud, gouverneur militaire de la ville, adversaire déterminé de l’emploi autonome des chars tel que le préconise de Gaulle. C’est alors que paraît La France et son armée, où il reprend de larges extraits de l’histoire du « Soldat » écrite en 1925-1927 sous l’égide du maréchal Pétain, ouvrage dont la publication achève d’affirmer sa réputation d’écrivain mais approfondit le différend qui l’oppose au maréchal.
Le 3 septembre 1939, il se retrouve commandant des unités de chars de la Ve armée, en Alsace. C’est de là qu’en janvier 1940 il adresse à 80 personnalités civiles et militaires un mémorandum intitulé L’Avènement de la force mécanique qui est, en pleine guerre, un réquisitoire véhément dressé par un simple colonel contre la stratégie définie par le grand état-major. En un sens, on pourrait dire que le 18 juin 40 est à demi formulé cinq mois avant le désastre.
La percée allemande sur Sedan, le 10 mai 1940, détermine l’état-major à lui confier, alors qu’il n’est toujours que colonel, le commandement de la 4e division cuirassée (en voie de formation). Dès le 17, avec les éléments épars dont il dispose, il décide d’attaquer de flanc les colonnes blindées allemandes qui ont crevé les défenses des Ardennes et de la Meuse et foncent sur Laon. C’est sur l’axe de Montcornet et sur les ponts de la Serre que le colonel de Gaulle affronte et fait plier pour un temps le 19e corps blindé du général Guderian, donnant la preuve que, passant du « char papier » au « char acier », il peut faire, de ses anticipations de 1934, des actions bien réelles, et que le théoricien est apte à se muer en praticien efficace. Devant Abbeville, dix jours plus tard, il réitère cette démonstration d’homme de pensée soumis à l’épreuve du feu.
Le 5 juin, Charles de Gaulle, nommé général à titre temporaire quatre jours plus tôt, est appelé à Paris par Paul Reynaud (président du conseil depuis le 23 mars), qui lui offre le sous-secrétariat à la Défense dans le gouvernement très concentré (12 ministres) dont il garde la direction. De Gaulle, qui vient de vivre la débâcle avec une horreur indignée (« La guerre commence infiniment mal... Ce que j’ai pu faire par la suite, c’est là que je l’ai résolu »), sait que la bataille de France est perdue, et se l’entend confirmer par le général Weygand, le nouveau commandant en chef. Mais il sait aussi que la bataille du monde ne fait que commencer. Et il la livrera désormais non plus comme le meilleur technicien d’une armée en déroute, mais comme membre du gouvernement d’un pays qui a d’autres composantes que la militaire et dispose d’autres espaces que ceux où s’accomplit sa défaite. De ce 5 juin date son entrée dans l’ordre politique, celui de la décision. Deuxième date capitale après celle du mémorandum de janvier.
C’est en tant que membre du gouvernement dont il est, après Reynaud et Mandel, le seul homme debout, qu’il va, de la Seine à la Loire et à la Gironde, suivre le calvaire du pouvoir, faire par deux fois le voyage à Londres pour y réclamer un accroissement de l’aide anglaise, et plaider pour le surprenant projet de fusion des deux empires qu’ont inventé Jean Monnet et Robert Vansittart et que Churchill et Reynaud approuvent. Cependant, le 16 juin, à Bordeaux, le cabinet Reynaud cède la place au gouvernement Pétain-Laval qui ne cache pas son intention de rechercher au plus tôt l’armistice, se prévalant d’une autorisation prétendument accordée par Londres à ses alliés.
Alors le 17, en fin de matinée, Charles de Gaulle, général à titre temporaire, s’envole pour Londres avec l’encouragement de Reynaud et de Mandel, dans l’avion britannique de Sir Edward Spears. Il sait que les ponts sont rompus avec la France officielle et que ce qu’il va déclencher là-bas est une rébellion. Croit-il alors n’agir que comme précurseur, espérant attirer en Grande-Bretagne quelques grands chefs civils et militaires, il se réserve en tout cas le rôle de levain de la pâte.
Le 18 juin 1940, vers 20 heures, devant le micro de la B.B.C., Charles de Gaulle proclame que « la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas » . Tandis que « s’envolent les mots irrévocables », est-il jeté « d’un coup hors de toutes les séries », comme il l’a écrit dans ses mémoires ? Oui et non. Oui, car il assume pleinement et va devoir porter seul, au plus fort de la tempête qui secoue l’Europe et le monde, le poids de la France, « homme au bord de l’océan qu’il prétendait traverser à la nage ».
Non, parce que la dissidence où il entre, il s’y est longtemps préparé, on dirait presque installé. Dressé contre ses instructeurs de l’École supérieure de guerre ; face à Pétain, lui réclamant la paternité d’un texte écrit dans le cadre de ses fonctions d’état-major ; tentant d’imposer aux théoriciens les plus illustres ses vues révolutionnaires sur la stratégie des chars et la professionnalisation de l’armée ; et, en pleine guerre, lançant contre le haut état-major ce brûlot qu’est le « mémorandum » de janvier 1940, il est vraiment un rebelle-né, homme supérieur qui se dit tel et ne s’encombre d’aucune hiérarchie, se croyant assez puissamment accordé à l’intérêt national pour trouver à chacun de ses gestes les justifications d’une mystérieuse légitimité.
De Londres à Paris
Des mois durant, il est Charles-le-Seul, dans ce Londres d’où partent plus d’officiels français qu’il n’y en arrive. La destruction de la flotte française mouillée dans la rade de Mers el-Kébir, le 3 juillet, bien que de Gaulle ait su exprimer dignement « la douleur et la colère » du peuple français, accroît encore les amertumes et les méfiances. Il faudra bâtir la France libre avec des capitaines inconnus et des journalistes aventureux. Il le fait. Dès le 28 juin et plus solennellement le 7 août, Churchill le reconnaît comme « chef des Français libres ».
Mais il lui faut de la terre « française » sous les pieds. Il décide de rallier Dakar, capitale de l’A.O.F. Churchill se prête à l’entreprise et met à sa disposition une petite escadre. Cependant, le 23 septembre, la garnison de Dakar tire sur la flotte franco-britannique. Échec cruel, qui ne ruine pas les relations entre de Gaulle et ses hôtes, mais dissipe le peu de crédit qu’avait à Washington l’homme du 18 juin.
Tout de même l’A.E.F. (Fort-Lamy, Douala et Brazzaville – où de Gaulle crée le Conseil de défense de l’Empire), Tahiti, la Nouvelle-Calédonie et les comptoirs de l’Inde se rallient dès le premier été. S’il est toujours Charles-le-Seul – bien qu’il dispose bientôt d’un état-major politico-militaire brillant : le général Catroux, l’amiral Muselier, René Pleven, le professeur René Cassin, Pierre-Olivier Lapie, Maurice Schumann, Louis Vallon et le capitaine André Dewavrin, dit Passy –, de Gaulle, condamné à mort par le tribunal militaire de Clermont-Ferrand le 2 août 1940, est de moins en moins Charles sans Terre .
Si la maigreur des forces militaires dont il dispose ne lui permet encore de porter à l’ennemi que des coups mineurs (jusqu’à la bataille de Bir-Hakeim, en 1942), le général de Gaulle met le plus clair de son génie à interdire à ses alliés, Anglais et Américains, de traiter la France libre en légion étrangère et de profiter de sa faiblesse pour empiéter sur les intérêts et positions de la France dans le monde.
Les deux manifestations les plus voyantes de cette guerre dans la guerre se situent au printemps 1941 au Levant, en décembre 1941 à Saint-Pierre-et-Miquelon. L’amiral Darlan, chef de gouvernement de Vichy, ayant, après une entrevue avec Hitler, mis les aéroports de Syrie à la disposition de l’aviation nazie, le 10 mai 1941, Catroux, représentant de la France libre au Levant, décide d’agir pour les en chasser en association avec les Britanniques, non sans avoir formulé des promesses d’émancipation politique de la Syrie. Les forces de Vichy battues, Churchill fait rudement savoir que « l’Angleterre ne s’est pas battue en Syrie pour substituer les gaullistes à Vichy » et, par le truchement du même général Spears qui a conduit de Gaulle à Londres le 17 juin 1940, dresse les forces politiques syro-libanaises contre la France libre. Guérilla politique où de Gaulle voit le dessein de Londres d’évincer la France du Proche-Orient, qui dure tout au long de l’année 1942 et renaîtra, aggravée, en juillet 1945, après la victoire.
Le conflit américano-gaulliste à propos des îlots de Saint-Pierre-et Miquelon, aux abords du Canada – où, prétextant des incursions de sous-marins allemands, des forces du Commonwealth et des États-Unis avaient fait mine de s’installer, provoquant le déclenchement d’une expédition conduite par l’amiral Muselier –, envenime violemment les relations entre de Gaulle et Roosevelt au moment même où l’attaque japonaise sur Pearl Harbor comblait les vœux de l’homme du 18 juin en précipitant dans la guerre anti-nazie la plus grande puissance mondiale. Intransigeance abusive ? C’est à ce type d’attitude outrecuidante que de Gaulle dut de rester debout jusqu’à la fin, « trop faible écrit-il, pour s’incliner ».
Avec la résistance intérieure française, ses rapports sont presque aussi compliqués, sinon tendus, qu’avec les grands alliés. « L’armée de la nuit » commence de se rassembler dès la fin de l’été 1940. À la fin de 1941 fonctionnent trois réseaux d’importance nationale : Combat animé par Henri Frenay, Libération dirigé par Emmanuel d’Astier, Franc-Tireur fondé par J. P. Lévy. À l’automne 1941 débarque à Londres Jean Moulin, préfet révoqué par Vichy après avoir été torturé par les occupants, qui vient proposer de représenter de Gaulle sur le territoire national où, depuis le 10 juin 1941, l’entrée en guerre de l’U.R.S.S. a déclenché l’action massive des communistes.
Mais le général, bien que sa radio la glorifie et la serve, se méfie quelque peu de la résistance intérieure , d’abord parce qu’elle tient à exister par elle-même, ensuite parce qu’elle a des liens avec les Anglais d’une part, avec la IIIe internationale de l’autre, enfin parce qu’il pense qu’elle ne se bat pas seulement pour l’indépendance et la grandeur de la France, mais peut-être aussi pour rétablir un régime qu’il estime condamné par le désastre de 1940. Ses rapports avec les émissaires venus de France (à l’exception de Jean Moulin), Christian Pineau, Henri Frenay, Daniel Mayer, sont souvent difficiles. Mais, avant d’être arrêté en juin 1943 par la Gestapo, Jean Moulin aura noué des liens indissolubles entre la Résistance – longtemps réservée à l’égard de quelqu’un que beaucoup d’hommes de gauche taxaient sinon de monarchisme, en tout cas d’autoritarisme. La caution solennelle fournie à de Gaulle par Léon Blum, le leader socialiste emprisonné, contribue à lever ces préventions et à nouer entre l’homme de Londres et les combattants de l’ombre une alliance qui devait jouer un rôle important dans la reconnaissance de la représentativité du général de Gaulle par la coalition antinazie – de Gaulle, Londres, Washington et Moscou.
Le chef de la France libre, impatient de faire entrer d’un coup la collectivité française dans le combat du côté des vainqueurs, avait tenter d’entraîner ses alliés, dès 1942, dans un débarquement en France. Mais les Américains choisirent d’opérer en deux temps, par l’Afrique du Nord. Le 8 novembre 1942, ils y prenaient pied, de Casablanca à Alger, sans en avoir prévenu de Gaulle. Ils se heurtaient à une brève résistance dont, venu pour des raisons fortuites de Vichy à Alger, l’amiral Darlan prenait la tête avant de se rallier au vainqueur. Mais, six semaines plus tard, alors que les Alliés installés en Afrique du Nord avaient lié partie avec lui, le plus proche lieutenant de Pétain était assassiné par des conjurés liés à des milieux monarchistes. S’ouvre alors une course de vitesse entre les gaullistes, qui ont aidé à la victoire des Alliés à Alger, et les partisans du général Giraud, qui s’est évadé de la forteresse où, capturé en mai 1940, il était prisonnier sur parole.
Roosevelt table sur ce partenaire maniable, alors que Churchill – non sans réserve et contre-assurances – fait plutôt le jeu de de Gaulle. Celui-ci devra accepter en mai 1943 de se rendre à l’invitation de ses deux puissants partenaires à Anfa (Casablanca) et de serrer la main de Giraud – le tout aboutissant à une co-présidence du « Comité français de libération nationale », organisme qui, en août, sera reconnu par les Alliés comme seul représentant de la France au combat. Entre-temps, son représentant à Alger, le général Catroux, ayant manœuvré avec une habileté consommée, Charles de Gaulle est devenu le seul président du C.F.L.N. : le naïf Giraud est renvoyé à ses cartes d’état-major.
Le général de Gaulle est d’autant plus maître du jeu, du côté français, qu’à la fin de mai 1943 le Conseil national de la résistance (C.N.R.), rassemblé et présidé par Jean Moulin, l’a reconnu pour chef en vue de la libération du pays. C’est à ce titre qu’il sera reçu en juillet à Washington où Roosevelt, tout irrité qu’il fût par l’intransigeance ombrageuse de l’homme du 18 juin, a fini par convenir qu’il est le seul partenaire valable, après avoir présidé à Brazzaville la conférence où est amorcée – timidement – l’émancipation des colonisés.
Mais, le 6 juin 1944, de Gaulle en ayant été cette fois prévenu, et assez tôt pour s’opposer efficacement aux projets anglo-américains d’instauration d’une « administration alliée » de la France, est déclenché le débarquement en Normandie. Cinq jours plus tard, le général prend pied sur le sol de France à Courseulles, et l’accueil qu’il y reçoit a valeur de plébiscite : les grands partenaires ne discuteront plus sa représentativité. L’influence qu’il exerce sur la conduite des opérations (vers Paris ou vers Strasbourg) ne cesse de croître. Il parvient à imposer en position de pointe la 2e division blindée du général Leclerc, qui sera la première à libérer Paris. Deux ans après Bir-Hakeim, quelle « rentrée de la France dans la guerre » aux côtés des vainqueurs !
Le 26 août 1944, Charles de Gaulle descend les Champs-Élysées, acclamé par un million de Parisiens en fête, au milieu des chefs de la résistance intérieure qui ont survécu à la répression . C’est vraiment le sacre. Mais trois tâches pressantes s’offrent à lui : achever la libération du territoire, qui ne sera accomplie qu’en février 1945 ; assurer la présence de la France, au premier rang, dans les négociations de paix ; ranimer un pays brisé par l’occupation en réunifiant les mouvements de résistance, en appliquant le programme du Conseil national de la résistance et en amorçant la reconstruction.
Dans le gouvernement provisoire qu’il forme le 3 septembre 1944 à Paris, refonte de celui qu’il présidait depuis un an à Alger , de Gaulle fait entrer 6 ministres communistes aux côtés des M.R.P. (catholiques) et des socialistes – formule qu’on appelle alors le « tripartisme ». Tout à ses préoccupations principales qui sont militaires et diplomatiques (sauver l’Alsace de la contre-offensive allemande de novembre 1944, aller signer à Moscou un accord qui assure une contrepartie aux alliances avec Londres et Washington), le général laisse à Paris les partisans d’une économie libérale faire prévaloir leur point de vue sur les plans dirigistes de Pierre Mendès France, qui démissionnera en avril 1945 du ministère de l’Économie, et les communistes imposer à l’« épuration », nécessaire après quatre ans de collaboration avec l’occupant, un caractère d’arbitraire et de revanche peu conforme à la justice.
Le 8 mai 1945, la capitulation du Troisième Reich, dont (Hitler, Goebbels et Himmler exceptés) les chefs passeront en jugement à Nüremberg, se déroule en présence de représentants de la France : de Gaulle paraît avoir atteint l’impossible objectif qu’il s’était fixé en juin 1940 à Londres. Mais trois mois plus tôt, à Yalta (Crimée), les « trois grands » se sont réunis sans lui pour dessiner la carte du monde de demain . Il en éprouve une amertume assez profonde pour refuser ensuite de répondre à l’« invitation » à Alger que lui adresse Roosevelt – qui mourra quelques semaines plus tard. Si vaillamment que Churchill ait défendu à Yalta les intérêts communs franco-britanniques, une voix comme celle de de Gaulle y aura manqué pour tenter de limiter la main-mise de l’U.R.S.S. sur l’Est européen.
Mais Charles de Gaulle, reconnu par la grande majorité des Français pour libérateur du territoire et chef légitime de l’exécutif, va constater qu’une démocratie fondée sur le système des partis (qu’il a contribué à ressusciter, en 1943, prenant position pour la thèse de Jean Moulin qui conseillait cette stratégie contre Henri Frenay et Pierre Brossolette, qui réclamaient la création d’un grand parti de la résistance) ne s’accommode guère de la prééminence du héros. À partir de l’automne 1945, ce ne sont qu’escarmouches à l’Assemblée entre le général et les porte-parole des partis, M.R.P. compris. Après avoir obtenu l’approbation par référendum du projet de constitution qu’il cautionne, puis surmonté une grave crise avec les partis en novembre, le général en vient à se persuader que toute coexistence avec eux est impossible et brusquement, le 20 janvier 1946, il annonce sa décision de se retirer, « le train étant remis sur les rails ». Ce qui est beaucoup dire...
La traversée du désert
Tout le donne à croire : il pensa que son départ provoquerait des remous assez graves pour que les partis affolés ou l’opinion inquiète le rappellent très vite. Mais son attente (dont témoignent plusieurs de ses proches) fut vaine. Dix-huit mois après la libération, Charles de Gaulle se retrouvait presque seul dans une petite résidence de Marly en attendant de remettre en état celle de Colombey, pillée par les occupants.
Mais il ne tient guère en place. Le « régime des partis » qui lui a succédé ne conduit, estime-t-il, qu’à la ruine de la France. Et, dès le mois de juin 1946, il reprend la parole, à Bayeux, pour faire connaître un projet de constitution (très voisin de celui qu’il fera prévaloir en 1958) contre celui, adopté en octobre 1946, qui régira – si l’on peut dire – la IVe République. Et, le 7 avril 1947, contre l’avis d’une forte minorité de ses fidèles, il annonce à Strasbourg la création du Rassemblement du peuple français (R.P.F.).
«  Le R.P.F., c’est le métro » déclarait André Malraux qui en fut l’un des fondateurs et le plus éloquent porte-parole. Mais si le R.P.F. eut de nombreux élus dans les quartiers ouvriers des grandes villes – bon nombre de ses dirigeants comme Vallon, Morandat et Bridier étaient des hommes de gauche – une tendance conservatrice l’emporta assez vite, non du fait du général lui-même ni de ses principaux adjoints – Malraux, Soustelle, Palewski – mais en raison des circonstances et du climat du temps.
Deux crises dominaient la conjoncture : la « guerre froide » et le conflit d’Indochine. Déclenchée vers la fin de l’été 1947, la première empoisonnait la vie publique, faisant régner sur l’Europe un climat de grande peur. Comme Churchill en Angleterre, de Gaulle en vint à assimiler la menace que faisait peser le communisme stalinien sur l’Europe à celle que l’hitlérisme avait mise à exécution dix ans plus tôt. Persuadé comme alors que l’affrontement était inéluctable – quelle qu’en fût la forme – de Gaulle fit du R.P.F. une machine d’autant plus réduite à l’anticommunisme que le P.C.F. professait, à son égard, le sectarisme le plus massif.
Mais, en tant que digue contre le stalinisme, le R.P.F. se vit très vite voler son rôle par les gouvernements de la « troisième force » qui, luttant sur un front contre les gaullistes, se battaient avec plus de résolution encore sur l’autre front contre les communistes. Les grandes grèves insurrectionnelles de l’automne 1947 ne furent pas brisées par le R.P.F., mais par Jules Moch, ministre de l’Intérieur socialiste, après que le socialiste Ramadier eut éliminé du gouvernement les ministres communistes (que de Gaulle y avait fait entrer). Ainsi le R.P.F., figé en esprit dans l’anticommunisme, n’en fut-il qu’un vain porte-parole avant d’être peu à peu divisé et désintégré par les astuces électorales et parlementaires du régime « des partis ».
Après un éclatant début électoral lors des élections municipales de 1947 (38 % des voix), riche d’un million d’adhérents en 1948, il ne cessa ensuite de décliner jusqu’en 1953 – le général proclamant alors que son « effort » n’avait pu « aboutir ».
Commence alors ce que Malraux a appelé « la traversée du désert ». Retiré à Colombey d’où il ne sort que pour venir à Paris, une fois par semaine, recevoir rue de Solférino ses fidèles, des historiens et quelques journalistes, ou pour voyager en Afrique (en 1953) autour du monde (1956) ou au Sahara (1957) ; il écrit ses superbes Mémoires de guerre, un « Commentaire de la guerre des Gaules » écrit par Vercingétorix...
Mais, à partir de la fin de 1957, une sorte de rumeur se développe autour de Colombey. Après celle d’Indochine, la guerre d’Algérie s’est enflée aux dimensions d’un cancer. Les visiteurs de Colombey ou ceux de la rue de Solférino l’interrogent. Le général se contente le plus souvent de riposter que l’impuissance du régime interdit tout projet. Cependant, il lui arrive parfois de laisser entendre que la seule issue en Algérie est dans l’émancipation de ce pays , tout en interdisant qu’on rapporte ce propos.
Au printemps de 1958, les appels qu’on lui lance – jusque dans des milieux politiques qui lui sont peu favorables – se multiplient tandis qu’à partir du mois de mars, une « antenne » algéroise du ministre de la Défense nationale Jacques Chaban-Delmas travaille ouvertement à préparer son retour au pouvoir. Quand éclate le soulèvement d’Alger, le 13 mai 1958, tous les regards se tournent vers lui. Le 15, il se déclare « prêt à assurer les pouvoirs de la République ». Et, quatre jours plus tard, alors que la tension ne cesse de monter, il convoque la presse pour bien marquer que ses intentions sont légalistes : « Ce n’est pas à 67 ans que je vais commencer une carrière de dictateur ! »
Mais, sans les soutenir ni les contrôler, il entre en relation avec les insurgés d’Alger, dont il use comme d’un bélier pour contraindre le Parlement à faire appel à lui, tout en les incitant à la modération pour ne pas risquer de les voir à Paris... Jeu subtil, sur deux plans, où il déploie, sans moyens assurés, une virtuosité sans égale : contacts secrets avec le président du Conseil Pierre Pflimlin et les présidents des deux Assemblées, réception des dirigeants socialistes et d’une délégation des militaires algérois conduite par le général Dulac venu lui apporter les plans de l’opération « Résurrection » – projet qui s’embarrasse assez peu de scrupules légalistes. « Il faut sauver la baraque », jette de Gaulle. Ses visiteurs peuvent-ils en conclure que la fin justifie les moyens, ou que le salut de la « baraque » exclut les méthodes trop violentes ? Ils optent plutôt pour la première hypothèse.
C’est le président de la République, René Coty, qui débloque la situation. Le 29 mai il invite Charles de Gaulle à l’Élysée pour désigner « le plus illustre des Français » comme chef d’un gouvernement qui disposera des pleins pouvoirs pour entamer une révision de la constitution. Le IVe République s’est remise à la merci de son fondateur.
Le 1er et le 2 juin, Charles de Gaulle paraît devant l’Assemblée, exposant ses projets avec une habile courtoisie et obtenant une très large majorité, qui englobe aussi bien des socialistes que le M.R.P. et la droite. Il forme un gouvernement auquel son garde des Sceaux, Michel Debré, confère un caractère de gaullisme militant, mais dont les quatre ministres d’État sont d’anciens présidents du Conseil de la IVe République. Pendant l’été 1958 est rédigée une Constitution que 80 p. 100 des Français approuvent par référendum. Et, en janvier 1959, Charles de Gaulle est élu, par un collège de quatre-vingt mille notables, président de la Ve République.
Le renouveau
Trois tâches s’imposent d’emblée : rebâtir l’État, rétablir la monnaie, et trouver une issue à la guerre d’Algérie. Celle-ci le sollicite d’abord. Dès le 4 juin, il est sur le Forum d’Alger – où a jailli la source de son nouveau pouvoir. A-t-il vraiment un projet algérien ? Ce qui est clair, c’est qu’il a d’abord considéré l’affaire algérienne comme un explosif susceptible de faire sauter les barrages qui faisaient obstacle à son retour au pouvoir et à la restauration de l’État. Ensuite, qu’il n’y a guère d’autres perspectives, dans le monde de la fin des années cinquante, que l’émancipation des colonies sous leurs diverses formes. Mais enfin l’Algérie fait légalement partie de la République, et les hommes qui y détiennent le pouvoir, dotés de moyens militaires considérables et appuyés sur une population très déterminée, se refusent à toute autre solution qu’à son « intégration », c’est-à-dire à une confirmation de son caractère français, les indigènes, traités en « Français à part entière », disposant désormais de tous les droits politiques.
La première préoccupation de de Gaulle est de garder les mains libres vis-à-vis de tous, déclarant aux insurgés de mai « Je vous ai compris ! » non sans saluer le « courage » des combattants des djebels. Il ne peut heurter de front les tenants de l’« Algérie française » qui l’ont ramené au pouvoir mais voit bien que l’« intégration », c’est l’algérianisation rapide de la France . D’un voyage en Algérie à l’autre, il met au point sa stratégie : obtenir la victoire militaire (la France ne saurait être vaincue par des guérilleros) pour faire ensuite la paix sur la base de l’« autodétermination » des Algériens – auxquels il offre, le 16 septembre 1959, le choix entre la sécession qui risquerait d’être le chaos, la « francisation » et l’association, c’est-à-dire « le gouvernement des Algériens par les Algériens, appuyé sur l’aide de la France et en union étroite avec elle ». La réalisation de ce plan n’ira pas sans convulsions : car civils et militaires d’Alger voient dans ce processus une liquidation de l’« Algérie française » pour le maintien de laquelle ils se sont soulevés en 1958 et ont fait appel à de Gaulle.
Le 18 janvier 1960, puis le 22 avril 1961, Alger s’insurge, d’abord dans le style populaire, en dressant des barricades, puis dans le style militaire du « putsch », en opposant à de Gaulle un « quarteron » de généraux en retraite soutenus (ou manipulés) par l’« O.A.S. » (Organisation armée secrète). Chaque fois, le président de la République, revêtu de son uniforme, paraît à la télévision et en quelques phrases foudroie les insurgés avec une autorité saisissante. Les pourparlers avec le F.L.N. algérien, ouverts en 1961 à Évian, aboutiront aux accords du 18 mars 1962, qui reconnaissent aux Algériens le droit à l’autodétermination – et à la minorité européenne la possibilité théorique de poursuivre ses activités dans le nouvel État. Mais la campagne terroriste déclenchée par l’O.A.S. ayant ruiné les quelques chances de coexistence, les accords d’Évian font vite figure de procédure de liquidation des positions et intérêts français en Algérie, à ceci près que pendant plusieurs années encore le pétrole algérien demeure payable en francs, et que les espaces sahariens restent disponibles pour les essais nucléaires français. De Gaulle a obtenu ce qu’il souhaitait : l’indépendance de la France par rapport à l’Algérie. C’est à un pays délivré de ce « fardeau » et libre de ses actes qu’il va pouvoir rendre son « rang » dans le monde.
La politique étrangère du général de Gaulle est fondée sur trois idées-force : les relations entre États, alliés ou non, ne sont fondées que sur les rapports de force ; les idéologies ne comptent guère, mais seulement les nations ; et la France doit être au premier rang, dans l’intérêt de tous.
Lui qui a osé, pour ce faire, arracher la France à son espace algérien, non sans douleur ni risque, aura moins de mal à détacher Paris de l’« organisation intégrée » du pacte Atlantique, c’est-à-dire des organismes permanents de l’alliance. La France reste membre de la coalition, mais elle n’est plus une pièce de l’échiquier. Elle saura être aux côtés de ses alliés dans les moments difficiles (lors de la crise de Cuba, en avril 1961) mais refuse désormais de se plier aux automatismes de la stratégie occidentale – c’est-à-dire américaine.
Non content de « reprendre ses billes », de Gaulle tente aussi de s’immiscer dans le directoire le plus fermé, celui que forment les deux puissances anglo-saxonnes, pour constituer un « directoire atlantique » à trois. Rebuté, il décide de faire d’une étroite alliance franco-allemande la colonne vertébrale de l’Occident européen. Le chancelier Adenauer, d’abord séduit par l’homme et par les idées, vira de bord en 1960 dès qu’il comprit que, dans l’esprit de de Gaulle, cet accouplement n’allait pas sans prise de distance par rapport aux États-Unis.
Ne cessant jamais de considérer l’U.R.S.S. comme l’avatar moderne de la Russie – c’est toujours ce vocable qu’il emploie – le général de Gaulle n’a jamais oublié ses relations de guerre avec Moscou ni le pacte signé en décembre 1944 avec Staline. Il reste marqué par une constante de la diplomatie française, celle de la contre-assurance de l’Est, hier contre les Germains, aujourd’hui pour faire équilibre à l’hégémonie américaine. Le développement de sa diplomatie vers l’Union soviétique, essentiel dans son jeu et qui aura contribué à la détente Est-Ouest des années soixante, n’en est pas moins limité par la conviction que les États « satellites » de l’Est européen ont vocation à s’émanciper de la tutelle de Moscou : mais son voyage à Varsovie, en août 1967, bute sur le refus de Gomulka de prendre ses distances par rapport au grand voisin de l’Est ; sa visite en Roumanie, en mai 1968, coïncide fâcheusement avec les troubles étudiants ; et lorsque l’Union soviétique envahit la Tchécoslovaquie, trois mois plus tard, c’est un point final qui se trouve mis à cette paradoxale tentative d’entente avec une super-puissance qu’on essaie simultanément de priver de son glacis stratégique.
Si bien que c’est du côté du Tiers Monde que la diplomatie du général de Gaulle se sera déployée avec le plus d’éclat, à partir de la décolonisation formelle de l’Afrique noire (1960) et de la reconnaissance de l’indépendance de l’Algérie (1962) . Trois initiatives marquent avant tout cette stratégie : la reconnaissance de la Chine populaire en 1964, le défi lancé de Phnom Penh, en 1966 à la politique indochinoise des Américains, le soutien apporté aux thèses arabes après la victoire israélienne de juin 1967. À partir de ces trois initiatives – dont on peut rapprocher le « Vive le Québec libre ! » de juillet 1967 – le général de Gaulle fait figure, auprès des peuples « émergeant » à l’histoire du XXe siècle – malgré les péripéties encore récentes de la guerre d’Algérie et les positions françaises en Afrique, en Océanie et dans les Caraïbes – de libérateur.
Mais cette action internationale ingénieuse et audacieuse, Charles de Gaulle n’aurait pu la mener s’il n’avait assuré à la nation ces structures solides longtemps méditées dans sa retraite, et qui tendent, non seulement à assurer l’indépendance de l’exécutif par rapport au législatif, grâce à l’invention du « domaine réservé », mais aussi à lui donner une véritable hégémonie par l’élection du chef de l’État au suffrage universel direct. La Constitution de 1958, qui prévoyait le choix du président par un vaste conseil de notables élus, fut révisée à cet effet en 1962 à l’initiative de son créateur, contre l’avis de nombre de ses fidèles. L’élection du président au suffrage universel, accentuant le caractère spectaculaire et monarchique du système et approfondissant les clivages entre les grands courants d’opinion, fit passer le régime du parlementarisme musclé au présidentialisme septennal – menacé par l’excessive durée de ce mandat souverain.
Sept ans renouvelables ? Réélu en décembre 1965, Charles de Gaulle voyait s’ouvrir devant lui un mandat qui, à lui comme aux autres, paraissait long. Comment pourraient jouer le pluralisme et l’alternance, ces règles d’or de la démocratie ? C’est en grande partie parce que les articulations du système parurent alors raidies, parce que le jeu des institutions sembla bloqué, qu’un mouvement d’un profond intérêt pour le sociologue mais d’une importance politique mineure, la révolte étudiante de mai 1968, faillit le conduire à l’abîme .
Près d’un mois durant, du 3 au 30 mai, la biographie du général de Gaulle perd toute crédibilité. Lui d’ordinaire si ferme dans l’extraordinaire, si lucide dans le péril, on le voit errant, hésitant, passant de la brutalité au désarroi, de la tentation du renoncement au vertige de la pire répression, évasif et désorienté, grommelant et intempestif, se contentant de qualifier la situation d’« insaisissable » et de critiquer la plupart des tentatives de ses collaborateurs – à commencer par celles du Premier ministre Georges Pompidou – pour revenir à l’ordre sans faire couler le sang. Le tout couronné par une rocambolesque et pathétique « fausse sortie » en terre étrangère (à Baden-Baden) et, au retour, le lendemain, par un discours-appel radiophonique qui, en vingt phrases, corrige un mois de cafouillages.
Mais il a senti passer le vent du boulet, et se sent désormais en sursis. Neuf mois encore, marqués par l’invasion de la Tchécoslovaquie et par une brutale crise financière en novembre. De Gaulle n’est pas homme à se survivre ainsi. Le pouvoir que lui a rendu le talent de son Premier ministre, il lui faut en vérifier la légitimité personnelle, ou l’abandonner : c’est le référendum du 27 avril 1969, dont le vieux chef aurait peut-être pu faire encore une victoire si les Français n’avaient eu à répondre à une question trop alambiquée, où se mêlaient l’avenir de la régionalisation et celui du Sénat, pour n’avoir pas découragé les bonnes volontés. D’où l’idée du « suicide » qui fut formulée par certains – dont Malraux.
Le 27 avril 1969, peu avant minuit, un communiqué était diffusé par l’hôte de l’Élysée : « Je cesse d’exercer mes fonctions de président de la République. » Et voici Charles de Gaulle, à 78 ans, de retour à Colombey, où il écrit ses Mémoires d’espoir qui resteront inachevés. Il voyage ; c’est en Irlande qu’il se retire quand, en juin 1969, son « dauphin » Georges Pompidou affronte le suffrage universel : on le voit au mois de juin suivant en Espagne, où il rend visite à Franco, et il prépare une visite en Chine.
Mais, à l’approche de ses 80 ans, il veille surtout à mettre ses affaires en ordre, à relire les chapitres achevés de ses Mémoires, à en rédiger d’autres. Le 9 novembre 1970, vers 19 heures, alors qu’il vient de s’asseoir pour faire une « réussite », il est frappé d’une rupture d’anévrisme et s’effondre, foudroyé en quelques secondes.
Son testament, rédigé en 1952, précise qu’aucun hommage public ne sera rendu à sa dépouille, sauf par ses Compagnons, membres de l’Ordre de la Libération, et les villageois de Colombey. Ainsi fut fait, tandis qu’une cérémonie parallèle se déroulait à Notre-Dame, rassemblant quatre-vingts chefs d’État.
Vingt ans plus tard, en 1990, le centenaire de la naissance du général – qui était aussi le cinquantenaire de l’appel du 18 juin – était célébré avec solennité, témoignant de l’ampleur d’une gloire de moins en moins contestée, et reconnue par beaucoup de ceux qui, longtemps opposés à certaines des orientations du fondateur de la 5e République ou des procédures auxquelles il eut recours, mesurent mieux aujourd’hui la dimension du personnage, dans une perspective historique.

     
     
GOUVERNEMENT PROVISOIRE
     
     
  1945 -1946  
     
 

Général CHARLES DE GAULLE

 
     
     
IVème REPUBLIQUE
     
     

La loi du 2 novembre 1945 donne pouvoir à une Assemblée constituante pour élaborer une nouvelle Constitution.

Celle-ci est adoptée le 27 octobre 1947.

Le président est élu pour sept ans par les deux chambres (Parlement et Conseil de la République) réunies à Versailles

     
     
 
1946
 
     

FELIX GOUIN

Né à Paypin (Bouches-du-Rhône) le 14 octobre 1884 - mort à Nice le 25 octobre 1977

Fils d’instituteur, Félix Gouin, après des études au lycée de Marseille et à la faculté de droit d’Aix, s’inscrit au barreau de Marseille en 1907 et y fait toute sa carrière d’avocat, plaidant pour les syndicats ouvriers avant de mêler le civil et les procès d’affaires. Dès 1902, il est militant socialiste et s’impose parmi les nouveaux dirigeants de la fédération des Bouches-du-Rhône. À une élection partielle de novembre 1911, il conquiert de haute lutte un siège de conseiller général à Istres, dont sa famille est originaire, et le conservera jusqu’en 1958, devenant un homme clé de l’assemblée départementale. Engagé volontaire en 1914, il fait toute la guerre au front. Candidat malheureux en 1914 et en 1919, il prend sa revanche en devenant maire d’Istres en 1923 puis député de la circonscription d’Aix sur la liste du Cartel en 1924. Il conservera tous ces mandats jusqu’en 1958, efficace (on lui doit l’acquisition des œuvres de Cézanne au musée d’Aix) et affable, enracinant un socialisme méridional fait d’action municipale et d’animation d’un subtil réseau d’influence. Cet homme fidèle à son département natal n’acquiert une modeste notoriété qu’en mars 1938 quand il devient président adjoint du groupe socialiste à la Chambre et collaborateur direct de Léon Blum. Ce promunichois refuse pourtant tout défaitisme, et ses fidélités républicaines en font un des quatre-vingts parlementaires qui refusent les pleins pouvoirs au maréchal Pétain le 10 juillet 1940. Avec ses amitiés et le courage de son hospitalité, il joue bien vite un rôle essentiel dans la difficile reconstruction d’une S.F.I.O. clandestine et favorise les contacts avec les autres groupes de Résistance. En février-avril 1942, il est un des trois avocats de Blum devant la cour de Riom, intervenant peu mais assurant une large publicité des audiences auprès des résistants. Sur ordre de Blum, en accord avec Daniel Mayer, il part pour Londres en mai 1942. Il y parvient en août, après un dur séjour dans le camp espagnol de Miranda.
Représentant de la S.F.I.O. auprès de De Gaulle avec André Philip, mais moins gaulliste que lui (son rapport à Léon Blum, d’octobre 1942, est un modèle de compréhension sans complaisance de la grandeur du gaullisme de guerre), il y préside la Commission de réforme de l’État, sans toutefois devenir ministre. À partir du mois de juin 1943, il prépare à Alger l’installation de l’Assemblée consultative provisoire dont il devient le président en novembre, puis en mai 1944.
Avec la Libération, sa carrière prend une dimension nationale. Il se réinstalle dans son département ; l’Assemblée transportée à Paris le maintient à son fauteuil présidentiel ; la première Constituante lui délègue de nouveau cette importante fonction de conciliation et d’arbitrage le 8 novembre 1945. Après la brutale démission du général de Gaulle, l’imprévu survient : Félix Gouin accède aux rudes fonctions de président du Gouvernement provisoire le 23 janvier 1946. Ce vieux parlementaire, qui n’a jamais été ministre et qui ne dissimule pas sa connaissance médiocre de l’administration, est certes un docile instrument qui suit les injonctions des partis, mais il sait néanmoins mettre en œuvre des qualités de décision et une belle lucidité sur les problèmes économiques, financiers et coloniaux qui assaillent alors le pays. Arbitre conciliant des habiletés tactiques du tripartisme, il ne parvient pourtant pas à freiner la politisation de l’administration, à régler l’angoissant problème du ravitaillement, ni même à enrayer par quelques réussites éclatantes de son gouvernement le lent déclin qu’amorce alors son parti. Démissionnaire le 11 juin 1946 après l’élection de la IIe Constituante, il est jusqu’en octobre 1947 vice-président du Conseil du cabinet Bidault, puis ministre d’État chargé du Commissariat au plan dans le cabinet de Léon Blum.
Alors que s’installe cette IVe République qu’il avait tant contribué à faire naître, sa carrière est stoppée par le « scandale des vins », révélé avec quelque tapage par Yves Farge, ministre du Ravitaillement du cabinet Bidault, à partir de juillet 1946. Vivement pris à partie dans la presse, mal soutenu par certains communistes qui pressentent l’agonie du tripartisme et les débuts de la guerre froide, il est personnellement mis hors de cause par une commission d’enquête parlementaire en mars 1950 et obtient satisfaction devant les tribunaux : Farge est condamné en mars 1953 pour diffamation. Mais cette vigoureuse défense ne leva pas tous les soupçons (y compris parmi les socialistes) sur quelques-uns de ses anciens collaborateurs et leurs amis trop liés au négoce marseillais des vins. En fait, derrière « l’affaire Gouin », c’est l’incapacité d’une S.F.I.O. affaiblie à régenter harmonieusement une vie politique difficile qui apparaît soudain aux yeux de l’opinion.
Membre de la délégation française qui doit plaider le dossier de l’expédition de Suez devant l’O.N.U. en novembre 1956, Félix Gouin cesse toute activité politique en 1958, après avoir vigoureusement et vainement bataillé dans son parti pour le non à la Ve République . Il s’isole, avec quelque amertume peut-être, dans sa retraite de Nice où il reste jusqu’à sa mort. Ce méridional toujours jeune, cet homme affable et lucide sut défendre quand il le fallait quelques principes intangibles de liberté et de justice.
Avec son mélange de qualités constantes et de faiblesses passagères, cet enfant de la famille socialiste porté au sommet des honneurs est assez bien représentatif de l’homme politique type de la IVe République, vaincu mais ayant assumé avec courage les contradictions et les grandeurs d’une période difficile de notre histoire.

     
 
1946
 
     
GEORGES BIDAULT

Né à Moulins le 5 octobre 1899 - mort à Cambo-les-Bains le 27 janvier 1983

Agrégé d’histoire, membre du Parti démocrate populaire, il est rédacteur en chef du journal catholique l’Aube avant la Seconde Guerre mondiale, et est un adversaire résolu des accords de Munich. Après avoir rejoint l’armée française lors de la déclaration de guerre en 1939, il est fait prisonnier par les Allemands. Libéré en 1941, il rejoint le mouvement Combat et obtient la responsabilité du Bureau d’information et de presse au sein du Conseil national de la Résistance (CNR), organisme nouvellement créé qui unifie, sous l’autorité de Jean Moulin, l’ensemble des mouvements de Résistance. Au lendemain de l’arrestation de Jean Moulin, Bidault est nommé président du CNR (1943), fonction qui réclame une grande souplesse de la part de celui qui en est investi et qui nécessite d’entretenir de bonnes relations avec l’ensemble des courants représentés au Conseil, notamment avec les communistes et les démocrates-chrétiens.
À partir de la Libération, fort de l’appui du Mouvement républicain populaire (MRP), parti démocrate-chrétien qu’il fonde en novembre 1944 avec Maurice Schumann et Francisque Gay, Georges Bidault, constamment élu à l’Assemblée nationale, est l’un des hommes clefs de la IVe République. Le rôle charnière joué par son mouvement dans la constitution des majorités gouvernementales lui permet d’être nommé successivement ministre des Affaires étrangères (1944), président du gouvernement provisoire (1946), président du Conseil (1949-1950), vice-président du Conseil et ministre de la Défense (1951-1952), avant de retrouver le poste de ministre des Affaires étrangères (1953-1954). À ces différents postes, il exerce une influence déterminante sur la politique extérieure et coloniale de la France. D’abord opposé à la réunification de l’Allemagne, il contribue à jeter les bases de la construction européenne, tout en se montrant favorable à la relation avec les États-Unis dans le cadre de l’Alliance atlantique. Partisan du maintien de la présence française en Algérie, il s’oppose au général de Gaulle, préside le bureau exécutif provisoire du Rassemblement pour l’Algérie française, et se rallie à l’Organisation armée secrète (OAS), base armée des adversaires de la décolonisation de l’Algérie. La défaite des partisans de l’Algérie française le conduit à l’exil en 1962, d’abord au Brésil puis en Belgique, avant de rentrer en France en 1968.

     
 
1947 - 1953
 
     

VINCENT AURIOL

Né à Revel (Haute-Garonne) le 28 août 1884 - mort à Paris le 1er janvier 1966.

Fils d’un boulanger, il devient avocat et s’engage très tôt dans les rangs de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) dont il devient le responsable financier. Élu député de Muret (Haute-Garonne) en 1914, et réélu en 1918, il choisit de rester à la SFIO après le congrès de Tours (décembre 1920). Ministre des Finances dans le gouvernement de Front populaire formé par Léon Blum (juin 1936-juin 1937), puis ministre de la Justice dans le gouvernement de Camille Chautemps (juin 1937-mars 1938), il ne vote pas le 10 juillet 1940, avec soixante-dix neuf autres parlementaires, les pleins pouvoirs à Pétain. Dès l’armistice de 1940, il entre dans la Résistance et rallie le général de Gaulle en Angleterre en 1943.
É lu président des deux Assemblées constituantes en 1945-1946, il est élu président de la République le 16 janvier 1947, l’emportant sur ses concurrents grâce au soutien des voix communistes. Se posant en garant des institutions, il joue un rôle politique non négligeable malgré le peu de poids que la Constitution donne à sa fonction. Il tente ainsi de renforcer le régime, face à l’hostilité des communistes et des gaullistes, en encourageant l’émergence de la Troisième Force, rassemblant les radicaux, les socialistes et le Mouvement républicain populaire (MRP).
À l’issue de son mandat en janvier 1954, il ne représente pas sa candidature à la présidence de la République et se retire successivement des différentes instances politiques auxquelles il appartenait. En 1960, il démissionne du Conseil constitutionnel, dont il était membre de droit depuis sa création en 1958, pour protester contre la politique constitutionnelle du général de Gaulle. Il a laissé un Journal du septennat (1947-1954).

     
 
1953 - 1958
 
     

RENE COTY

Né au Havre le 20 mars 1882 - mort au havre le 22 novembre 1962.

René Coty poursuit des études de droit, s'inscrit au barreau en 1902 et entre peu après en politique. Après la guerre qu’il fait comme engagé volontaire dans une unité combattante, ce qui lui vaut la croix de guerre, il est élu député républicain de gauche de la Seine-Inférieure (1923-1935) puis sénateur (1935-1940). Il déploie alors une intense activité législative et prend part à la commission de Réforme de l'État en février 1934. Face à l'instabilité ministérielle des années trente, il s'oppose à ceux qui prônent un renforcement du pouvoir exécutif et se montre partisan d'une réforme de l'action parlementaire allant dans le sens d'une simplification des procédures, pour une meilleure efficacité. Après l'armistice de 1940, il vote les pleins pouvoirs à Pétain. Au lendemain de la guerre, il préside le groupe des Indépendants à l'Assemblée nationale (1946) puis est nommé ministre de la Reconstruction et de l'Urbanisme (1947-1948).
Nommé vice-président du Conseil de la République (1948), il est élu président de la République par le Congrès, au treizième tour de scrutin, comme successeur de Vincent Auriol (23 décembre 1953). Le fait qu'il n'ait pas pris part l'année précédente à la querelle sur la Communauté européenne de défense (CED) est pour une bonne part la cause du ralliement de nombreux députés à sa candidature. Prenant ses fonctions en janvier 1954, il bénéficie rapidement d'une large popularité en raison de son souci d'être le gardien scrupuleux de la Constitution de la IVe République. Il cherche à limiter l'instabilité du régime, mais son mandat est troublé par la fin de la guerre d'Indochine et le durcissement de la crise algérienne. Pendant la crise du 13 mai 1958, il fait appel au général de Gaulle pour « redresser la situation ». Il abandonne ses fonctions présidentielles le 8 janvier 1959 après la mise en place des institutions de la Ve République et entre alors au Conseil constitutionnel.

     
     
Vème REPUBLIQUE
     
     

Les événements d'Algérie contraignent le Président Coty à faire appel au Général de Gaulle.

Le 4 juin 1958, il forme un gouvernement qui élabore une nouvelle constitution. Approuvée par le peuple lors du référendum du 28 septembre 1958, celle-ci entre en vigueur le 4 octobre 1958.

Le chef d'Etat (président de la République) est élu au suffrage universel pour une durée de 7 ans renouvelable.

Un vote du 29 juin 2000 par l'Assemblée Nationale, ratifié par le Sénat le jour même et soumis à référendum le 24 septembre 2000, porte cette durée à 5 ans.

     
 
1958 - 1969
 
     

Général CHARLES DE GAULLE

     
 
1969
 
     

ALAIN POHER

Né à Ablon-sur-Seine le 17 avril 1909 - mort à Ablon-sur-Seine le 9 décembre 1996

Alain Poher a présidé le Sénat pendant vingt-quatre ans. C’est à ce titre, comme deuxième personnage de l’État, qu’il a assumé par deux fois l’intérim de la présidence de la République, en 1969 et en 1974. « Mes cent jours », ironisait-il volontiers sur ce double séjour à l’Élysée qui le fit connaître des Français.
Ces deux intérims se sont cependant déroulés dans des circonstances bien différentes. Le 28 avril 1969, Charles de Gaulle quitte l’Élysée après avoir perdu un référendum qui portait notamment sur une réforme du Sénat. Alain Poher s’était opposé à ce projet qui aurait considérablement réduit les pouvoirs de la seconde chambre et son mode de représentation. Aussi, c’est presque naturellement que ses amis centristes le poussent à se présenter à l’élection présidentielle. Il hésite et attend le dernier moment. Lâché par une partie de la droite non gaulliste (les giscardiens et certains centristes, qui rallient Georges Pompidou), il mène une campagne discrète, sans grand meeting et sans déplacement en province. Avec 23,3 p. 100 des voix, il se qualifie pour le second tour. Mais la gauche communiste le renvoie dos à dos avec Pompidou (c’est le fameux « blanc bonnet et bonnet blanc » de Jacques Duclos), et il est sévèrement battu par ce dernier, n’obtenant que 41,8 % des suffrages.
En avril 1974, lorsque meurt Georges Pompidou, Alain Poher reprend le chemin de l’Élysée, mais pour y jouer cette fois-ci un rôle d’arbitre. Il refuse même de se prononcer pour un candidat. Il veille au contraire à ce que l’élection se déroule dans les meilleures conditions possibles, notamment outre-mer, et, après la victoire de Valéry Giscard d’Estaing, il reçoit son adversaire malheureux, François Mitterrand, pour discuter avec lui d’un statut de l’opposition.
Avant d’accéder à la présidence du Sénat, en octobre 1968, Alain Poher avait déjà conduit une carrière politique bien remplie, et marquée du sceau de l’Europe. Pourtant, rien ne prédisposait aux plus hautes charges de la république cet ingénieur civil des mines, né en 1909 à Ablon-sur-Seine (Seine-et-Oise) dans un famille d’origine bretonne. La guerre le trouve rédacteur de troisième classe au ministère des Finances. Il aurait pu accomplir une modeste carrière de fonctionnaire, malgré sa participation à la Résistance (réseau Libération-Nord), sans la rencontre de Robert Schuman, qui fait de lui son chef de cabinet rue de Rivoli (1946), puis l’incite à se présenter au Sénat (alors Conseil de la République). Alain Poher est élu en 1946 sénateur M.R.P. de la Seine-et-Oise, un an après avoir conquis – et pour longtemps (1945-1983) – la mairie de sa ville natale. Battu en 1948, réélu en 1952, il restera sénateur, d’abord de la Seine-et-Oise puis, à partir de 1968, du Val-de-Marne, jusqu’en 1995.
Il entame parallèlement une carrière ministérielle. Rapporteur général du Budget au Conseil de la République de 1946 à 1948, il est nommé secrétaire d’État aux Finances dans les gouvernements Schuman et Queuille (1948). Un bref passage comme secrétaire d’État aux forces maritimes dans le gouvernement Gaillard (1957-1958) interrompra sa présidence presque continue du groupe M.R.P. au Sénat de 1954 à 1960.
Sa défaite électorale lui a ouvert la voie d’un beau parcours européen. Il est nommé en 1948 commissaire général aux affaires allemandes et autrichiennes (poste où il succède à Michel Debré), puis délégué de la France à l’Autorité internationale de la Ruhr (1950-1952) et président de la commission du Marché commun, alors en gestation, de 1955 à 1957. La consécration vient en 1966, lorsqu’il est élu – pour trois ans – président du Parlement européen. C’est au cours de cette période qu’il se retrouve, à la surprise générale, président du Sénat.
La majorité antigaulliste du palais du Luxembourg ne parvenait pas à s’entendre sur le nom du successeur de Gaston Monnerville. Au troisième tour, alors qu’Alain Poher s’apprêtait à regagner Strasbourg, les socialistes, les radicaux et les centristes s’accordent sur sa personne, et il est élu. Il sera réélu sept fois.
Après l’épisode du référendum de 1969, les relations s’apaisent entre l’exécutif et le Sénat, dont Alain Poher veut faire « un rempart contre l’aventure, sans pour autant apparaître comme un obstacle à l’évolution nécessaire », ainsi qu’il le déclare en 1975 lors du centenaire de la Haute Assemblée. Fort de ce double principe, il défère en 1971 au Conseil constitutionnel un projet de loi sur les associations qui lui paraît attentatoire aux libertés. Les « neuf sages » lui donnent raison.
C’est à partir de 1981 que le Sénat va avoir l’occasion de s’affirmer sous son impulsion. La droite, qui s’y trouve majoritaire, s’oppose à la plupart des textes de la gauche. La bataille atteint son point culminant lors de la « guerre scolaire » de 1984, lorsque François Mitterrand propose un référendum sur l’élargissement du champ du référendum, que le Sénat fera échouer.
En 1989, âgé de quatre-vingts ans, Alain Poher se représente, contre les souhaits de ses amis centristes et U.D.F. qui veulent le voir passer la main. Il est néanmoins réélu grâce au soutien de Charles Pasqua et du groupe R.P.R. Ce dernier mandat se déroulera dans une atmosphère de fin de règne, où le président, malade, ne pèse plus guère pour faire évoluer le Sénat.

     
 
1969 - 1974
 
     

GEORGES POMPIDOU

Né à Montboudif (Cantal) le 5 juillet 1911 - mort à Paris le 2 avril 1974. Georges Pompidou fréquente les lycées d’Albi et de Toulouse puis, à Paris, le lycée Louis-le-Grand et l’École normale supérieure. Agrégé de lettres, diplômé de l’École libre des sciences politiques, il est professeur, de 1935 à 1944, à Marseille puis à Paris. Il commence sa carrière politique en 1944 comme chargé de mission au cabinet du général de Gaulle. Lorsque ce dernier quitte le pouvoir, Pompidou est adjoint général au Tourisme (1946-1948) et maître des requêtes au Conseil d’État (1946-1954).
De 1956 à 1962, les frères Rothschild s’attachent ses services comme administrateur de nombreuses sociétés du groupe et comme directeur général. Pompidou interrompt ces activités du 1er juin 1958 au 7 janvier 1959 pour être directeur du cabinet du général de Gaulle ; il revient ensuite chez les Rothschild. À la même époque, il devient membre du Conseil constitutionnel (1959) et accomplit en 1961 une importante mission de négociation avec le chef du F.L.N. en Suisse.
Le 16 avril 1962, de Gaulle en fait son Premier ministre en remplacement de Michel Debré. Démissionnaire le 5 octobre suivant après un vote de censure de l’Assemblée nationale, il est néanmoins nommé de nouveau Premier ministre par le président de la République le 28 novembre 1962 en même temps que chef de la majorité ; il le restera jusqu’au 10 juillet 1968, quand, à la suite des événements de mai et juin, il sera remplacé par Maurice Couve de Murville et placé « en réserve de la République » .
Il se consacre alors à ses tâches plus modestes d’élu local dans son département natal : conseiller municipal de Cajarc (1965-1969), député Ve République (mars-mai 1967), puis U.D.R. (juin 1968-juin 1969) de la circonscription Saint-Flour-Mauriac.
Après la démission du général de Gaulle (référendum du 27 avril 1969 sur le Sénat et les régions), le bureau politique de l’U.D.R. approuve la candidature de Georges Pompidou à la présidence de la République. Il est élu le 15 juin, au deuxième tour de scrutin, avec 11 064 371 voix (58,21 % des suffrages exprimés) contre 7 943 118 voix à Alain Poher, président du Sénat. En tant que « dauphin » du général de Gaulle, Georges Pompidou s’efforce de sauvegarder l’héritage du gaullisme. Il se veut un homme de « continuité » et d’ouverture, tout en soulignant son rôle prééminent en tant qu’élu du peuple tout entier. Il s’emploie en particulier à préserver la cohésion des partis de la majorité gouvernementale, poursuit la politique sociale de participation et relance l’organisation régionale de la France, parallèlement à des initiatives tendant à faire amorcer la coopération politique européenne en même temps que la réalisation sur ce plan de l’union économique et monétaire. En matière de défense, il développe la force atomique de dissuasion autour de laquelle s’articule, dans le domaine des affaires étrangères et selon le projet gaullien, une volonté d’indépendance nationale et le rejet des « blocs ». Dans cette perspective, Pompidou effectue des voyages officiels aux États-Unis, en U.R.S.S., en Afrique noire. En septembre 1973, il est le premier chef d’État occidental à être reçu officiellement à Pékin où il s’entretient avec le chef du Parti communiste chinois, Mao Zedong.
Au cours de l’année 1973 et au début de 1974, des incidents répétés de santé créent autour de la présidence de la République un climat d’incertitude politique et suscitent de nombreuses spéculations, notamment au sein des partis de l’opposition. Annoncé en octobre 1973, un projet de réforme constitutionnelle tendant à réduire à cinq ans la durée du mandat présidentiel était l’indice d’un souci d’honorer la durée de ce mandat. Les signes irrécusables de maladie grave apparus à Reykjavik en mai 1973 et en Géorgie en mars 1974 se multiplient sans que Pompidou consente à abandonner son poste. Cette lutte acharnée contre le destin lui vaudra à sa mort, survenue le 2 avril 1974, l’hommage de toutes les familles politiques de France et de nombreux dirigeants étrangers.
Georges Pompidou est l’auteur de plusieurs ouvrages littéraires : Britannicus (1944), Taine (1947), A. Malraux (1955), Anthologie de la poésie française (1961).
     
 
1974
 
     

ALAIN POHER

     
 
1974 - 1981
 
     

VALERY GISCARD D'ESTAING

Né à Coblence le 2 février 1926

Né à Coblence (Allemagne occidentale) dans une famille de la haute bourgeoisie d’origine auvergnate, ancien élève de l’École polytechnique et de l’École nationale d’administration, Giscard d’Estaing est nommé inspecteur des Finances en 1954 puis directeur adjoint au cabinet d’Edgar Faure, président du Conseil. Membre du Centre national des indépendants et paysans, il est élu à partir de 1956 député du Puy-de-Dôme, succédant à son grand-père maternel Jacques Bardoux. Trois ans plus tard, il est secrétaire d’État aux Finances, puis ministre des Finances et des Affaires économiques à partir de 1962 dans les cabinets Debré et Pompidou. La même année, pour les élections législatives, il anime le nouveau groupe politique des Républicains indépendants, allié à la majorité gaulliste. Libéré de ses fonctions ministérielles en décembre 1965, il s’attache dès lors à consolider son parti tout en le démarquant quelque peu de la majorité ; il ira jusqu’à faire voter non au référendum d’avril 1969, dont l’échec marquera la fin politique du général de Gaulle. Il n’en retrouve pas moins, en juin de la même année, après l’élection de Georges Pompidou à la présidence de la République, le portefeuille de l’Économie et des Finances (1969-1974) .
Candidat à l’élection présidentielle d’avril 1974, Giscard d’Estaing fait campagne sur le thème d’une « société libérale avancée ». Il obtient au premier tour près de 33 % des voix contre 43,3 %à François Mitterrand et 14,5 à Jacques Chaban-Delmas ; au second tour, il l’emporte avec 50,8 p. 100 des suffrages exprimés contre 49,2 %à François Mitterrand. Sa présidence s’ouvre avec un ministère dirigé par Jacques Chirac (1974-1976) et au sein duquel on retrouve à l’Intérieur Michel Poniatowski, qui fut longtemps secrétaire du groupe des Républicains indépendants qu’avait présidé Giscard d’Estaing.
Son septennat débute sous le signe des réformes. Jean-Jacques Servan-Schreiber aura même (brièvement) le titre de ministre des Réformes dans le premier gouvernement. Ces réformes touchent plus aux mœurs qu’aux structures économiques de la société française : ainsi l’âge de la majorité est abaissé à dix-huit ans, l’avortement est autorisé, tout comme le divorce par consentement mutuel. Et elles sont parfois mieux accueillies à gauche que dans l’électorat giscardien et plus encore chiraquien. Les tensions traditionnelles dans la Ve République entre le président et son Premier ministre culminent pendant l’été de 1976. Jacques Chirac souhaite des élections anticipées pour éviter la victoire de la gauche qui se profile. Valéry Giscard d’Estaing s’y oppose et, pour la première fois, on voit un Premier ministre de la Ve République annoncer sa démission devant les caméras de télévision.
Avec l’arrivée de Raymond Barre et la défaite de la gauche aux élections législatives de 1978 s’ouvre une nouvelle phase du septennat . Les difficultés viennent des alliés néo-gaullistes qui défient le président : aux élections municipales à Paris, en 1977, Jacques Chirac bat le candidat giscardien ; à l’élection présidentielle de 1981, Valéry Giscard d’Estaing est bien en tête au premier tour, avec 28,31 % des voix, mais le R.P.R. ne le soutient que du bout des lèvres au second. La défaite s’ensuivra (48,24 %).
Pour Valéry Giscard d’Estaing il faut se couler dans un habit neuf : celui d’ancien président. Il voit certains de ses amis s’éloigner de lui. Il préfère ne pas siéger au Conseil constitutionnel et rester présent dans le débat politique. Il lance un appel aux « déçus du socialisme » et aspire à réunir Deux Français sur trois, selon le titre du livre qu’il publie en 1984. Mais il est trop tôt, ou trop tard. Les occasions d’un retour au premier plan ne se représenteront plus. En 1977, les Républicains indépendants ont fusionné avec d’autres formations d’inspiration libérale pour constituer le Parti républicain. Celui-ci, en 1979, deviendra la composante majeure de l’U.D.F., qui compte encore les clubs Perspectives et réalités dont Valéry Giscard d’Estaing est le président-fondateur. Mais l’U.D.F., en 1988, choisira de soutenir la candidature de Raymond Barre et, en 1995, l’affrontement entre Édouard Balladur et Jacques Chirac ne laisse aucun espace raisonnable à une troisième candidature au sein de la droite. La même année, Valéry Giscard d’Estaing échoue à conquérir la mairie de Clermont-Ferrand.
De 1993 à 1997, il est président de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, fonction qu’il avait déjà occupée de 1987 à 1989. Au sommet européen de Laeken (Belgique), en décembre 2001, il est désigné président de la Convention sur l’avenir de l’Europe, qui, à partir de mars 2002, doit réfléchir à l’architecture d’une Europe élargie.
Pendant son septennat, Valéry Giscard d’Estaing avait exposé ses idées dans un ouvrage intitulé Démocratie française (1976), qui avait connu un grand succès. On lui doit encore, notamment, deux très intéressants tomes de Mémoires (Le Pouvoir et la vie, 1988 ; L’Affrontement, 1992) et, dans un registre différent, un roman, Le Passage (1994).
     
 
1981 - 1995
 
     

FRANCOIS MITTERAND

Né à Jarnac le 26 octobre 1916 - mort à Paris le 8 janvier 1996

François Maurice Adrien Marie Mitterrand a grandi dans un univers bourgeois, catholique et provincial. Son père est un ancien chef de gare qui a repris la vinaigrerie familiale ; un notable. Donnant raison à ce déterminisme social qu’il exécrera tant par la suite, le jeune François suit tranquillement l’itinéraire que lui commande son milieu. Il étudie à Paris la littérature et le droit, est élève à l’École libre des sciences politiques, devient Volontaire national dans le mouvement de jeunes du colonel de La Rocque qui prône un exécutif fort et se situe à l’extrême de la droite.
Contrairement à la légende qu’il a contribué à fabriquer, François Mitterrand est un étudiant politisé, qui ne répugne pas à participer aux manifestations contre les « métèques ». Il n’est ni fasciste ni antisémite. Il reste profondément littéraire, comme le montrent ses textes sur Mauriac, Gide ou Montherlant. Mais sa pente l’entraîne à la droite de la droite.
C’est ainsi qu’après son évasion des camps allemands de prisonniers, en décembre 1941, François Mitterrand travaille à Vichy, pour l’État français. Il est chef de la section presse du Commissariat au reclassement des prisonniers de guerre du début de 1942 à celui de 1943. Le jeune homme est acquis à la cause de Philippe Pétain, dans les premiers mois. « Maréchaliste », comme on disait alors, il est convaincu que le vainqueur de Verdun reste le meilleur rempart contre l’hégémonisme allemand.
À moins de falsifier l’histoire, on ne saurait le ranger parmi les collaborateurs. Il commence à regarder du côté de la Résistance dès la Pentecôte de 1942, après avoir rencontré au château de Montmaur, dans les Hautes-Alpes, un groupe d’hommes qui sont en train de basculer. Tout en pratiquant le double jeu, il évolue lentement, mais sûrement. Il n’est certes pas l’un des premiers à entrer en dissidence, mais il n’est pas non plus l’un des derniers.
En 1943, après avoir été décoré de la francisque, hochet réservé aux meilleurs serviteurs du maréchal Pétain, François Mitterrand entre officiellement dans la Résistance à la fin de l’année, et se rend à Londres puis à Alger. Dans ses Mémoires de guerre, le général de Gaulle qui, dès leur première rencontre, le juge sévèrement, lui rend néanmoins hommage et le cite parmi ceux qui, de l’intérieur des frontières, informaient la France libre. Le Mouvement national des prisonniers de guerre et déportés, qu’il animait, a été homologué, dès 1948, comme « appartenant à la Résistance intérieure française ».
La guerre l’a transfiguré. Sa fréquentation des communistes et des socialistes dans les camps puis dans la Résistance a laissé des traces profondes. À la Libération, François Mitterrand est très à gauche. Pour un peu, il prônerait la révolution. En 1945, dans une lettre à Georges Dayan, son meilleur ami, il écrit : « Mon idéal est pour l’unité ouvrière et restera fidèle à sa prise du pouvoir. »
Les années suivantes, pourtant, François Mitterrand s’en va naviguer sans hésiter dans les eaux du centre gauche, ce qui lui permet d’être onze fois ministre sous la IVe République. Alors que les gouvernements valsent, il fait partie des meubles ; c’est un cacique du système. Peut-être le serait-il resté si l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle, en 1958, n’avait tout bousculé en le précipitant dans l’opposition, c’est-à-dire la gauche.
Comprenant les effets du nouveau mode de scrutin institué par le référendum d’octobre 1962 et qu’il avait combattu, François Mitterrand n’a guère attendu le moment de devenir, devant le suffrage universel, le représentant de la gauche contre le général de Gaulle, à l’élection présidentielle de 1965. Dès lors, tout s’est enchaîné et, après avoir conquis le Parti socialiste au congrès d’Épinay, en 1971, il est rapidement apparu comme le chef d’une opposition qu’il allait en dix ans porter au pouvoir .
La gauche s’est ainsi donnée à un esthète du pouvoir, qui n’était jamais dénué d’orgueil et préférait s’édifier un destin personnel plutôt que d’incarner une volonté collective. C’est ce qui explique en partie le désenchantement qui apparut, chez ses anciens fidèles, au couchant de son règne.
Le bilan des deux septennats (1981-1995) n’aura pourtant pas été négatif pour la gauche. L’ancien président l’a réconciliée avec l’économie de marché. Il lui a fait partager un engagement européen dont la sincérité ne pouvait être mise en doute. Alors qu’elle n’avait fait jusque-là que passer dans l’histoire de France, il lui a donné la durée et lui a appris à gérer.
François Mitterrand a finalement éteint les braises de la Révolution de 1789, mis un terme à ce qu’on appelait l’« exception française » et pacifié le pays en l’habituant à l’alternance.Avec lui les Français ont appris que la démocratie a besoin de deux jambes pour avancer ; une droite et une gauche.

     
 
1995 - 2007
 
     

JACQUES CHIRAC

Né à Paris le 29 novembre 1932

Fils d’un dirigeant de société aéronautique, Jacques Chirac est né à Paris, mais ses racines sont corréziennes par son grand-père instituteur. C’est en Corrèze qu’il passe la guerre, et c’est là que débutera sa carrière politique.
Diplômé de l’Institut d’études politiques et de la Summer School de Harvard, il envisage une carrière militaire après avoir accompli son service militaire en Algérie comme lieutenant. « La période la plus passionnante de mon existence », expliquera-t-il plus tard. Mais il préfère quand même entrer à l’École nationale d’administration, où il avait été admis avant son départ en Algérie.
Entré en 1959 à la Cour des comptes, il s’intéresse très vite à la politique et rejoint le cabinet de Georges Pompidou, alors Premier ministre, dès 1962. Son efficacité le fait remarquer par le Premier ministre qui l’appelle « mon bull-dozer ». Conseiller référendaire à la Cour des comptes en 1965, il affronte le corps électoral en 1967 avec les « jeunes loups » pompidoliens qui se lancent à l’assaut du Massif central. Élu de la Corrèze, dans l’ancien fief d’Henri Queuille, il ne siège que deux mois à l’Assemblée nationale, car commence pour lui, à trente-cinq ans, une longue carrière ministérielle.
Successivement secrétaire d’État aux Affaires sociales chargé de l’Emploi (1967-1968), secrétaire d’État à l’Économie et aux Finances (1968-1971) , ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement (1971-1972), ministre de l’Agriculture et du développement rural (1972-1974), il est, à la mort de Georges Pompidou, ministre de l’Intérieur. Il s’oppose alors à la candidature de Jacques Chaban-Delmas avec quarante-trois parlementaires gaullistes et favorise l’élection de Valéry Giscard d’Estaing.
Nommé Premier ministre au début du nouveau septennat, il ne tarde pas à prendre le contrôle de l’U.D.R., dont il devient secrétaire général (1974-1975). Peu à peu ses relations avec le président de la République se détériorent jusqu’à sa démission, le 25 août 1976, qui constitue une première dans l’histoire institutionnelle de la Ve République.
Réélu député de Corrèze, Jacques Chirac entreprend de construire un nouveau parti qui succédera à l’U.D.R. C’est en tant que président du Rassemblement pour la République (R.P.R.) qu’il affronte, en 1977, le candidat giscardien, Michel d’Ornano, aux élections municipales à Paris et l’emporte . Le maire de Paris et député de la Corrèze multiplie les gestes de défiance à l’égard de son successeur à l’hôtel Matignon, Raymond Barre, et à l’égard du président de la République.
Candidat à l’élection présidentielle de 1981, il recueille 17,99 % des voix. « À titre personnel », Jacques Chirac annonce qu’il votera pour Giscard d’Estaing au second tour. Mais les critiques répétées contre le président sortant ne sont pas oubliées pour autant par l’électorat chiraquien. François Mitterrand est élu président de la République le 10 mai 1981.
Tout de suite, Jacques Chirac veut apparaître comme un adversaire résolu du nouveau pouvoir socialiste et comme un recours. Il lui faut, à la fois, continuer d’ancrer le R.P.R. dans la vie politique française et marginaliser Raymond Barre. Sa nouvelle image, plus posée, et l’évolution de la situation politique font de lui, dans les sondages, un président de la République en puissance. Il a désormais pour mentor Édouard Balladur, qui a pris auprès de lui la place de Pierre Juillet et de Marie-France Garaud.
Vainqueur, avec le R.P.R. allié à l’U.D.F., des élections législatives de 1986, Jacques Chirac accepte de retourner à Matignon. Mais la « cohabitation » avec François Mitterrand tournera nettement en faveur du président sortant qui, en 1988, voit son mandat renouvelé pour sept ans. Pour Jacques Chirac, qui n’a obtenu que 46 % des voix au second tour, les années qui suivent ne seront exemptes ni de doutes ni d’obstacles. Il lui faudra affronter, au sein de son parti, la fronde des rénovateurs (1989), puis celle de Charles Pasqua et de Philippe Séguin (1990). À l’approche de la première échéance importante, celle des élections législatives de 1993, le débat national sur la ratification du traité de Maastricht va le remettre en selle. Le succès du oui au référendum est une victoire personnelle pour Chirac, qui s’est engagé vigoureusement dans la campagne et a réussi à maintenir l’unité d’un R.P.R. majoritairement favorable au non.
En 1993, il ne renouvelle pas l’expérience de 1986 et laisse à Édouard Balladur la tâche de gérer à Matignon la seconde cohabitation. Lui-même se réserve pour l’élection présidentielle de 1995. Ce choix tactique manquera de lui être fatal, car la rivalité sera bientôt vive entre les deux « amis de trente ans ». Longtemps, Édouard Balladur jouira d’un pourcentage impressionnant d’opinions favorables et distancera Jacques Chirac dans les intentions de vote. Seuls quelques fidèles, dont Alain Juppé, croient encore en ses chances à la fin de l’année 1994, qui voit Charles Pasqua tenter de faire accepter aux responsables de la droite le principe d’une « primaire » à l’américaine. Relancé par le renoncement de Jacques Delors à porter les espoirs de la gauche, Jacques Chirac va refaire le terrain perdu à la faveur d’une campagne impressionnante. Il ne devancera pourtant que de justesse Édouard Balladur à l’issue du premier tour de scrutin, avant de s’imposer à son adversaire socialiste, Lionel Jospin, le 7 mai 1995. Comme pour son prédécesseur, la troisième tentative aura été la bonne.
À la différence de François Mitterrand, toutefois, le nouveau président ne profitera guère de l’« état de grâce » qui prolonge dans l’opinion la victoire électorale. Faut-il s’en étonner ? En fait, Jacques Chirac n’a que peu amélioré au premier tour du scrutin de 1995 ses scores de 1981 et de 1988, et l’élection présidentielle elle-même a, de façon générale, exprimé la réserve des Français à l’égard de la politique. On attendait pourtant du nouveau président, qui avait mené campagne sur le thème de la résorption de la « fracture sociale », l’affirmation rapide d’un projet et d’un style forts, porteurs de changement. C’est au contraire dans la durée longue que, au risque de se voir taxé d’immobilisme, Jacques Chirac, élu pour sept ans, libre de toute concurrence nationale, dégagé des mandats qui avaient si longtemps constitué son image (la mairie de Paris échoit à Jean Tiberi, la présidence du R.P.R. à Alain Juppé dans un premier temps), choisit d’inscrire son action. Atteint dès l’automne de 1995 par l’impopularité du Premier ministre Alain Juppé, qu’il soutient sans réserve, il tente et perd, au printemps de 1997, le pari risqué de relancer la majorité en provoquant des élections législatives anticipées. Deux ans après son entrée à l’Élysée, il doit charger son rival socialiste Lionel Jospin de former le gouvernement et entamer avec lui, en reflet inversé des années 1986-1988, la troisième « cohabitation » de la Ve République. Fort d’une popularité constante en dépit des différentes « affaires » où son nom est cité, Jacques Chirac est devenu, à partir de la fin des années 1990, le véritable chef de l’opposition en raison de la désunion de la droite et est candidat à sa propre succession pour l’élection présidentielle de 2002.
Bien qu’arrivé en tête du premier tour devant le candidat du Front national (16,86 %) et celui du Parti socialiste (16,18 %), il réalise le plus mauvais score jamais obtenu par un président sortant (19,88%). Entre les deux tours, le résultat de Jean-Marie Le Pen entraîne à travers le pays une mobilisation massive contre la montée de l’extrême droite. Fort du soutien de l’ensemble des forces attachées aux valeurs de la République, Jacques Chirac est réélu, le 5 mai 2002, avec 82,21 % des suffrages exprimés contre 17,79 % pour son adversaire. La nette victoire de la droite aux législatives de juin, due notamment à la transformation du R.P.R. en un grand parti, l’Union pour la majorité présidentielle (U.M.P.), intégrant également les partis non gaullistes et destiné à soutenir l’action de Jacques Chirac, donne à celui-ci une confortable majorité pour gouverner.

     

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